Au gré des guerres grégaires
Boris Krywicki
Deux-mille quatorze incarne l'année où les productions françaises modestes, après des années de débandades centrées sur la capitale, ont décidé d'hurler l'existence de zones périphériques. Pas l'odieux amas de bitume qui ceinture Paris, plutôt ces haves reculés, où règne un calme champêtre. De façon trop hégémonique, sans doute, tant l'été y apparaît rasoir à mourir. L'ennui juilletiste pousse la ribambelle de P'tit quinquin à enquiquiner la flicaille, les grands ados de Tant qu'il nous reste des fusils à pompes, immanquable court-métrage, à infiltrer une bande brutale d'ersatz de Skinheads.
Même topo pour Arnaud, dans son Aquitaine tranquille. Lorsqu'il ne glande pas aux côtés de ses deux compères marginaux, son frère et lui bâtissent des abris de jardin de concert. Leur père parti, il leur incombe de reprendre l'entreprise, de poursuivre le labeur. Trop de pieds sur terre au goût d'Arnaud. Il plonge alors à l'aventure, comme si le ciel lui tombait sur la tête, en suivant Madeleine, la fille de leurs clients, à un stage militaire.
De la fraîcheur des premiers films, des acteurs inexpérimentés, peuvent découler de réels coups de foudre. On a beau se pincer, pas de doute : notre cœur bat pour ces Combattants. Loin des caprices des enfants-bobos qui s'entassent dans les boîtes hype, le duo désire juste qu'il se passe quelque chose. Mais encore ? Un « je-ne-sais-quoi » qui révolutionnerait le plane, rendrait le lisse rugueux. Madeleine rêve à une fin du monde où les talents de survie qu'elle se forge la hisseront hors des bunkers haut-de-gamme. Ces adultes en devenir rappellent la houle des apocalyptiques rebelles de Greg Araki. Ils ne cherchent pas l'amour plus qu'autre chose. Ils attendent un pic, un cap… un boum qui explose la péninsule.
Madeleine en avait marre de poireauter, alors elle est allée s'y frotter. Choc indescriptible : la quiétude des Landes se heurte aux valeurs autoritaires de l'armée de Terre. De la France avec un grand F. L'effort physique se disloque dans des scènes à l'humour situationnel. Ici comme ailleurs, Les Combattants se contente de représenter le décalage entre les sphères de velours du monde préfabriqué et les aspirations de ceux qui restent à sa porte, hors du placenta. Des embryons d'étrangeté qui ne se fondent pas dans le moule, de gré ou malgré la force. À ce petit jeu-là, dans la discothèque, Madeleine se débat plus qu'elle ne se déhanche : « Moi aussi je peux te la faire, la pute de la piste ! ».
Le talent d'Adèle Haenel perle lorsqu'elle joue des coudes de la sorte. La fougue renfrognée de l'actrice dore comme une papillote de litotes et rend savoureux le mets bien connu de l'attirance des contraires. La chaleur de la mise en scène de Thomas Cailley emporte ce premier long-métrage dans un flot d'enthousiasme non-feint, redoublé par le remix, signé Yuksek, du morceau Right now.
L'on reproche fréquemment aux productions françaises teintées de comédie de s'attarder sur les lancinances parisiennes. Les Combattants sort du lot, décadre les préoccupations le temps d'une incursion le long des paysages pugnaces. Véritables gladiateurs, les plans sur la nature y écrasent tout précepte casanier. Fleuve, forêt, fumée, autant de fleurs à cueillir, d'edelweiss à glaner pour le spectateur désireux de s'aérer l'esprit. Effeuiller un autre film sur la jeunesse, ce sujet tant inépuisable qu'insondable, reste le meilleur rêve pour recentrer ses soucis.
Je viens de découvrir tes écrits. C'est incroyable, la qualité de tes critiques ! Le vocabulaire employé est d'une richesse, c'est tout bonnement merveilleux ! Tu devrais en faire ton métier, de nombreux journaux aimeraient un critique cinéma comme toi !
· Il y a presque 10 ans ·poireaux
Merci infiniment ! Tu peux en lire beaucoup plus sur http://critiquequantique.tumblr.com
· Il y a presque 10 ans ·Boris Krywicki