Au Jardin

François Vieil De Born

Au jardin

« Quand je dance, je dance : quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promeine solitairement en un beau verger, si mes pensees se sont entretenuës des occurrences estrangeres quelque partie du temps : quelque autre partie, je les rameine à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moy (Michel de Montaigne, Essais, livre III, chapître XIII de l’expérience).

Jardin océanique.

Ni pensées ni soucis. Je n'aime ni les fausses couleurs ni la fragilité des premières. Des autres je déteste l'odeur douceâtre, la couleur vulgaire et l'envahissement.

Des jonquilles, des tulipes suvages, des crocus, les violettes sont venues toutes seules, peut-être des graines dans la paille autour des rosiers. Des fleurs qui vont et viennent, naissent à un endroit et se déplacent pour plus de confort ou de sérénité, recherchant l'ombre, la lumière ou autre chose, l'eau, on ne sait pas. Des primevères naturalisées, en liberté.

 

Le " fays ce que vouldras " élitiste,  de l'abbaye de Thélème et le "pas de liberté pour les ennemis de la liberté " révolutionnaire, me paraissent être intimement liés dans la conception française de la liberté. La liberté n'est pas plus faite pour les porcs qu'elle n'est faite pour ceux qui veulent la supprimer. Tout est dans l’accès, parfois à condamner.

Des houx, dans l'herbe, de l'herbe, pas du gazon.

Les haies, évidemment composées, buis, mimosas, églantier, laurier, jasmin, sans plan bien arrêté, des arbustes qui poussent dans le sable ou la tourbe pourvu qu'ils aient de l'eau et du terreau, de temps à autre quelques pelletées de fumier de cheval. Prendre soin d’y méler des fleurs hautes, marguerites, roses trémières, belles de nuit qui à l’été, la compliqueront de couleurs et d’éclats. Des buissons d'une rose vraiment rouge et au parfum entêtant. Plutôt une création ancienne et éprouvée.

Que sommes nous ? Structures dissipatives, hypercomplexité, états quantiques liés par une orientation solidaire et temporaire, peut-être la conscience[1], manque encore à la conscience le sentiment d'être codépendant, de vivre avec ce qui est vivant, méduse, lichen, mésange, panthère.

 

Et puis des arbres, des ifs, des bouleaux blancs pris dans les racines profondes des séquoias, des rhododendrons, du houx encore qui émane de la touffeur d’un cèdre rouge rapporté du Northwest.

De l’autre côté de la maison des cerisiers bien rangés et taillés pour recevoir le plus de soleil possible, un figuier à figues vertes, au lait brûlant et des citronniers dans de vastes tonneaux amovibles.

Jardin méditerranéen.

Un jardin de pierres calcaires et de palmiers, résistants au gel cependant, il arrive qu’il gèle, la verticalité des palmiers et des cyprès verts soulignant l’arête des murs et s’opposant à la surface bleue horizontale de la piscine à débordement, des haies de lauriers roses le long des murets de pierres sèches, des oliviers taillés clairs pour qu’une perdrix y passant "n’y froisse pas ses ailes". Une pure fiction, le vol de la perdrix à travers l’olivier mais parfaitement opératoire.

 

Et puis il y a les autres humains. Seraient ils fictionnels ? Admis au bénéfice de l’existence à titre temporaire, l'existence des autres comme une croyance à remettre plus tard en question. Profondément, mon engagement ontologique est limité, je reste seul[2] et je nie radicalement toute égalité statutaire à ce qui m'entoure, paysage d'un mauvais rêve imposé et calculé par un démon laplacien, débordant son rôle et animé de mauvaises intentions. J’essaie seulement, parfois, de corriger ses œuvres.

 

Des créations nouvelles, exubérantes, des roses en buisson de toutes les couleurs et puis aussi grimpant sur les murs et la tonnelle, il faut de l’ombre en été.

Quelques vignes grimpantes, de toute manière le végétal n’est là que pour mettre en valeur le minéral, murs d’enceinte et mas, dont on ne dira rien, ce n’est pas le propos.

La théorie de très grande unification tentée sous l’angle de la théorie des cordes et des membranes, des onze dimensions et de la gravité qui s'écoule et se perd ailleurs sans qu'on ait d’ailleurs mis en évidence un graviton me fait penser, peut-être indûment, à la médecine moquée par Molière, les humeurs, les fluides, toute une complexité surprenante[3] et qui paraît perdre de vue le principe d'économie, pierre angulaire de la construction d'une théorie scientifique.

 

Des pins parasol, vieux, donc à l’écorce blanchie, et tordus par le mistral. Pour les fleurs, à part les roses, des œillets poivrés en masse, des géraniums, des myosotis, du romarin.

Un jardin dont on doit relever la cohérence mais ce n'est pas mon jardin. Pour moi, les cyprès doivent être noirs et géants, il doit y avoir à leur pied des haies labyrinthiques de chêne vert et de laurier et des buissons de roses vraiment blanches au parfum saturant l'air calme. Il doit y avoir quelques herbes sauvages autour d'un banc de pierre, échappées par un miracle improbable au jardinier, des fenouils, des menthes, du lavandin.


Jardin tropical.

Un gazon, cette fois, en larges étendues, uniforme et parfaitement tondu pour rappeler le coût négligeable du travail et de l'eau puisée sous ces latitudes, en émergent foisonnants des buissons d'hibiscus rouges et doubles et des frangipaniers blancs, roses et orangés, qui luttent pour la suprématie olfactive avec les gardenias et empoisonneraient peut-être un dormeur dans son hamac.

 

Immobile, transpirant et glacé[4], depuis mon hamac j’ai encore fait ce rêve déjà vu, plusieurs fois rêvé[5], pas exactement le même mais sa déclinaison[6], d'une femme très brune et aux yeux médéens qui voyage en train d'une villa italienne aux grands volcans est-africains et que j'observe depuis les hauteurs. Et il m’arrive en m’endormant qu’un rêve de la nuit précédente s’invite et provoque une sensation de souvenir fugace, oublié presque dès sa réapparition.

 

Sur les bords en fin de perspective, près de l'enceinte haute couverte de verre pilé et de barbelés, des flamboyants statutaires et de l'autre côté, débordant de grappes roses, violettes, pourpres ou blanches des enchevêtrements inextricables de bougainvillées épineuses et torses qui couvrent peu à peu les barbelés et le verre pilé, rampart composite contre les pillards et les émeutiers.

Interchangeabilité et individuation.

Le chaos et l'indifférenciation primale paraissent plus évidents et agressifs en Afrique. La distance et la distinction entre individus semblent plus clairement établies dans les sociétés occidentales. Cet état de fait est étroitement lié à l'abaissement du rôle des appartenances tribales et des croyances anciennes. Les rôles sociétaux traditionnels, lourds de la différenciation originelle, sont remplacés par une occidentalisation singée et entropique, et s'estompent à vive allure dans les métropoles africaines.

 

Des cocotiers presque identiques, en rang, placés près du mur pour éloigner le danger des chutes de noix et pour se détacher graphiquement sur le ciel dans l'air du soir. Des arbres du voyageur, isolés sur le gazon, orientés pour paraître se parler et se répondre, à quarante-cinq ou quatre-vingt dix degrés. Deux terminaliers géants entourant le porche.

Des lantanas, des viburnas, des canas aussi, des strelitzias, en énormes massifs, comment faire sans les oiseaux de paradis, et puis des roses porcelaine, je ne connais pas leur nom latin ou leur autre nom.

Ce sont là jardins d'occidentaux, luxe de blancs, les arbres sont ici généralement regardés comme du bois de chauffe, à abattre et à sécher pour cuire le mil ou le maïs.

Amender et éduquer.

Biner, sarcler, bêcher, voilà les mamelles du jardinage. Bon, il y aussi, désherber, fumer, arroser (sélectivement, avec économie, goutte à goutte pour le dernier cité), tailler. Je n’aime pas tailler ou élaguer, et je le fais toujours à regret (et même je préfère le faire faire). Je conviens, j’admets que c’est parfois nécessaire mais comme pour la chirurgie, les risques encourrus consistent en des séquelles définitives. On taille[7] pour donner une forme, donner de la vigueur mais tout cela, c’est au détriment de la forme ultime que portait l’arbre ou la plante (à laquelle on adressera une prière muette en la mutilant). On réservera malheureusement l’expression de la forme ultime portée par l’arbre ou la plante aux sujets exceptionnels et isolés, en remarquant que les arrosages, les traitements éventuels, la mise en situation auront également conditionné la forme qu’ils auront pris.

Socrate pensait que les arbres n’avaient rien à lui dire. Son intérêt pour l’homme, à partir d’un divorce avec la nature, s’organisait à partir d’un refus du panthéisme et de la conception du primat du discours. L’aveuglement socratique au fait que des chênes ou même le détesté chiendent interagissent socialement (la société que constitue le groupe de plantes en compétition/symbiose du jardin) et communiquent ainsi nécessairement, organise la séparation entre l’homme et la nature et nous autorise à la martyriser.

 

Et la forme que l’on veut donner à l’arbre ou à la plante, c’est évidemment une forme humaine, une nature humainement informée. Je n’aime, au moins immédiatement, pas plus les vieux poiriers taillés en espaliers et les ronces que les enfants trop sages ou à l’opposé déformés par la misère et la rue.

L’éducation des enfants pose des problèmes de principe comparables et s’il est envisageable, d’un point de vue parental et humain, d’en mesurer le succès, ce pourrait être en quantifiant la réalisation du potentiel porté par l’enfant dans une direction cohérente et compatible avec ce potentiel.

Il faut noter que certaines directions sont en raison à décourager. Ainsi il ne conviendrait probablement pas d’encourager des penchants criminels pour lesquels l’enfant manifesterait un talent inné au nom de la réalisation de son potentiel ou de la beauté du crime. 

J’aime assez l’idée d’un mélange des genres qui consiste à entrelacer des parcelles de jardin à l’anglaise (sans être dupe de la prétendue liberté de ces espaces) et des espaces à la française, ordonnés selon un plan visible et rigoureux. Plus exactement, plutôt que des espaces de jardin à l’anglaise, vaguement orienter des parcelles de friche, laisser les fleurs ou les buissons, que l’on aura sélectionnés et mélangés aux plantes indigènes s’auto-organiser et intervenir plus tard légèrement dans la direction qu’elles auront prise pour la renforcer.

Se posent avec les enfants les mêmes questions qu’avec le jardin. Que veux-je en faire et qu’est-il possible de faire sachant que je ne serais pas le seul à faire les choix et que l’arbre ou la plante peuvent choisir de s’étioler, de refuser de fourcher, que sais-je, et de leur côté les enfants détester les mathématiques en dépit ou à cause des répétiteurs, préférer le squash à l’équitation ou au judo, chaque décision apparemment anodine pouvant avoir des conséquences importantes sur leur vie future. Faire ce qu’on peut de bonne foi en ignorant la fatigue..

La question se pose régulièrement de savoir s’il faut apporter des engrais aux arbres et aux plantes, je ne parle pas du potager. Et si oui lesquels ? Je crois qu’il convient d’hésiter. Il est probablement nécessaire de faire un apport immédiat à l’arbre ou la plante en l’installant, ne serait-ce que parce que ses compétiteurs en ont reçu ou pour contribuer à la reprise des racines et de la végétation dans des circonstances parfois traumatisantes (un lierre au soleil, un cerisier dans le sable). Mon opinion est qu’il est préférable de laisser la plante s’installer dans son milieu avant de recourir massivement aux engrais. Même alors que décidément, il devient difficile de s’en passer parce que la plante végète, par exemple, il faut mesurer les amendements et éviter toute dépendance (un rhododendron à un apport de terre de bruyère annuel, des rosiers requerrant des pelletées régulières de fumier de cheval), la dépendance n’étant pas celle de la plante, je le soupçonne, mais celle du jardinier qui exige un aspect ou un développement ou une floraison que seuls permettent ces ajouts.

Et quels engrais ? du fumier de poule[8] qu’on aura pris soin de jeter dans un seau d’eau et de faire attendre ainsi au moins deux ou trois jours avant de le répandre modérément à l’arrosoir, du fumier de cheval mêlé à de la terre ordinaire en proportions un tiers/deux tiers (en se préparant à désherber, des graines sauvages y sont toujours associées, biner et copieusement arroser), de l’engrais chimique à la volée dans des cas désespérés, sol trop calcaire ou sable, pour année après année créer une couche d’humus née des herbes et plantes broyées, coupées et compostées, répandues librement sur les surfaces à amender.

Quel engrais pour les enfants ? lecture, jeux vidéo, pourquoi pas, sport, voyages, l’éloignement programmé des parents[9] et puis des habitudes de sommeil et de bonnes manières inculquées par tout moyen utile. L’exposition aux stimuli cités ne doit pas être trop systématique sous peine de rejet et puis il faut réserver sa part au hasard, à la paresse[10], laisser les enfants traîner un peu au lit ou dans le jardin, rêvasser.

Lecture, tout est bon, jeux vidéo, éviter évidemment les simulations trop sanglantes, sport, on tentera au début les sports de combat, et on évoluera vers l’athlétisme, les sports de balle, la natation, l’escrime que sais-je, en fonction des envies de l’enfant. Les sports d’équipe sont suffisamment pratiqués à l’école mais si l’enfant insiste, on le conduira jusqu’au stade de football en lui faisant remarquer que si pratiquer le football est acceptable, le regarder à la télévision ou pire, depuis des gradins est révoltant de vulgarité. En somme, attirer, tenter, contraindre parfois. 

Leurres et allées.

Que dire des sentiers et des accès. Et bien que l’on est là dans un combat perdu à l’avance. En effet, poser des dalles ou organiser des allées de grave et gravillons -en enfermant des massifs au passage- est dans le premier cas hideux et légèrement vulgaire et dans le deuxième constitue une invitation faite aux herbes à toutes les transgressions et empiètements, au point qu’après deux ans sans agir, une allée gravée et même de calcaire est en totalité envahie. S’il le faut vraiment, c’est à dire si l’on est fâché de ramener terre et boue dans la maison, on aura recours à des solutions décalées en faisant appel à de larges et (peut-être, à voir) irréguliers dallages de béton (striés ?) teintés dans la masse de couleurs surprenantes, un bleu Klein ou Matisse, un rouge doré, un jaune d’or… Il conviendra d’autoriser l’herbe à pousser entre les dalles et elle sera alors  sévèrement tondue. Au chapître des rares bienfaits à attendre de la pose de dalles, il y a que toute une faune de vers de terre, de fourmis s’installera en dessous et contribuera à l’équilibre du jardin.

La technique du minage anti-personnel des chemins et accès utilisé par le Vietminh  faisait appel à l’instinct et à la réflexion de la victime. Il était ainsi courant de miner de manière assez aisément apparente une flaque au milieu d’un chemin pour, en le conduisant à la contourner, conduire inévitablement l’éclaireur vers le bord où l’attendait le véritable dispositif. Ou dans le même ordre d’idée, de soigneusement mais sans excès, effacer les traces de passage ou d’activité humaine autour d’une ou plusieurs pierres sur un chemin. Le soupçon qui en naissait amenait là encore la victime vers l’endroit où l’attendait vraiment la mine, point de passage parcouru de traces légères de bottes et de pieds.

Nous sommes à tout moment et dans tous les domaines canalisés, dirigés, orientés. Il y a une chose essentielle à enseigner aux enfants : à certains moments décisifs on peut choisir ou non, si oui, en acceptant à l’avance d’en payer le prix, de prendre sa machette et d’ouvrir, pourquoi pas en force, une voie non encore explorée dans le décor de carton pâte encombrant dont nous nous entourons et sommes entourés.

Ce peut-être dans un métier dont il faut faire évoluer le périmètre, ou qu’il faut simplement abandonner derrière soi pour autre chose, ce peut-être en matière d’amitié, un engagement amoureux. Ces moments décisifs, pas si nombreux, et il en est de fallacieux, on en reconnaît cependant instinctivement la vérité. A l’envie éprouvée, irrésistible, de manifester la liberté d’être inattendu, même si ce n’est évidemment que marginalement et qu’en dernière instance.

Les insecticides.

Les insectes doivent avoir leur place au jardin et rien n’est plus vide qu’un jardin désinsectisé, où les papillons et les abeilles sont foudroyés dès qu’ils se posent. Un jardin n’est pas une dépendance verte, minérale et morte d’un appartement et que l’on occupe avec le même confort. Il faut laisser à leur échelle, les insectes et petits animaux habiter une Nature qui est la leur. Outre que les insectes, guêpes et bourdons, vous fourniront au prix d’un travail exténuant de pollinisation les graines pour vos plantations futures de roses trémières et de belles de nuit, votre jardin constituera une étape obligée pour les porte-nouvelles en route pour la Scandinavie, un réservoir de chasse pour les hirondelles et les martinets et le lieu des lentes métamorphoses des désormais rares hannetons. La nuit les vers luisants réapparaîtront et aussi tout un peuple de petits prédateurs, rainettes élusives, crapauds maladroits, hérissons furtifs et patauds. Pour moi, j’ai décidé de favoriser leur retour ou leur installation et je leur procure les infrastructures d’accueil nécessaires, des souches de différents bois (qui se dégradent donc différemment à temps), des roches et des dalles, j’en parle plus haut, et des meules de foin, aussi un gros tas de compost que j’oublie dans un coin du jardin.

Deux exceptions notables doivent être faites, à mon sens, et uniquement pour des raisons de sécurité, en présence d’enfants ou d’animaux domestiques. Les frelons et les chenilles processionnaires doivent être détruits sans pitié. Pour les chenilles processionnaires toujours urticantes et dangereuses, il n’est pas nécessaire de recourir aux insecticides. Il suffira de repérer leurs cheminements, de les arroser de pétrole comme leurs nids tombés et les entrées de leurs trous en terre et d’y mettre le feu, ce qui ravira les enfants. On pourra en dernier recours, cercler de métal les troncs des arbres fréquentés, pins en particulier et les empêcher ainsi d’aller, venir, et de s’enterrer. S’agissant des frelons, les pompiers ne se déplaçant plus, on aura recours à une entreprise spécialisée ou si la taille du nid n’est pas trop menaçante et si l’accès n’est pas trop difficile, surtout en terme de retraite précipitée, on le détruira soi même. En préalable, se vêtir pour l’occasion de plusieurs couches de vêtements, relever le ou les cols et protéger la tête de chèches et les yeux de lunettes solaires pour la montagne. Calfeutrer toutes les issues de la maison attenante. Toujours au crépuscule, quand les frelons sont rentrés au nid, on brûlera (dans une brouette rapidement amenée et remplie d’un lit épais de braises) une grosse quantité de soufre, acheté en droguerie, si le nid est situé dans un lieu à peu près clos. A l’opposé, dans un lieu mi-ouvert qu’ils ne favorisent en principe pas, on arrosera le nid d’un insecticide violent en phase mi-gazeuse, mi liquide pour imprégner le matériau du nid et anéantir également les larves. Une raquette de badminton constitue une contre-mesure active efficace contre leur défense parfois acharnée. Au matin, le sol sera parfois couvert de ces insectes dominateurs et agressifs dont les fourmis feront disparaître les restes. On terminera en décrochant et en brûlant le nid, en prenant en matière vestimentaire les mêmes précautions que la veille, les frelons faisant preuve d’une résilience étonnante[11].

Contrairement à ce que l’on croit souvent et jusque dans les armées concernées par leur usage, armées de l’Air et de Terre, le napalm et les lance-flammes ne sont en tant que tels absolument pas prohibés par les instruments internationaux régissant le droit de la guerre (il s’agit ici de jus in Bello). Les armes interdites sont strictement et limitativement énumérées par les conventions ad hoc et concernent par exemple les balles dum dum, les lasers aveuglants, armes infligeant ensemble des dommages dont les séquelles se prolongent au delà de la vie combattante de la victime et auxquels il ne peut être remédié. Pour les armes chimiques, les mines antipersonnel, c’est à raison de leur caractère non discriminant et des risques qu’elles font courir aux non combattants qu’elles sont peu à peu proscrites. Lance-flammes et napalm doivent cependant être interdits d’usage là où se trouvent de fortes concentrations de civils imbriquées avec des cibles militaires, c’est à dire là où l’avantage militaire direct et concret attendu de l’attaque conduite avec ces armes ne serait pas en rapport favorable avec les dommages collatéraux infligés aux objets civils. C’est dire que ces armes sont simplement sujettes aux limitations de principe du droit de la guerre, limitations (et plus rarement interdictions, le droit de la guerre cherche à être effectif et non à éveiller les consciences) qui s’appliquent à toutes les armes employées en attaque (principe de discrimination, de proportionnalité, de précaution, et principe de nécessité comme de limitation des souffrances militairement inutiles).

Statuaire.

Que penser de la décoration du jardin et de statues ? En dehors du fait que cela suppose dans la plupart des cas, beaucoup d’espace, un grand jardin, je crois qu’il faut y réfléchir à deux fois. Mettre en place une ou des statues, c’est faire une profession de foi ou de goût qui s’ajoute en une couche supplémentaire à celle que constitue l’organisation végétale, le jardin. Cela multiplie également les facteurs d’incompréhension ou les occasions de critique malintentionnée. « Ah bon, regarde çà, il a son nain de jardin façon Praxitèle (ou St Phalle), j’aurais préféré Joyeux. ». Il doit être possible cependant si l’on y tient vraiment de mettre en place une statue, une installation, un calvaire, un autel ou un temple personnel aux divinités que l’on voudra, en prenant la précaution de ne pas les mettre en évidence et de les cacher en fait sous des arbres, derrière un coin de haie où le promeneur ne pourra pas se plaindre de leur caractère ostensible et agressif et croira même qu’ils ont été oubliés là (laisser pousser quelques mauvaises herbes au pied). En espérant que les dieux sont au dessus de quelques pousses de chiendent[12] poussant entre leurs orteils.

Quelle différence y a-t-il, s’il y en a une, entre le fait de croire d’un côté, que Dieu a dicté le Coran à Mahomet ou que Jésus est le fils de Dieu et d’un autre côté, le fait de croire que Napoléon a été couronné empereur ? Les règles de preuve et le niveau d’engagement ontologique[13].

 Il y a des énoncés que je ne me donne pas la peine de vérifier (adéquation) parce qu’ils font simplement partie d’un acquis global sur lequel tout le monde s’accorde, constituant une couche de vérité consensuelle à propos du monde et de son histoire sur laquelle je me fonde pour raisonner sur le monde et sur le présent. Ces énoncés peuvent, si un malade mental se mettait en tête de les remettre en cause, être confirmés de mille manières différentes en adoptant des règles de preuve acceptées par la communauté des historiens, des scientifiques et des juristes (témoignages historiques, datation au carbone 14 d’éléments de preuve, histoire comparée), ce qui fait que l’idée même de l’invention d’un tel personnage historique s’avèrerait simplement trop coûteuse[14] pour être raisonnablement acceptée.

Il y a d’autres énoncés, les premiers cités, qui ne parlent simplement pas de la même chose et en fait pas du monde dans lequel nous vivons.

Il n’y a de fait, aucun moyen de vérifier les assertions que peuvent formuler des croyants s’agissant de la forme de l’univers ou de son histoire, si, en revanche il est parfaitement envisageable de vérifier l’historicité des personnages de Jésus et de Mahomet et de mesurer leur influence (et celle de leurs successeurs) sur le développement du monde. La science et l’histoire décrivant le réel, rendant compte de l’univers physique, on en déduira que faute de se soumettre aux mêmes standards de preuve, les énoncés des systèmes de croyance religieuse, non vérifiables et non falsifiables, ne décrivent pas la Nature, ne rendent pas compte du monde et de ce qu’il est réellement mais se limitent à faire état d’un engagement ontologique incertain et coûteux du locuteur, et à donner une forme  étonnante aux délires qu’il entretient.

On sait que l’énoncé « la neige est blanche »[15] est vrai si et seulement si la neige est blanche. Il est envisageable, si l’on aime démesurément la vérité (comme adéquation) de déterminer par quelles voies et moyens cet énoncé se vérifie[16].

 Ces énoncés relatifs aux professions de foi n’ont en deuxième lieu pas la même étendue de vérité (adéquation au plan ontologique).

On sait que « la licorne est un cheval doté d’une corne à l’avant du front » est vrai si et seulement si la licorne est un cheval doté d’une corne à l’avant du front et on sait aussi que tout cela ne veut pas dire qu’il existe des licornes.

 C’est qu’en effet, il faut rappeler que l’existence n’est pas un prédicat et n’est pas supposée a priori, ou vérifiée a posteriori, par une mention dans le langage. Le langage connaît des entités fictives au statut ontologique restreint[17]. Il existe des étants qui occupent toutes les dimensions ontologiques distinctes de l’espace/temps (du réel physique), de la pensée et du langage. Certains étants sont en revanche à étendue ontologique limitée, c’est le cas de la licorne, ce qui n’empêche pas d’en faire état et d’affirmer que la licorne a bel et bien, telle qu’elle est communément décrite, une corne à l’avant du front (et d’ajouter qu’elle n’a jamais été rencontrée).

L’énoncé « Dieu existe » peut donner lieu à vérification et porte, à ce jour, les résultats suivants : La mention de « dieu » ou de « dieux » est attestée dans de nombreux langages et « dieu » peut-être pensé, encore qu’avec des réserves importantes en terme de contenu, comme « l’étant suprême », tandis que « dieux » peut-être pensé comme « étants supérieurs parfois hiérarchisés ». Sa ou leur présence dans le monde physique n’est, à ce jour, attestée par aucune démonstration satisfaisante.

 « Dieu », sous toutes ses formes, bien loin d’être l’étant suprême, est donc probablement uniquement un objet à étendue ontologique limitée et dont l’utilité non niable se résume au contrôle social des humains comme sa contrepartie, le Père Noël, permet (rarement) d’assagir un peu les enfants à l’approche de Noêl, associés qu’ils sont à des éthiques délirantes. Vient un moment cependant, où cette foi dans le Père Noël doit être abandonnée car elle devient contreproductive pour le développement intellectuel des enfants. Nous en sommes là avec « Dieu » en dépit des efforts de Nietzsche. D’une hypothèse inutile nous sommes passés à un délire nuisible.

Généralement, on indique alors que c’est faire peu de cas des expériences mystiques et des miracles et des révélations. Mais outre que je ne dispose d’aucun moyen pour faire le départ entre les différentes expériences, semblant s’exclure mutuellement, de Pascal, de mystiques soufis ou de Siddhârta, il reste, en n’en niant pas l’intérêt esthétique et humain, qu’il est économiquement et ontologiquement plus facilement acceptable de formuler des hypothèses comme celle d’un dégagement massif auto-induit d’endorphines et d’autres hormones du plaisir dans le cerveau des humains saisis, dont la formulation de l’illumination serait guidée par sa créativité propre, sa vision et son engagement. Par ailleurs, il faut reconnaître que ces expériences de béatitude n’ont parfois aucun caractère religieux ou ne font en rien appel à un outre-monde.

Théorie et bonnes pratiques.

« On a toujours fait comme çà. » s’entend parfois dire le jardinier. S’il est des domaines où ce type de remarque doit être, selon les cas mais à chaque occurrence, réprimé ou au moins sévèrement remis en question, comme dans l’administration publique ou la gestion d’entreprise, il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas de théorie générale du jardinage mais seulement de bonnes et moins bonnes pratiques, formalisées dans certains almanachs et qui ont subi avec succès l’épreuve du temps. Il est préférable dans ces conditions de tenter de comprendre pourquoi « on a toujours fait comme çà » et de vérifier si en fait « çà » marche avant d’ignorer le commentaire du paysan ou du jardinier voisin. On recommandera ainsi de planter et de repiquer en fonction des phases de la lune, montante ou descendante selon que l’on veut produire des feuilles ou des fruits ou encore des graines. Par ailleurs, vous ne verrez pas de jardinier expérimenté et près de ses sous aller chez le coiffeur en lune montante (je n’ai pu déterminer si les enfants montaient en graine selon les dates de leur conception).

Les théories scientifiques ne sont pas « théoriques ». Elles sont terriblement pragmatiques. Les théories de la gravitation et de l’évolution sont constituées d’un ensemble d’énoncés de forme mathématique ou historique, appuyée sur des observations physiques, biologiques, génétiques etc., et rendent compte d’autres ensembles, de faits ceux là, absolument innombrables. Dans la mesure où ces théories rendent compte de la réalité, de la Nature, elles sont vérifiables et falsifiables. La théorie de la gravitation ne donne de résultats cohérents que pour un cadre[18] spatial et temporel limité et au delà, il convient de faire appel à la théorie de la relativité, qui elle même trouve ses limites dans le monde des quanta et dans la physique des singularités. La théorie de l’évolution a une dimension biologique clairement vérifiable, qui s’appuie sur la génétique. Quant à sa vérifiabilité  historique[19] elle s’appuie sur la physique, la géologie et de nouveau la génétique. Sur sa falsifiabilité, et même si la couche de vérité consensuelle que nous utilisons journellement comprend désormais à mon sens le discours scientifique-historique sur l’évolution au même titre que la structure héliocentrée du système solaire, il est intellectuellement envisageable, même si cela ne fonctionne pas[20], de remettre en question[21] la théorie de l’évolution ou un de ses aspects et c’est en ce sens, et en ce sens uniquement, que le discours sur l’évolution est falsifiable sans qu’il soit en rien falsifié. 

On sait que la conservation de vérité dans l’addition, soit par exemple si  « 2+2 = 4 » est vrai, il y a de bonnes chances que  « 32262+2 = 32264 » soit vrai, est une propriété fondamentale de l’addition. C’est également le cas du discours scientifique. Il est possible en premier lieu de répéter les observations et en second lieu de prédire les résultats d’une expérience conformément à une propriété formalisée du vivant. Le discours[22] sur l’évolution a ainsi vocation à s’appliquer à une autre planète disposant ou ayant disposé d’une biosphère, de la même manière que les calculs gravitationnels rendront compte assez précisément des mouvements des lunes qui le cas échéant y seront associées.

Tout ceci n’a rien à voir avec la foi du charbonnier et l’argument d’autorité qui sont à récuser quant à l’histoire, la nature et à la forme de l’univers. Pour tout dire, la poésie, la peinture, la science, la philosophie, le droit, les pratiques sociales et politiques n’ont évolué qu’en remisant au rayon des antiquités poussiéreuses et pas très souvent respectables les croyances[23] et l’argument d’autorité.

Le regard du jardinier.

Quel sens, quel intérêt à créer un jardin ? Pouvoir y dormir, y rêver, s’y promener, s’y reposer, créer un puit de carbone, récuser localement l’entropie qui nous fait parfois peur, donner un endroit de jeux aux enfants, avoir une retraite pour la réflexion. Dans mon jardin, je veux un hamac large en coton et des coussins habillés de lin, et m’endormir en lisant à l’ombre sereine d’un tilleul commun (en se souvenant qu’au printemps, les pucerons sur les tilleuls se débarrassent d’une sorte de miellat qui tâche de manière définitive les vêtements des imprudents). Ce qui me fait penser que si l’on n’a pas l’espace voulu pour un potager ou un verger, on peut quand même réserver un peu d’espace pour des plantes et arbres décoratifs et dont les fruits sont utilisés pour des confitures, des tisanes ou pour épicer les repas. Il en est ainsi de la menthe, de la verveine, du cerfeuil, indispensable, du raisin (grimpant), des figuiers etc. ..

Un potager est un lieu de production. Mais de la même manière qu’il n’est pas interdit à une usine d’être belle et qu’elle doit être profitable, un potager se doit d’être presque parfaitement ordonné, tiré au cordeau, français pour tout dire, libre de mauvaises herbes[24] (pas d’orties à côté des melons sur le tas de fumier, pas de chiendent étranglant les fraisiers) et faire de la valeur ajoutée. Il ne sert à rien de produire les variétés de fruits et légumes qui s’achètent partout. Il est préférable si l’on ne dispose pas de surfaces permettant l’autosuffisance alimentaire, de planter des légumes anciens, potimarrons, tétragone –épinard d’été– , cristophines, des variétés succulentes et moins abondantes de tomates, de pommes de terre, de haricots verts et de fraisiers. Les pommes de terre sont parfois utilisées comme désherbant, probablement parce qu’elles empêchent les « mauvaises » herbes de recevoir la lumière du soleil, mais cela suppose alors que la variété utilisée, du tout venant, ait un couvert important. Ces variétés peuvent attirer les doryphores, que l’on éliminera à la main, en les noyant dans une boite de conserve.

Certaines fleurs trouvent naturellement leur place au potager comme les glaiëuls, les dahlias[25], les marguerites[26], généralement en bordure de jardin, près des aromatiques. On pourra ainsi couper au passage quelques fleurs pour le déjeuner du dimanche, en même temps qu’on ramènera des petits pois, arrachés aux oiseaux, à écosser en famille, ou des asperges, des oignons nouveaux, du persil, du cerfeuil, de l’estragon, de l’ail frais. Le jardinier prêtera la plus grande attention aux détails et à la vie minuscule du potager. Il faut mettre le nez dans les petits pois et décheniller à la main, le cas échéant, vaporiser les haricots verts avec du jus d’orties[27] fermentées si les coccinelles ne parviennent pas à tenir en respect les pucerons. Le jardinier concentre son attention sur un aspect presque microscopique de l’activité végétale et revient sur les couleurs de l’ensemble pour évaluer les besoins en eau, véritable gymnastique du regard. Le regard permanent du jardinier sur son potager espace artificiel, toujours en équilibre instable, conditionne sa survie et la qualité de la production.

« L’essentiel est invisible pour les yeux. On ne voit bien qu’avec le cœur ». Bon, je comprend ce que Saint Exupéry veut dire, d’autant que « Dieu » n’est pas nécessairement le sujet invoqué de l’ouverture et de l’élan vers l’autre ou le monde.  Mais comme en amour, avant d’aimer, il convient probablement de se demander qui est à aimer ou au moins d’avoir conscience de choix faits inconsciemment.

Le scandale attirant du dieu fait homme, mort sur la croix, ne nous apparaît remarquable qu’après des millénaires de raffinement de l’idée de dieu. Toutes les théologies anciennes font appel à des dieux très humains et qui meurent et sont ressuscités, Osiris, Dionysos, par exemple et prenant régulièrement, à leurs risques et périls, forme humaine. Jésus me paraît être une conjonction de Socrate[28] et d’Osiris pour tout dire.

L’énoncé « Dieu existe et est omniscient, élusif, maladroit et malintentionné » est justiciable pour juger de sa validité des mêmes vérifications pratiques que celles qui seraient appliquées à tout étant prétendant occuper l’ensemble des domaines ontologiques[29]. On admettra que dans l’énoncé « Dieu existe et est omniscient, élusif, maladroit et malintentionné », « Dieu existe » n’est vrai et vérifié que pour les domaines ontologiques du langage et de la pensée et que pour le reste de l’énoncé et en restant dans ces mêmes sphères de l’Etre, il fait peu de doute que « Dieu » est un enfant qui joue.

La guerre.

Des drames épouvantables se jouent au jardin, ici la colonisation, là l’esclavage, plus loin la guerre. Les enfants aiment bien que différentes sortes de fourmis s’affrontent pour un minuscule bout de poulet dérobé à la cuisine en ruinant au passage la trêve précaire qui régnait sur le haut du muret. Vous éviterez de leur montrer votre toile d’épeire diadème favorite dans les framboisiers car il auront tôt fait, dès que vous aurez le dos tourné, d’y projeter des insectes de plus en plus gros et peu enclins à se faire dévorer vivants, la toile, le matin emperlée de rosée ayant peu de chances de survivre à un tel traitement.

On peut me raconter que le « mal » et la souffrance sont présupposés si l’homme doit être libre et que « dieu » n’a rien à voir avec les guerres ou les grandes catastrophes, je suis tout prêt à l’accepter. Je demande simplement à mon interlocuteur d’aller un peu plus loin encore dans le raisonnement en matière de désengagement de « dieu » s’agissant des affaires humaines. Il a pu mettre les choses en mouvement et s’en désintéresser (et dans ce cas là, il aurait pu laisser un mot d’excuse ou si c’est trop demander, au moins un mode d’emploi détaillé dans une langue compréhensible par le commun des mortels) ou alors, plus simplement il est inutile de faire appel à cette notion pour rendre compte du monde et nous pouvons nous accorder pour décider que nous sommes aux commandes, et assez largement responsables de l’état du monde.

En dehors des grands délirants et encore, les croyants[30] seraient tout de même généralement très surpris si leur croyance s’objectivait et si une voie de communication directe s’ouvrait avec « dieu » ou « dieux ». D’autant que les questions à poser seraient probablement peu à leur goût, pas plus que les réponses d’ailleurs. En effet, s’il y avait un dieu, (et il conviendrait d’en tirer profit) il n’y a aucune raison de penser qu’il se révèle mauvais physicien, comme les livres « sacrés » le font penser ou suffisamment pusillanime pour réellement s’intéresser au mariage des prêtres ou à la virginité (uniquement vaginale, pourquoi ?) des jeunes épousées.  Il convient aussi d’en finir avec l’idée du dieu caché et qui se cacherait pour jauger notre foi, comme si « dieu » jouait à un jeu de séduction vaguement pervers. L’idée même que « dieu » cherche à ou désire être adoré est en soi contradictoire, enfin quand on aime, on se montre à tous et on ne fait pas porter sur les enfants la supposée faute des parents.    

Je reste fidèle à l’expression « droit des conflits armés » plutôt qu’à celle de droit international humanitaire pour plusieurs raisons. En premier lieu, « droit des conflits armés » dit bien ce qu’il veut dire. Il a vocation à régir les manières de faire la guerre, la guerre (et l’usage des armes) est son objet, sans prétendre l’interdire, quand « droit international humanitaire » paraît vouloir souligner l’évidente horreur de la guerre et s’intéresser à l’«Homme » et à sa protection morale autant que physique. Par ailleurs, d’un point de vue descriptif, « droit des conflits armés » est plus pertinent dans la mesure où ce droit peut s’appliquer, avec des nuances importantes, à des situations qui n’ont pas le caractère d’un affrontement entre nations, « droit international humanitaire » paraissant limitativement gouverner les relations entre nations en conflit, ce même si dans l’expression « droit international humanitaire », la notion d’« international » s’applique à la nature du droit et non à celle des situations régies. Surtout la notion d’«humanitaire » semble faire référence au concept scabreux de « droits de l’Homme » et  ainsi à un humanisme qui, contre toute attente et contre toute évidence peut être résumé à « la pensée de la différence de l’Homme ». L’homme n’a au fait aucun moyen de se séparer du règne animal[31]. Que ce soit en matière d’organisation sociale, de conservation sociale des savoirs et de leur transmission active[32], d’éducation des jeunes, d’utilisation d’outillage et de façonnage d’outils, et même en matière artistique où on peut attester par exemple des pratiques musicales de communautés de babouins japonais, l’homme ne montre pas de supériorité de principe ou substantielle qui permette de lui conférer un statut[33] ontologique et moral autonome ou supérieur. L’homme est simplement un bon généraliste qui a les moyens physiques et sociaux de développer des synergies et a activement promu et bénéficié des effets multiplicateurs du savoir.

Brûler, éliminer.

C’est dans le potager également que dans la plupart des cas s’organisera le brûlage des déchets. Il y a désormais, compte tenu du niveau de pollution et d’émission de gaz à effets de serre qui nous menace[34], des manières qui semblent plus acceptables de se débarasser des feuilles tombées, des restes de taille de haies ou de désherbage. Il est ainsi probablement préférable de broyer[35] les déchets et de les composter[36] en activant la dégradation organique avec des bactéries et de l’eau répandues sur le compost. Outre que ce dernier procédé est lui-même générateur de dioxyde de carbone et de méthane, et que je ne sais pas s’il est moins consommateur d’oxygène que le brûlage, tout le monde n’a pas l’équipement requis pour broyer les grosses branches que l’on sera amené à couper de temps à autre. On tient là si l’on a quelque chose à leur reprocher une bonne occasion d’ennuyer ses voisins. On choisira un jour où le vent est favorable au projet et l’on démarrera le feu[37] avec des brindilles et des branches de plus en plus grosses. Ce n’est qu’ensuite, sur de bonnes braises bien établies que l’on produira la fumée épaisse souhaitée. Les branches humides de thuyas, de laurier, de mimosa seront ainsi gardées en réserve pour parfumer le linge humide étendu dans le jardin d’à côté[38] ou écourter le séjour d’un vacancier trop curieux dans la forêt attenante. Les cendres et le charbon de bois seront réutilisées pour amender les terrains secs, calcaires ou siliceux. Dispersées chaudes, les cendres ont un effet désherbant temporaire mais parfois pertinent. Elles permettent assurément de mener la vie dure aux escargots et limaces qui mènent une guérilla de tous les instants avec le jardinier. La sciure de bois très fine peut également être utilisée autour des salades pour faire de l’interdiction de zone sans recours aux poisons et protéger ainsi vos chicorées.

On me dit parfois que le charbon de bois écarte également les taupes que détestent la plupart des jardiniers. Un jardin où se trouvent des taupes est d’abord un jardin fertile, les taupes se nourrissant de vers de terre et autres insectes, qu’elles régulent, et puis elles aèrent la terre. Je peux comprendre qu’elles soient chassées quand les griffes d’asperge qui mettent des années avant de produire sont saccagées. Même alors, je reste opposé aux méthodes qui font appel au poison ou au verre pilé[39]. Outre qu’on ne peut surveiller tout le temps les enfants qui doivent pouvoir jouer en confiance au jardin, pourquoi pas pieds nus, et les bébés portent tout un tas choses surprenantes à la bouche, noyer leurs galeries ou les tuer d’un coup de bêche quand elles émergent de leurs monticules très tôt le matin me semblent moins ignobles.

La foi en un dieu, accompagnée de toutes sortes d’exigences mondaines qui n’ont rien de morales est un poison ou une menace pour les libertés. De deux choses l’une, ou bien le fait de croire, c’est à dire de de paraître convaincu, quelle que soit la foi considérée, est le prix à payer pour participer à un réseau d’influence et de protection dont les membres partagent certaines idées communes sur la forme que doit prendre la société humaine et cherchent à la dominer[40], ou bien le fait de croire (en Dieu et à ses entreprises humaines), ce dans une société plus ouverte, consiste en un exercice d’autoconviction, un peu à la manière dont les enfants cherchent à se « rendre intéressants » ou se racontent à eux-mêmes des histoires. En renversant les termes de Paul, il est temps, au nom de la sagesse du monde, de convaincre de folle ou de malintentionnée la foi en un dieu.

Enfin, il est simplement plus consistant au plan éthique d’agir en vue du bien quand on sait que l’esprit meurt avant le corps[41]

Abondance.

On tirera de la Nature proche, probablement largement humanisée mais il reste quelques poches de résistance, des plantes et herbes que l’on ramènera au jardin[42].

Dans la forêt ou la prairie proche, et l’on n’hésitera pas à pousser[43] jusqu’au marais ou à la falaise, on découvrira des narcisses (dans les forêts d’Île de France), des iris simples, du muguet, ailleurs des graminées, des buis, des fougères, des genêts, du houx ou du chêne vert. On prendra soin en les déterrant, novembre restant le mois de prédilection pour ces prélèvements[44], de ne pas mettre à nu les racines et de prendre avec la plante une bonne part de son enracinement naturel, fange des marais, calcaire dur ou tendre, souche de bois dégradée par les moisissures et les champignons. La mise en terre dans le jardin suivra les exigences du bon sens, c'est-à-dire que les emplacements auront été, pour limiter le traumatisme, définis et préparés préalablement à l’extraction, et les plantes d’ombre ou de sous-bois seront mises en place selon leur milieu de prédilection en en favorisant la reprise par un primo arrosage généreux (sauf s’il gèle, auquel cas on ne devrait pas tenter le déplacement). Le mélange de cendre à la terre d’accueil sera favorisé avant tout fumage ou autre amendement comme il est dit plus haut.

Ces jeunes arbres et plantes doivent être utilisées pour évoquer la continuité souhaitable entre le jardin qui s’y réfère ainsi et la nature environnante. S’agissant des graines le jardinier trouvera sans difficulté, au printemps des coquelicots et en été, des lins et des bleuets en graine pour son nécessaire morceau de prairie qui changera selon les saisons[45]. Dans une perspective plus immédiatement utilitariste, le jardinier trouvera et prélèvera pour son potager et selon ses goûts des menthes noires et poivrées ou bleues et simples, des fenouils, des poireaux sauvages, des fraises des bois, des groseilliers (vus dans les Pyrénées) et quantité d’herbes et de simples, parfois difficiles à acclimater.

Le jardinage est tout sauf un divertissement, il correspond aux instincts les plus profonds. Pour les satisfaire, le jardin potager en particulier doit prendre en compte le bien être des plantes et arbustes. Sans organiser de ségrégation rigide, il me semble à l’expérience qu’il convient de colocaliser les plantes selon leurs origines, même lointaines. Ainsi, les tomates, courgettes, poivrons, pommes de terre, maïs, haricots seront plantés côte à côte, des fruitiers de variétés récemment développées en Europe installés pour faire une transition avec les productions d’origine strictement européennes ou au moins pensées telles, fraises[46], choux, betteraves, aubergines[47], ail, poireaux, oignons, melons, potirons. Cette pratique permettra également de constater plus rapidement l’apparition de maladies auxquelles telle ou telle origine sera plus sensible que l’autre, à laquelle on réagira plus rapidement qu’avec une dispersion des symptômes dans tout le jardin[48].

Il y a entre la Nature et le jardin le même rapport qu’entre la guerre et le sport. La Nature ne pourvoie pas également ou régulièrement aux besoins du chasseur cueilleur et l’affame ou le broie s’il est possible[49]. La guerre, elle, n’offre qu’un très mauvais rapport entre les rares satisfactions qu’elle autorise et le prix qu’elle fait payer aux combattants. Le jardin et le sport renvoient à et évoquent la Nature et la guerre en en refusant la violence et les conséquences coûteuses. Leur objet principal reste de maximiser la production de satisfaction des « appétits », faim et mobilisation du corps en vue d’une domination.

Au jardin tout est signe. Il y a la lueur et les phéromones du v

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    · Il y a plus de 8 ans ·
    Oph%c3%a9lie n

    François Vieil De Born

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