Au pays d'Aglaé et sodomie
petisaintleu
Forte de son CAP coiffure, option onglerie des pieds, Aglaé n'était guère restée plus de trois mois salariée. S'occuper de permanentes ou des griffes incarnées par des vieilles peaux et se taper les reproches de sa patronne – elle avait osé lui faire la morale pour sept retards ces dix derniers jours qui n'excédèrent pas les trente minutes – ça n'était pas son truc. Elle avait bien d'autres choses à faire que de gagner une misère.
Elle possédait quelques antécédents professionnels. En cinquième, elle n'avait déjà pas son pareil pour se faire de l'argent de poche et s'acheter des cigarettes. Elle occupait ses récréations dans les toilettes des garçons. Pour entrer en boîte de nuit et avoir des lignes de coke aux frais de la princesse, elle put compter sur les grands frères du quartier. Elle n'était jamais en manque pour les remercier. Au collège Balzac, sa prof de français l'avait surnommée Rubempré. Aucune illusion n'arrêterait sa motivation.
Son vocabulaire se limitait à quelques injures et onomatopées, bien suffisantes pour comprendre ce qui se disait sur les réseaux sociaux. Ce n'était pas un problème. Malgré ses capacités cognitives médiocres, elle ne manquait pas d'un minimum de psychologie. Ses premiers posts firent sensation. Il faut dire qu'elle avait mis la barre très haute, surclassant déjà bon nombre de ses congénères. Présenter du rouge à lèvres n'était qu'un prétexte pour mettre en avant sa plastique aussi naturelle qu'une dinde mazoutée. Qu'importe l'essence pourvu qu'il y ait l'ivresse. Elle comprit rapidement comment jouer à l'incendiaire, aussi bonne que ces pompiers qui se transforment en pyromanes.
En moins de temps qu'il n'en faut pour retourner une situation aussi périlleuse soit-elle, elle fut suivie par des centaines de milliers de followers. Le succès lui monta vite à la tête. Elle péta plus haut que son séant qu'elle avait souvent bien cambré. Mais, pas à n'importe quel prix. Si elle s'amusait à allumer sans scrupule ses nombreux fans pour mieux faire cracher leur bourse dans l'achat de bibeloterie sur son site de vente, elle n'était pas avare quand il s'agissait de se faire approcher par de vieux mâles au compte en banque bien rempli. Dès le premier ; « Coucou, coman sa va ? », elle pouvait déjà sentir l'odeur de leur sueur et soupeser le pognon qu'elle pourrait leur soutirer.
Sa technique était on ne peut plus simple. Un abonnement professionnel sur Linkedin, quelques posts où elle dosait un selfie alléchant en maillot de bain plus qu'aguicheur au bord d'une piscine et un storytelling larmoyant était bien plus que suffisant pour les attirer comme des mouches à merde.
Il lui suffit de trois mois pour dépouiller quelques abrutis qui se damnèrent, sans doute excités par la lecture du dernier chef d'œuvre littéraire du ministre de l'Économie. Elle n'avait pas son pareil pour faire passer des prostates pour des lanternes. La Mercédès et les séjours à Dubaï devinrent réalité. Elle n'eut pas de mal à se faire introduire. Le cheptel de pros hétaires était à renouveler auprès des riches dubaïotes. La plupart avait atteint l'âge canonique de vingt-cinq ans, ce qui dépassait de très loin l'idée qu'ils pouvaient se faire des houris quand ils se laissaient transporter au paradis morphinique.
C'est sans scrupule qu'elle adopta la religion du Prophète. Elle put ainsi évoluer dans son Eldorado sans se voiler la face. Comme à son habitude, elle s'assit profond sur le respect ou sur les traditions. C'était dans ses gènes de tout faire à l'envers. Elle déclencha l'enfer dans les alcôves, dégommant tout sur son passage, à tel point que dans tout le golfe arabique on la surnomma Aglageddon. C'est quand même assez dingue d'imaginer comment ils se firent entuber pour ce petit trou normand (elle était originaire de Lisieux) aussi coulant qu'un camembert bien moulé et affiné à cœur.
Alors qu'elle était au sommet de sa gloire survint un accident qui la mit en mauvaise posture. Elle n'était pas à proprement parler hyperlaxe. À force de mettre tout le monde à dos et en mauvaise posture, ça se retourna contre elle. Une scoliose mit un terme à sa carrière ; bien heureuse que ce ne fût pas un prolapsus.
Qui est prise qui croyait prendre.