AUGUSTE

hectorvugo

Peu après l'amour, Aude s'est blotti contre moi et s'est endormi. J'aime à entendre son souffle régulier. Il m'aide à trouver le sommeil.  Avec elle, je dors mieux, je vis mieux. C'est un bonheur de chaque instant.  Quelle chance de l'avoir croisée.

Même si cette chance a été voulue par  un ami de longue date. Il a organisé un repas chez lui, il a joué les entremetteurs, jugeant que nos deux caractères se complétaient.

Auguste a tout fait pour que nous soyons, Aude et moi, ensembles. Je me souviens qu'il m'a laissé l'adresse de son appartement le soir même de notre première rencontre pour que je la raccompagne à pied.  A l'époque Aude habitait l'immeuble en face du sien, un duplex en rez de chaussée ou elle avait installé son cabinet de psy.

Il a suivi l'évolution de notre histoire lui donnant parfois l'élan nécessaire que notre timidité bridait.

Ainsi une semaine après, il nous a invités de nouveau chez lui. Un deuxième repas préparé par ses soins dont il s'est éclipsé volontairement. Il est resté très souvent dans la cuisine prétextant la surveillance d'un plat ou la mise en place d'un autre. Bref il s'est arrangé pour nous laisser seuls. Toutefois je l'ai soupçonné d'avoir jeté un œil par le trou de la serrure pour voir si nous n'allions pas nous embrasser.

Le premier baiser a eu lieu au dessert. Un baiser version « affaire Thomas Crown », long à tournoyer  les moulins de nos cœurs.

Auguste est venu exprès juste après, à deux doigts de nous surprendre sur le fait, sondant avec malice le fond de nos yeux pour y débusquer le trouble et l'ivresse.

J'ai vu la joie que nous lui avions procurée. Il était heureux pour nous, fier d'avoir réussi son coup.

Il a mis au monde notre couple. Je me demande si je l'ai suffisamment remercié pour cela.

Maintenant il est trop tard.

Auguste est mort.


 

 

Aujourd'hui je vais à reculons à ses obsèques.

Il y a quelques semaines encore j'aurais traversé un océan pour  l'aider. C'est dire le paradoxe douloureux qui m'étreint. Là où il est, aucune valeur ne résiste au voyage, même l'amitié. Là où il est, personne ne peut le rejoindre. Car là où il est, on n'en revient pas.

Le pays de la mort.

Il faut que je me fasse à ce mot.

La mort.

La mort. Ça doit être beau, silencieux, paisible. Pas besoin de passeport pour s'y présenter. Le prix du séjour est exorbitant. On y laisse déjà la vie. Sa vie.

Je le vois bien Auguste à la douane du paradis (c'est bien le nom du pays de la mort n'est-ce pas ?). Il est là, sans valise, sans rien, le corps exsangue, bouffé par une maladie dont on sait que l'on n'y échappe pas. La preuve.

On se fait à l'inéluctable.  On se prépare en essayant d'épargner les proches. On ne dit rien du mal qui vous arrache à eux. On continue à vivre, avec cet art de dissimuler sa propre souffrance derrière les sourires et les gestes.

Le reste de ce peu de vie on le prépare avec soin et on l'envoie avec panache en un ultime bouquet final.

Auguste s'y est efforcé. Il a réussi sa sortie.

Je n'ai compris que le jour de sa mort le pourquoi de cette fête qu'aucune raison logique n'expliquait sur le moment.

Il l'avait organisée le 23 mai, privatisant la salle annexe d'un restaurant huppé ou il avait réuni ses amis.

Tous les acteurs de sa vie étaient là sauf son épouse retenue pour affaires et qui viendrait bien plus tard. On l'annonçait pour la soupe à l'oignon. Couche tôt en toute circonstance je ne la verrais pas et en était bien triste.

La femme d'Auguste restait un mystère, une sorte de légende sur qui l'on racontait tant de choses agréables à commencer par son physique et sa conversation. Il la cachait à ses potes de peur sans doute qu'on la lui piquât.

C'était bien dans ses habitudes. Toujours à cloisonner sa vie. L'intime se mélangeait rarement à l'amical.

On acceptait volontiers son hygiène sociale. J'y voyais le gage d'une paix royale et d'une absence de fâcheries. Entre hommes il ne faut jamais parler politique et compagne, sans quoi c'est la guerre civile assurée.

Tout au plus amusions nous à évoquer nos amours comme d'intenses récréations aux plaisirs multiples, quitte à enjoliver la réalité pour se faire mousser.

Cela n'allait pas plus loin. Pour être tout à fait franc, ça m'arrangeait.

Je n'ai pas l'âme d'un collectionneur et porte l'alcool du romantisme sur mes scarifications sentimentales. Ça pique, ça fait mal et ça ne force pas à en rire.

Souvent j'ai triché. J'ai fait semblant d'amuser avec mes histoires. Parce que je les racontais à mes copains en les scénarisant. Ils n'auraient pas compris que j'y insémine cette dose « acre » de pathos qui rend l'existence indigeste.

Comme moi Auguste portait tout en dérision. C'était sa façon à lui d'échapper à la saloperie du réel.

Le soir de ce 23 mai il riait gorge déployée et distribuait ses bons mots avec ce sens incroyable de la répartie qui était le sien.

Pour autant je le trouvais changé, amaigri, sec tel un marathonien à l'approche d'une grande épreuve.

Lui qui avait grand appétit picorait son assiette de crudités. Il la gérait  en bon père de famille alors que nous finissions notre dessert, un mille feuilles incroyablement léger.

Pourquoi Auguste n'en avait-il pas pris ? Il adorait le mille feuilles.

Aujourd'hui je sais. Je comprends que pour un malade la faim est un luxe impossible

Auguste est mort d'un cancer de l'estomac à 50 ans. La nouvelle m'a cloué sur place. Elle a éclairé d'une lumière grise les derniers mois et donné un sens à certains détails qui mis bout à bout ont expliqué l'issue fatale.

Outre son appétit en berne que j'avais découvert, Auguste ne venait plus courir en forêt avec nous, il refusait poliment nos sorties à l'hippodrome de Vincennes. Il avait même quitté Paris.

On s'était dit il y a une femme la dessous. On s'était planté. C'était le crabe.


 

Je prends le train habillé en noir. Je fais tâche dans ce tableau multicolore. Les autres voyageurs sont en rouge, orange ou bleu  Quelle misère ! Je n'ai même pas une pomme verte pour ressembler à un Magritte.

Même si je ne veux pas penser à Auguste, tout m'y force. La rame entière lit le même bouquin, tant de livres ouverts devant moi ou son prénom et son nom d'écrivain apparaissent bien petits devant le titre du roman en grosse police de caractère,  la maison d'édition s'octroie discrètement le centre du bas de la couverture : Auguste Radin, Lolita bis, chez Gallimard.

L'ami que je pleure a, à peine, connu le succès de son vivant. A croire que Dieu jaloux de sa plume lui a collé une maladie incurable sur le dos. Pourquoi ? Lolita bis se vendra moins que la bible !  Au regard de la grande échelle du temps aucun risque, même si le livre est en tête des ventes depuis neuf mois. Neuf mois la durée de l'agonie d'Auguste. Quelle ironie.

Parapluie à la main et chapeau melon sur la tête j'anticipe la météo. On annonce des averses sur l'ile de France. Des giboulées en juillet, allez comprendre.

Je prends un taxi pour faire les derniers kilomètres entre la gare et le centre-ville Le ciel hésite entre le gris et le bleu, au gré du vent sa teinte varie d'une couleur à l'autre.

J'approche de l'église. Il y a un monde fou, des journalistes et des caméras partout. J'atteins péniblement un attroupement de femmes et d'hommes au pied du parvis. J'en connais quelques-uns. Nous nous saluons,  nous nous serrons dans nos bras, nous échangeons quelques mots.

La foule sage prend place dans l'église. Elle  laisse les premiers rangs à la famille. Elle n'est pas encore arrivée. Par pudeur, je m'installe avec quelques personnes au fond, près de la porte encore grande ouverte. Je sens un courant d'air fait de chaleur et d'humidité. Il traverse le long couloir qui mène à l'autel. Il siffle et raisonne. Nous  n'osons pas parler, peut être pétrifiés devant le portrait d'Auguste installé à droite du podium d'où le prêtre officiera.

Le temps se suspend et fossilise cet instant étrange. Il dure une éternité. De dehors j'entends une voix qui s'active. Je me tourne. J'observe un agent des pompes funèbres en panique au téléphone. Il grogne sur son portable une bonne minute. De rage il le coupe puis  demande à parler au prêtre. Les deux hommes rentrent dans l'église et se postent tout à côté de moi. Je suis témoin avec quelques autres d'un dialogue à voix basses surréaliste.

-          Mon père, on a un problème. Le cercueil et le reste du cortège seront en retard.

-          Comment ça en retard ?

-          Ils se sont perdus du côté de Melun.  bug de GPS.

-          A la place ils n'ont qu'à utiliser une appli sur leur portable. Waze par exemple. Ca marche bien Waze

-          Ils se servent uniquement de leur portable que pour téléphoner

-          Ils n'ont qu'à prendre une carte routière

-          Personne n'en a mon père.

-          Qu'ils demandent leur chemin aux gens du coin alors

-          Il y a personne dans les rues. Ils sont tous devant les chaines infos pour assister aux obsèques.

-          Vous savez j'ai un mariage et deux baptêmes qui suivent. Je ne peux pas se permettre le moindre dépassement Je n'ai pas le choix. Je commence la cérémonie.

-          Mais mon père, on ne peut pas commencer sans le cercueil et la famille du disparu

-          Si mon fils, on peut. Avec la foi on peut tout. Allez les chercher, moi je gagne du temps. Mon homélie sera plus longue que prévue.

-          Mais…

-          Au pire vous nous rejoindrez au cimetière

-          Que diable. Agissez mon fils ! Rappelez votre collègue, donnez-lui rendez-vous quelque part

-          C'est ce que j'avais prévu mon père

-          Parfait mon fils

 

Il fait ce qu'il a dit. Le prêtre joue la montre. Son homélie se perd dans d'interminables digressions parfois interrompues par des chants. C'est long et inutile. Presque masochiste.

Là où il est Auguste doit en  rire. Je l'entends même se plier en deux devant nos bobines en nous disant

-          Vous en faites une tête les mecs.  Je suis en retard. Je n'ai plus la notion du temps. Ne vous inquiétez pas. Je ne souffre plus

-          Moi je peste : Et nous pauvre imbécile si tu savais comme on morfle !!!  T'es mort. Et nous on est là, on ne peut rien faire. Ce n'est pas supportable !!!!

On me regarde comme si j'étais fou. Je le suis. Je parle tout seul à voix haute

Une vieille critique littéraire au visage bien trop liftée me sermonne : vous pourriez fermer votre grande gueule ! Enfin !

Pour une journaliste du Figaro quelle vocabulaire familier. Je suis déçu. Doublement en observant son visage que la pénombre mortifère de l'église rend impropre à la beauté.

Je l'avais vue il y a trois jours sur France 5 dans la grande librairie rendant hommage à Auguste. Elle en faisait un peu trop à mon goût. Ce n'était pas Balzac, il n'avait écrit qu'un seul livre. Elle le regrettait et se disait que la providence avait fauché un talent presque en devenir. Quoiqu'en désaccord avec elle, je lui trouvais une circonstance atténuante, celle d'un visage mature charmant épousant la lumière à souhait. Osons l'adjectif télégénique.

On peut être belle et affirmer des énormités.

En quoi trouve-t-on de l'avenir à l'auteur d'un roman sulfureux, à fortiori lorsqu'il raconte la sordide histoire d'une liaison entre un maitre-nageur de 40 ans et une pré pubère ? On le trouve opportuniste et scandaleux c'est tout. On ne dit pas de lui que c'est le roi de l'épure. Il ne faut pas exagérer.

Même si Auguste avait du style et savait y faire. Il avait le sens du Buzz.

 

Un seul individu affiche un visage satisfait dans l'assistance. C'est mon voisin de gauche.

-          Il me tape sur l'épaule et me glisse : je partage votre chagrin

-          Ah bon, on ne dirait pas

-          Contrairement à vous je n'ai pas le deuil démonstratif

-          Je vois ça. Vous souriez presque. Je suppose que vous n'êtes pas de la famille d'Auguste

-          Détrompez, je suis son éditeur.

-          Vous avez un sens large de la famille

-          Oui

-          Pourquoi souriez-vous alors, c'est le coup du cercueil ?

-          Ca pourrait être drôle, d'ailleurs ça l'est. Non je souris pour autre chose

-          Je ne vous suis pas là

-          Mort, Auguste va vendre plus. J'ai demandé à ce que l'on augmente le tirage de son bouquin

-          Vous êtes à vomir

Le prêtre interrompt son homélie. Son portable vient de vibrer. Rapide dialogue avec l'agent des pompes funèbres. Le corbillard arrive.

C'est un miracle.

La porte de l'église s'ouvre. Un cercueil blanc ouvre la marche. Derrière lui, La famille s'avance, Elle me cache presque en totalité  la silhouette de la veuve d'Auguste. J'ai l'impression de la connaître.

Le prêtre regarde sa montre et fait une tête d'enterrement.

 


 

Nous faisons le chemin à pied. Cinq minutes de marche insuffisante pour aérer l'âme et le corps. 300 mètres séparent l'église du cimetière. A l'arrière du cortège, j'incorpore un groupetto d'insoumis à la tristesse, adepte d'une mélancolie sans larmes. Je parle avec des gens qui ont connu Auguste et que je ne reconnais pas. Entre nous existe un trait d'union, un homme que nous avons en commun, un étrange sujet de conversation que nous ne conjuguons pas encore au passé. On se souvient au présent.  C'est un voyage dans le temps qui rajeunit. Il fait du bien. Nous parlons de l'orphelinat que nous avons fréquenté avec Auguste. Ce bâtiment que nous apercevons au loin derrière le cimetière. La route monte et le souffle devient court. Les phrases aussi. Les mots sont sous pesés, choisis avec soin.  On laisse le silence remplir les blancs quand les mots ne viennent pas. On se regarde tous, et on traque, aux hasards des anecdotes racontées, le détail sur nos visages (une mou, un regard, une façon de se tenir) qui nous rappelle celui que nous avons été enfant. Et oh miracle la mémoire nous revient. Je reconnais le petit Bastien, le petit Bertrand, Paul, Pierre, Jacques, Henri tous mes camarades que mon esprit avait flouté au fil du temps.

On s'était perdu de vue et on se retrouve dans des circonstances malheureuses.

Avec Auguste, je suis le seul â avoir quitté du pays. Les autres sont restés, trop accrochés à leur terre et  à la famille de cœur qu'ils ont constituée.

-          Vous deux, vous êtes partis faire fortune à Paris me dit Bastien

-          Paris n'est pas si loin, à peine 45 minutes en train. Pour toi c'est le bout du monde, un autre univers.

-          C'est la grande ville. Et la grande ville ça me fait peur. Tout le monde s'ignore. Personne ne se tutoie. Contrairement à ici

-          Tu as raison. C'est quoi votre secret à vous tous ?

-          On n'a pas de secret mon gars. On prend juste un peu de temps pour s'intéresser à tout le monde. Vous autres à Paris, vous êtes trop pressés. Vous courez, vous foncez et à force vous tombez malade.  Et c'est à ce moment-là que vous redevenez civilisés. Vous vous attachez soudain à l'essentiel. Vous revenez aux sources. C'est ce qui est arrivé à ce pauvre Auguste. Se sachant condamné, il est revenu finir sa vie au pays.  il a fait des choses pour les gens du coin

-          Des choses ?

-          Oui, il a aidé à la rénovation de l'orphelinat. Il a fait des dons à droite à gauche. Il a soldé son compte avec Dieu.

-          Je vois

-          T'as l'air de tomber de l'armoire. T'étais pas  au courant c'est ça ?

-          Les derniers temps on se parlait peu.

La distance en guise de paravent face à une vérité qu'il voulait me cacher. Avec Auguste, on est resté en contact par textos. Un étrange dialogue.

Le dernier reçu s'est achevé sur : « je pars faire un long voyage ». Tout était dit. Et moi comme un imbécile j'ai voulu lui répondre : pense à faire tes valises. Heureusement que je me suis ravisé.

 

 

 

Le portail du cimetière s'ouvre en grand. Le corbillard roule au pas écrasant les graviers de l'allée principale. Nous marchons derrière lui en baissant la tête comme si nous voulions tous ignorer l'emplacement de notre dernière demeure. Nous finirons tous là, allongés, mangés par les vers et nourris par le souvenir de nos proches. Tant qu'ils penseront à nous, qu'ils parleront de nous autour d'eux, nous vivrons encore un peu, certes physiquement désincarnés, flottant dans l'esprit de ceux à qui notre nom dira quelque chose.

C'est peu ça l'éternité.

Le corbillard tourne sur la droite et prend une allée parallèle. Elle monte. Nous levons la tête pour le suivre du regard un court instant. Nos routes se séparent momentanément. Nous nous restons sur notre chemin, nous empruntons quatre marches de pierre, un petit escalier menant vers un endroit où les sépultures sont debout. Elles ressemblent à des cabines téléphoniques en granit rose toutes fermées, sauf  celle d'Auguste qui laisse libre court au vent de la visiter.

La foule s'est agencée en hémicycle autour de la tombe d'Auguste. Les préposés aux pompes funèbres y placent le cercueil, droit comme un i, face à nous, face au prêtre. Ce dernier lâche quelques mots rapides pour nous quitter à la sauvette. D'autres ouailles l'attendent. Il abandonne la veuve sans un regard vers son visage dont l'intégralité est cachée par un voile noire.  Elle adresse de touchants remerciements à tous en guise de point final à la cérémonie.

Sa voix me foudroie. Je la connais mieux quiconque. Je l'ai entendue ce matin me dire à ce soir mon amour.

C'est la voix d'Aude.

Comment aurais-je pu savoir qu'elle était madame Auguste Radin. Elle ne portait pas d'alliance le jour ou Auguste me  l'avait présenté pour la première fois, lui non plus n'en portait pas.

Comment aurais-je pu savoir que c'était un couple moderne, libre, adepte du chacun chez soi pour mieux se retrouver dans ces moments intimes ou personne ne veut se déclarer la guerre.

Maintenant je comprends pourquoi Auguste suivait attentivement l'évolution de mon histoire avec Aude, s'assurant que je ne commette pas d'impair pour la conquérir et la garder auprès de moi. Je comprends sa réaction disproportionnée, cette joie immense qu'il me témoigna, le jour où je lui appris notre intention de vivre ensemble.

Je lui ai dit : Aude s'installe chez moi.

Il m'a répondu les larmes aux yeux : c'est presque le plus beau jour de ma vie.

 

 

 

 

 

 

Je croise Aude à la sortie du cimetière. Nous sommes seuls un cours instant.  Elle a l'air d'une enfant prise en faute. Elle a le regard fuyant et cherche à s'accrocher à l'horizon. . Un homme s'approche de nous. Elle se reprend, elle redevient adulte. Il la salue et lui présente ses condoléances.

Je fais comme lui. Elle se laisse faire.

Nous jouons la comédie de la proximité.

Les gens du pays ne savent pas pour nous deux. C'est la seule chose qu'ils ignorent du grand roman qu'est la vie d'Auguste Radin. Je l'embrasse sur la joue en lui glissant : « je vous souhaite tout le courage du monde ».

Ce soir nous nous reverrons. Et pour la première fois, j'aurai de la retenue face à elle. Oserai-je aimer Aude en sachant son passé ? Oserai-je la serrer dans mes bras tout en voyant Auguste à travers elle ?

Et puis à quoi bon se torturer l'esprit

Les jeux sont faits.

On dit d'un homme prévoyant qu'il sait gérer sa fin en se délestant de ce qu'il a pour le bien de tous. Il m'a donné son épouse en héritage tout en lui  léguant son ami le plus précieux.

Auguste a su mener sa vie avec maestria au point de ne  laisser derrière lui que le regret de son absence.

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