Aujourd’hui, le vent. Des troupeaux invisibles charrient devant leur furie l’hétéroclite d’un monde déboussolé. Il en va des certitudes sclérosées comme des arbres centenaires ou de leurs feuilles déjà consumées, tout n’est question qu’angle et levier. C’est un front sans visage, ce sont des rides indistinctes, ces résistances parfois si facilement traversées qui soudain se font murs de violence. Aujourd’hui, le vent. Alors qu’il se pourrait qu’il n’ait pas d’existence. On l’appelle vent, souffle sans bouche, ainsi qu’une musique transperce l’espace sans paraître troubler l’air.
Aujourd’hui le vent. Ils l’ont appelé vent, tempête. Ils l’ont appelé tornade, parfois ouragan. Ils l’ont personnifié selon les lieux, selon la direction des courants fuyants. Mais il ne sait pas lui-même s’il peut porter un nom. Il n’est pas un spectre invisible courant d’arbre en arbre pour les secouer sinon comment au même instant couronnerait-il cet arbre-ci, celui-là, cet autre à côté, et tous les autres plus loin, et tout le bois, et toute la forêt, toutes les forêts ensemble ployées sous cette puissance ?
Aujourd’hui le vent. Ils en ont extorqué des métaphores guerrières, des tempêtes de fureur, des vents de révolte, des ouragans de colère, des tornades de ravages. L’innocente nature s’est pervertie par leur voix, dans leur langage confus, comme si leur folie soufflait au-dessus d’eux sans être de leur fait. Aujourd’hui le vent emporte et chavire. Quelles racines monstrueuses va-t-il culbuter ? pour les exhiber obscènes à la lumière crue de leur trivialité.