Aurore Rosa

Abel Skp

Elle est née sous la bonne étoile. Ses parents étaient de deux des maisons les plus vénérables et les plus riches de toute la région. Rosetta se prénommait-elle. C'était une fille aux vertus de rosière. Elle était d'une beauté de nymphe, sinon d'ange. Comme si cela était négligeable, dame Nature lui fit don d'un esprit rarement commun pour son âge. Pareille fleur ne pouvait que susciter envie et désir chez plus d'un. De fait, la demoiselle faisait rêvasser tout garçon qui en avait connaissance. Mais combien étaient-ils à ne pouvoir chanceler en sa présence ?


Moi par contre, mon quotidien n'était pas des plus enviables. Je suis roturier. Maudissais-je chaque instant passé à ouïr le manque résonné dans ma famille. Père était un homme brave et dévoué. Il œuvrait de toute énergie pour offrir ce que de mieux sa capacité permettrait d'offrir à ses enfants. Ma mère cette amazone fut emportée par un cancer la veille de mes sept ans, une cruelle pathologie à son sein droit. Dans la rudesse de l'existence je n'eus autre choix que d'abandonner l'école trop tôt pour aider mon bon père dans son atelier de vitrerie. Deux mains de plus pour accroître la productivité. Gustav mon aîné de quatre ans fut lui obligé par ce temps à devenir ouvrier dans la Compagnie de chemin de fer, au moment où ceux de son âge passaient le concours d'entrée à l'École supérieure ; dire que le rêve qu'il chérissait était architecte, comme ces gens formidables qui font pousser les merveilles de terre tel Hémiounou. Le Ciel veille ! mais notre benjamine fut atteinte d'une terrible maladie, un mal qui a rongé les dernières économies de notre père, cette vilaine sclérose qui siphonne en Ruth la vie.


Comme pour châtier ma modeste condition, la nature me rendit éperdu de la belle Rosa. Les premières fois que nous avions échangé des regards, ô que le sien fut tendre ! Des quelques mots échangés à ces occasions, je retins que la passion était réciproque. Malheur, sa famille n'appréciait guère sa compagnie du garçon du bas peuple, ces gens pernicieux dont il vaut souvent mieux se méfier. Plus d'une fois j'eus reçu des avertissements. Nous n'avions donc que résoudre d'échanger des mimiques, des gestes : elle sur son étage, moi devant l'azur les pieds au sol. Longtemps je contemplai cette ange, lui offrit des mantras en signes. Ce fut l'époque des sérénades silencieuses. Au fil des jours, tous deux ne supportant plus cette distance, nous avions développé aux grands secrets des dieux des stratagèmes pour se voir, se parler et se toucher des mains.


Plus menaçant était l'horizon. Ma mie va être envoyée à Londres chez son oncle, pour les études, m'avait-elle dit. Loin l'idée que cela me déplut. Je ne pouvais que lui vouloir le meilleur. Elle pleura au tréfonds de son être cette séparation qui se devait temporaire. Les trois années de passion ont fait fleurir en nous ce noble sentiment : l'Amour.


Les jours se sont succédé, les nuits ont passé, cinq années se sont écoulées mais de la belle qui colorie mes songes je n'eus plus mot. Je pleure, je pleure. Je pleure dans mon intérieur, et depuis quelques temps des yeux itou, ce depuis la mort de ma sœur bien aimée dont j'ai en exemple l'héroïcité face aux maux. Peut-être que Rosetta a effacé de sa mémoire les scintillants moments passés à deux, cette époque digne d'un Pyrame et Thisbé, enfin dans un sens. Toute tentative de correspondance est restée lettre morte, sans nouvelles. L'adresse a-t-elle changé ? Je crois tout mélancolique que ma Lumière a oublié le jeune homme semi-lettré et sans fortune éperdu d'elle.


— Oh diantre ! Ingrat, insensé ! Que dis-tu ? Rosa n'est pas ainsi. Elle n'est pas comme ces jeunes femmes modernes seulement préoccupées par la matérialité et la somptuosité du monde.


Ah... La muse de mon sourire ! Tu es cette étoile seule lumineuse au ciel de mes idées. Ô Belle, tu es la preuve que l'existence n'est pas que souffrance. Eternel amour. La seule vanité est un monde sans toi. Mon souhait, que ce prince cavalier, si c'est la raison de ton silence, te soit source de féeries. Malheur à quiconque pensera te nuire. Glorieux jours je souhaite à celui qui te rendra heureux. Quant à moi, jamais je ne t'évincerai de mon cœur. Je demeurerai sur mon quant-à-soi face aux nubiles qui risqueront d'effacer de ma pensée cette belle image, à jamais donc gravée sur la plus belle de mes vitres.


Spleen, souvenir et nostalgie ! Rien ne pourra voler mes souvenirs de toi.

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