Autant en emportent les livres au cinéma

sophie-dulac

Autant en emportent les livres au cinéma

 

 

 

 

J’avais une dizaine d’années, le film ressortait dans une version « écran large » et était projeté dans la salle de cinéma de notre petite ville.

 J’ai retenu mon souffle quand Mama a serré le corset de Scarlett, j’ai dansé dans les bras de Rhett, j’ai été prise d’effroi dans l’incendie d’Atlanta et j’ai pleuré quand Bonnie est tombée de son poney. Je peux me rappeler encore aujourd’hui le parfum de la glace que j’ai mangé à l’entracte. C’était rarissime un entracte au milieu d’un film. La longueur, presque quatre heures, et l’intensité des scènes, ce vibrato exacerbé  en technicolor rutilant de cette légende absolue du cinéma requéraient assurément  une pause, Coca Cola et consorts n’avaient pas encore fait leur entrée dans les salles obscures de province, une ouvreuse passait avec un panier.

Autant en emporte le vent  fut la source de mes tout premiers émois cinématographiques et sentimentaux.

 

Quand vint adolescence, en pleine époque de la Bruelmania, je n’avais d’yeux que pour ce cher Clark Gable et devenais la risée des copines qui rigolaient parce que j’en pinçais sévère pour un vieil  acteur Yankee gominé.

Pugnace, je finis par rencontrer mes fines moustaches moins cyniques que Rhett Butler mais tout aussi séduisantes. Six ans après elles m’épousèrent, je portai pour l’occasion une robe crinoline en dentelle blanche et vaporeuse. Avec le recul, j’avoue que je ressemblais davantage à une meringue qu’à une mariée, n’est pas Vivien Leigh qui veut.

Pourtant, grosse lectrice devant l’éternel, je n’incrimine en rien ici les meringues,  je n’ai jamais pu finir le roman de Margaret Mitchell. Il me semblait que j’avais fait le tour de l’aventure sur écran géant,  Scarlett était Vivien Leigh, Rhett, Clark Gable et  aucuns mots ne pouvaient changer cet état de fait.

 

Quelques années et livres après, une amie à qui j’avais prêté l’excellent livre, L’élégance du Hérisson m’invita au cinéma pour voir l’adaptation du livre de Muriel Barbery.

Ma déception fut totale. Renée, la concierge bourrue autodidacte et lettrée avait pris les traits de Josiane Balasko qui restait pour moi la Madame Musquin du « Père Noel est une

Ordure » coincée dans son ascenseur avec sa trompette, impossible de transposer.  Même le chat et les sashimis n’y étaient pas.  Je compris que les images ne pouvaient pas traduire les mots et toutes les émotions ressenties à la lecture. J’avais déjà fabriqué ma propre version, les personnages s’étaient définitivement matérialisés dans mon imagination et cette interprétation certes partiale et confidentielle resterait à jamais la meilleure.

Puis dans un avion pour un séjour outre atlantique, je zappai pour trouver un film susceptible de me faire passer le temps. Mon bouquin, Hôtel des adieux de Brad Kessler retraçait l’histoire de familles dont les proches sont victimes d’un krach aérien et je n’étais pas tentée de poursuivre plus avant ma lecture après le décollage.

Contrariée par ce mauvais casting, je tombai sur le film La Délicatesse de David Foenkinos d’après son propre roman, un livre que j’avais dévoré et qui restait un véritable coup de cœur. Le casque rivé sur les oreilles, le menton dans la couverture de  poupée qu’on m’avait distribuée avec la paire de chaussettes rouge cerise qui seyait à mes petits petons, je me laissai tenter. J’avais évité la catastrophe aérienne mais pas le mélodrame cataclysmique.

Voilà encore un contrecoup de Maastricht, comment un comique belge pouvait il incarner un suédois triste ?  En m’efforçant de faire abstraction de la nationalité de François Damiens, je précise que je n’ai rien contre les Belges, chocolatiers et brasseurs émérites,  et en évitant de penser à Audrey Tautou autrement qu’en Amélie Poulain, je ne retrouvai absolument rien du livre qui m’avait subjuguée. Les bureaux de l’entreprise de Nathalie, la crise de jalousie désespérée de Charles, son patron, les pull-overs de Markus, le jardin de la grand-mère, tout me parut surfait, improbable.

Je me jetai sur le plateau repas aussi glauque que Forbach en octobre et le terminai par dépit jusqu’au dernier crackers. Je rachetai illico la version numérique arrivée à destination pour me réapproprier le livre, ce qui combla heureusement les heures du décalage horaire.

Il y avait assurément quelque chose qui clochait chez moi. Je sublimais peut être trop mes lectures au point d’exacerber mes sentiments.

En idéalisant certains livres, j’étais dans l’incapacité d’apprécier même simplement de considérer leurs adaptations cinématographiques. Je devenais une sorte de jusqu’au-boutiste des mots.

On ne m’y reprendra plus.

Alors quand à  grand renfort médiatique, Michel Gondry propose l’adaptation de l’Ecume des Jours de Boris Vian, j’évite tout simplement les salles de cinéma, je n’ai pas beaucoup de chance, ce printemps s’annonce résolument pluvieux.

J’ai la plus profonde estime pour le travail de Gondry  et sa distribution des rôles titres me parait cohérente, la douce Audrey pour jouer la délicate Chloé et le séduisant Romain Duris pour le dandy romantique Colin.

 Mais ce sera sans moi, l’Ecume des Jours restera ce vieux bouquin de poche corné et annoté, mon trésor, parce qu’à chaque lecture et spécialement pour moi,  l’emblématique piano-cocktail de Colin crée le meilleur des Bellinis à la purée de pêche veloutée et au champagne à la caresse effervescente et pas un vulgaire Canada Dry.

Sur ces entrefaites, on peut rétorquer que le chef d’œuvre littéraire  aura une seconde vie, les films n’éclipsent généralement en rien les livres, ils les font vendre au contraire.

Qu’est ce qu’il disait Rhett Butler en quittant Scarlett ?

« Franchement ma chère, c’est le cadet de mes soucis. »

 

 

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