Aux grands hommes, la patrie reconnaissante

Charles Delelis

 Paris. Son plus vieux quartier, le cinquième arrondissement. Une imposante coupole se dresse fièrement tout en haut de la montagne Sainte-Geneviève. L'immensité de son élégante architecture piège l'oeil dans une prison d'émerveillement, attirant inexorablement l'explorateur de la métropole. Alors, vos pas vous guident à travers les rues pavées du quartier latin sans même que vous ne remarquiez d'autres colosses pourtant sublimes comme l'église Saint-Etienne-du-Mont ou la célèbre Sorbonne. Puis, Il est là. Dressé stoïquement sur la place qui porte son nom, le géant Panthéon surveille Paris sans relâche, malgré la foule d'admirateurs toujours présente autour de lui. Sa tête est un dôme dont les fenêtres sont ses yeux omniscients et le lanterneau, véritable ambassadeur de la foi chrétienne, sa couronne. Son corps prend la forme d'une croix grecque et s'ouvre au monde par un péristyle aux colonnes corinthiennes. Par dessus, sa chair forme un fronton triangulaire sur lequel fut tatouée la devise éternelle : "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante".

Préparez vous désormais à entrer. Mais avant cela, déposez toute fierté ou arrogance car face à ce que vous allez découvrir, nous ne sommes que peu de choses. Admirez donc les incroyables peintures murales qui ornent chacune des quatre nefs où règne une atmosphère pieuse. Observez le doux balancement du pendule de Foucault qui retranscrit aux yeux des mortels la rotation de notre planète. Descendez maintenant dans la crypte, le coeur du géant, et fermez les yeux. Ne pensez plus à rien et laissez l'âme de la créature vous submerger totalement. Ecoutez la voix à la fois caverneuse et paisible qui résonne solennellement à l'intérieur de votre crâne. C'est Lui, Il vous parle: 

 Je suis le Panthéon, vestige éternel de l'histoire de la nation, représentant de la culture et de l'apogée de la conscience.

Je m'élève vers les cieux tel le gardien des valeurs humaines en criant "vive la France" à d'éventuels voyageurs intergalactiques.

En mon ventre sommeillent les grands hommes des temps jadis, rendus immortels par leurs actes glorieux. Ils viennent désormais me prêter leurs visages emblématiques pour régner sur le quartier latin comme l'hydre légendaire sur ses marais. À celui qui ose s'aventurer dans mes entrailles, accepte d'écouter chacune de mes têtes qui se présenteront à toi. N'entends-tu pas? Certaines déjà se dirigent vers toi, désireuses de t'enseigner ce qui forgea notre si belle patrie: 

 Je suis la foi qu'anima Louis XV lorsqu'il crut sa fin venue et qu'il supplia Dieu de l'épargner en échange d'un sanctuaire pour sainte Geneviève.

 Je suis l'un des illustres précurseurs de la philosophie des Lumières qui éclaira le monde d'idées novatrices et bienveillantes, le génie de la littérature engagée, au style aussi élégant que précis, celui que l'on nomme Voltaire.

 Je suis l'esprit de la tolérance qu'insuffla Jean-Etienne Marie lorsqu'il signa son Edit de Tolérance en 1787, l'un des premiers pas vers la liberté de culte qui permit ainsi aux protestants de jouir des mêmes droits civiques que les autres citoyens.

 Je suis la bravoure du soldat français, à l'image du Duc de Montebello, Jean Lannes, qui combattit toute sa vie durant pour défendre les terres de l'empire napoléonien jusqu'au sacrifice ultime, le don de sa vie.

 Je suis la résistance des hommes de bien face à la tyrannie et à la folie du mal. Mon nom est Jean Moulin et j'ai préféré mourir sous la torture plutôt que de trahir mes frères.

 Je suis le monde de l'imaginaire, fait de rêves et de chimères sortant tout droit d'esprits créatifs au potentiel infini comme celui de Victor Hugo, père de la plus enivrante des créations littéraires, "Les misérables".

 Je suis la passion de la découverte qui permit à Pierre et Marie Curie, véritables conquistadores de la physique nucléaire, de remettre en cause les conceptions antiques les plus fiables telles que l'insécabilité de la matière.

 Je suis l'affirmation de l'égalité entre tous les hommes et Félix Eboué, le premier homme de couleur admis en mon sein, en est le porte-parole.

 Je suis le rêve d'un monde unifié, ignorant de la guerre et de la misère, dont Jean Monnet posa la première pierre lorsqu'il créa la première Union Européenne.

 Tu vois? Chacun de mes visages te rendra meilleur et plus humain. Prends donc le temps de visiter les autres plus discrètes et ne m'oublie jamais. Je suis l'âme de la terre des droits de l'homme. Je suis la liberté, l'égalité et la fraternité. Je suis la France. Je suis le Panthéon!

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