Aux petits
aile68
Au-delà des montagnes, des nuages, de la galaxie entière, je vogue, je nage, dans un océan de mots que les enfants emploient: cerfs-volants, grenadine, sable, coeurs en mousse, la foire à la grenouille, et bien d'autres encore. Ce sont des enfants d'une autre époque, pas si lointaine, d'avant les jeux vidéos et Nintendo, une époque bénie des dieux, où les cerises marquaient le début de l'été, les sandwichs et les chips des sorties scolaires étaient notre festin à nous, notre destin même peut-être, celui qui commençait à la porte des grandes vacances et qui nous mènerait Dieu sait où vers des aventures, des jeux où garçons et filles se chercheraient, où le bazar serait notre ordre à nous, notre condition de vie, la condition sine qua non de notre existence. Les premiers vidéos clips sortaient à la télé, j'avais onze ans, peut-être, on avait acheté un disque: "Video kills the radio star", une nouvelle ère commençait. J'adoptais ma tenue de militante féministe, jean et baskets, mes robes de petite fille ont fini chez d'autres petites filles, ma salopette orange, ma robe orange, je m'en souviens bien, j'aurais aimé garder la belle salopette, et mon ciré jaune... Mettre ma robe salopette pour Pâques, avec mon tee-shirt "Pizza", une tenue cool dans laquelle je me sens bien, et toujours mes baskets, en toile blanche, "Levis" ou "Creeks", les tenues de printemps moi j'aime. Faire ce qu'il me plaît de faire, être une véritable dilettante, enlever l'anti-vol sur mon vélo et prendre la clef des champs, une expression que j'aime employer. L'expression des beaux souvenirs, de l'été 1978 où je découvrais le terme "canicule" et "flirt", je n'ai connu la mer que dix ans plus tard environ, "aviron". Je me rappelle un beau château sur la plage, on eût dit qu'il était de sable sous le soleil de là-bas, un château qui m'a fait croire à une histoire entre un garçon et une fillette, "Luca et Pasqualina" que j'ai inventés dans ma chambre d'étudiante. "Etudiante": le mot que je déteste le plus au monde, une erreur, une horreur que les institutions ont inventées. Bref, je me comprends.
La réalité est belle et moche, dure comme un diamant, un caillou doré, mettre un peu de rose, je connais quelqu'un qui disait que la vie c'est gris, ma foi, il y a de jolis gris, comme le sweat que j'aimais porter quand j'étais ado, un gris souris, clair, comme ma voix quand je lis des histoires aux petits,
aux petits.