Avant de partir (3)
sauzki
Chapitre 3
Sur la route du retour je me sens seul. Je n’ai pas envie de rentrer chez moi, allumer la lumière dans le silence, regarder l’intérieur vide et commencer à enchainer les gestes jusqu’au sommeil.
J’ai envie d’appeler Sally.
Sally est une pute. Un flic avec une pute, un cliché de plus. Nous nous croisons régulièrement. Elle ne me fait pas payer. Elle me dit que ça lui fait du bien de coucher avec un homme sans recevoir d’argent, elle a l’impression de retrouver une vie normale.
La première fois que j’ai vu Sally j’ai été fasciné par son regard. J’étais encore une fois dans un bar pour éviter de rentrer chez moi. Elle n’était pas vraiment belle assise au fond de la salle. Pas vraiment vulgaire non plus, juste un peu. J’ai croisé ses yeux et j’ai eu envie qu’elle soit heureuse, rien de plus. Je ne sais pas pourquoi, c’est venu comme ça, comme une respiration. La détresse qu’elle tentait de cacher, son sourire presque vrai, ses mains posées sur la table grasse, un peu mal-à-l’aise. Je me suis levé et je me suis approché d’elle. Pendant ces quelques secondes, je me rappelle à quel point j’espérais qu’elle soit là par hasard, pas à la recherche d’un client. Je savais bien qu’il était peu probable d’être une femme seule dans ce type de bar à 23h00 sans que le sexe soit une activité professionnelle, mais j’espérais. J’espérais qu’elle attende une amie qui habite dans le coin, qu’elle lui dirait de quitter se bar sinistre dès qu’elle arriverait pour partir faire la fête n’importe où mais loin d’ici.
Je lui ai demandé si je pouvais m’assoir, elle m’a dit oui. Nous avons discuté quelques minutes, en faisant semblant de ne pas savoir. Elle aussi, à cet instant aurait aimé que nous soyons deux adultes en train de faire connaissance, juste deux être qui pourraient s’embrasser puis s’aimer, peut être.
Puis elle m’a fait comprendre que nous pouvions monter, je ne lui ai pas dit que j’étais flic, je l’ai suivi un peu honteux, excité. Je me rappelle très bien les détails de cet escalier mal éclairé, comme si la lumière fuyait les visages, les marches craquant sous nos pas, l’une après l’autre, cette tapisserie décolorée et salle. Puis la chambre, forcément sinistre, qui fait fuir tout désir. Nous nous sommes assis, côte à côte. Nous sommes restés longtemps à attendre sans parler, à proximité. J’imaginais qui elle pouvait être, quelles épreuves avaient pu l’amener finalement dans cette chambre, à vendre son corps. Son regard resté figé. A un moment je lui ai dit que j’étais flic. Elle m’a répondu simplement « je sais », puis m’a demandé si j’allais l’arrêter. Je l’ai embrassé et je suis parti.
Ce n’est que plusieurs semaines après que je suis retourné dans ce bar. Sally n’était pas là. Je pensais à elle souvent, à son regard, sa fragilité. J’étais seul et je me suis laissé prendre à ce que j’avais envie de vivre, tout simplement. Je suis donc repassé régulièrement, espérant la trouver.
Un soir, je l’ai enfin vue assise à la même place. Elle était là, à discuter avec un mec visiblement intéressé par ce que Sally pouvait offrir. Je me suis approché, bêtement jaloux, j’ai demandé à l’homme de partir, d’abord gentiment, puis beaucoup moins quand il m’a répondu qu’il était arrivé le premier. J’ai discrètement soulevé ma veste et la simple vision de mon arme a suffi à le faire changer d’avis et partir.
J’ai pris Sally par la main et je l’ai emmené au restaurant, nous avons oublié nos vies respectives pendant quelques heures et nous avons parlé, naturellement, pas comme une pute et un flic, comme une femme et homme.
Je sortie de mes souvenirs pour appeler Sally. Répondeur, comme toujours. Je tentai de ne pas imaginer pourquoi elle ne répondait pas, je chassai de toutes mes forces l’image de Sally en train de sucer un client mais ce fut impossible. J’eu envie de tabasser quelqu’un, un homme, un client de Sally, tous les clients de Sally, un part un, avec du sang, beaucoup, partout. Je laissai un message :
- Sally, si tu n’es pas trop fatiguée après avoir sucé tous ces mecs, j’aimerais te voir. Appelle-moi.
Je raccrochai et j’eu la certitude d’être un gros con qui venait de laisser un message minable.
Ça fait quelques mois maintenant que nous sommes dans une non relation où il n’y a rien en théorie mais dans laquelle je m’attache. Je sais qu’il ne faut pas, j’ai dans la tête une liste bien établie d’arguments m’expliquant qu’il n’y a aucune issue, que cela ne mène à rien mais je ne parviens pas à effacer son numéro et je décroche quand Sally m’appelle, comme si mon cerveau ne parvenait pas toujours à commander mon corps. Alors nous nous voyons, sans parler de nos journées, sans parler de ce que nous voulons, de l’avenir qui ne peut qu’arriver, nous parlons de cinq minutes passées et au mieux d l’heure à venir.
J’arrive finalement chez moi en ayant réussi à ne plus repenser à cette soirée. J’ai conduit en concentrant mon esprit uniquement sur mes gestes, en éloignant mon inquiétude pour Pierre et l’image de Sally. Rien d’autre que conduire, tourner, me garer et monter l’escalier jusqu’à mon appartement.
En arrivant mon téléphone sonne, je découvre un SMS de Sally, un message clair, synthétique, facile à comprendre : « CONNARD !!». Je réponds simplement et acceptant la réalité : « Je sais ». Puis j’espère, j’espère qu’elle appelle, j’espère qu’elle passe me voir, je n’espère pas grand-chose, juste être un peu avec elle en oubliant la réalité de ce qu’elle est.
Je m’endors avec mon téléphone, comme un enfant avec son doudou, mais rien ne vient, le silence puis le soleil se lève après quelques heures de sommeil agité. Sally n’a pas appelé, Sally a fait autre chose cette nuit, sans moi.
Je me réveille donc de mauvaise humeur pour attaquer un dimanche qui s’annonce long. Il est 10h00 et je cherche comment je vais occuper ma journée. Je ne pourrais pas voir Pierre seul aujourd’hui, puis c’est lui qui doit m’appeler quand il le pourra. Je vais donc devoir patienter avoir de savoir ce qu’il se passe.
Je n’ai rien à faire et personne à voir. Sally doit dormir à cette heure et de toute façon avec nos échanges de la veille il me semble peu probable que l’on se voit avant quelque temps.
Le ciel est gris, la lumière fatiguée, moi aussi. Je retourne dans mon au lit et avec un bouquin. Que demander de plus ?