Avatar

yves

Note : comme on dit, ceci est une oeuvre de pure fiction. Je remercie James Cameron de ne pas envoyer ses avocats.

Avatar :

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      Eywa ngahu int ! »
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      Eywa ngahu int ! » répondit Jake automatiquement. Propulsant les roues de son fauteuil, il adressait à Milton la phrase rituelle qu'échangeaient celui qui quittait sa couche avec celui qui allait s'y installer.


 

Aguerri par une longue habitude (cinq ans déjà, pensa-t-il brièvement) Jake s'extirpa seul de son fauteuil, se hissa à la force des bras et ramena ses jambes mortes. Tandis qu'il s'allongeait Chad se penchait vers lui pour le contrôle de routine. Bien sûr Jake avait déjà été contrôlé avant l'entrée dans la salle de transfert mais Chad vérifiait toujours une dernière fois. Puis, installant les contacteurs autour du crâne de Jake rasé aux endroits voulus, Chad lança quelques dernières paroles. « Trois fois cette semaine, Jake ? Tout va bien, alors ? » « Tout va bien Chad, tout va bien. » répondit Jake machinalement en tendant le bras pour ramener le couvercle vers lui, l'esprit déjà projeté vers Pandora.


 

Quelques bruits de verrouillage, mise en place des composants, Jake ferme les yeux et se détend. Concentration, inspirations profondes, relâchement musculaire, il entend à peine la voix de Chad qui annonce « Transfert ! ».


 

Et c'est parti. Synapses qui se brouillent, moment de vitesse vertigineuse le long de l'immatériel et ténu fil spiralé lumineux qui relie la Terre à Pandora, et Jake ouvre les yeux, là-bas, dans ce qu'il considère comme son réel chez lui, son nouveau monde, dans le corps de son Avatar.


 

Jake était fier de son Avatar. Grand, mince, rapide, puissant, comme tous les autres biens sûr, mais celui-là c'était le sien.


 

Se levant souplement, Jake quitte le hamac aérien où repose son Avatar lorsqu'il ne l'occupe pas, saute d'un bond sur la branche immense qui sert de chemin et rejoint le village perché. De toutes parts, des figures amies l'accueillent avec plaisir, des « Kaltxì.nga-ru lu fpom srak? » se répondent. Jake est heureux lorsqu'il voit que le hamac de Syrena est vide. Son amie est donc là elle-aussi.


 

Offrant à ses sens le plaisir de ressentir Pandora par la vue, l'ouïe, l'odorat et le toucher, Jake saute souplement de branche en branche à la recherche de Syrena. Il espère qu'ils pourront ensuite chevaucher leurs Ikran et s'isoler, quelque part dans l'un des lieux paradisiaques dont regorge Pandora.

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«L'organisation Pandora » est une structure dont les principes furent développés aux Etats-Unis en 2026 par James Cameron. Le premier « centre de transfert » vers Pandora fut établi à Brea (Californie) en décembre 2027. L'organisation Pandora tient pour réelle la planète du même nom décrite dans la trilogie Avatar réalisée par James Cameron entre 2009 et 2018. L'organisation assure proposer à ses membres le transfert de leurs sens vers le corps d'un extraterrestre d'une race appelée « Na'vi » vivant sur Pandora. »


 

Pour la millième fois peut-être, Dharma relit la page Wikipédia consacrée à l'église de Pandora en bouillant de colère. Jake vient à nouveau de quitter la maison sans rien dire, elle sait parfaitement qu'il est parti au Centre pour s'interfacer encore à cette maudite machine, en croyant réellement que son cerveau franchit les années-lumières pour s'incarner dans son avatar.

En 2026, lorsque Cameron avait déclaré lors d'une nouvelle remise de prix couronnant sa carrière, devant une assistance médusée, que Pandora était réelle et qu'il la visitait régulièrement, des silences gênés avaient accueilli ses propos.

Les journaux avaient glosés sur le début d'Alzheimer du réalisateur le plus couronné et le plus riche de toute l'histoire du cinéma, mais des millions de fans à travers le monde s'étaient levés et avaient voulu en savoir plus.


 

« Après ses premières déclarations, James Cameron a assuré disposer d'un lien psychique le reliant à certains Na'vi, lien par lequel lui seraient parvenus les informations qu'il a ensuite utilisées dans la trilogie Avatar. Il a déclaré dans une conférence de presse tenue le 12 novembre 2026 que l'association entre les connaissances Na'vi et la technologie terrienne lui avait permis de réaliser un « module de transfert » permettant à tout humain compatible de découvrir Pandora en s'incarnant dans le corps d'un Na'vi artificiel proposé par « Eywan », force spirituelle, guide et déité de Pandora. »


 

Dharma se souvenait du déferlement mondial contre Cameron qu'avait suscité cette conférence. Mis au ban d'Hollywood, le réalisateur avait été obligé de se retirer dans sa gigantesque propriété près du Joshua Tree National Reserve. Mais dans le même temps des centaines puis des milliers de fan affluaient, parcourant des dizaines, des centaines voire des milliers de kilomètres pour bénéficier du transfert.

Et ainsi, un an plus tard, ouvrait officiellement le premier « centre de transfert » de cette structure désormais connue sous le nom de « Organisation Pandora ».

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      Eywa ngahu int ! »
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      Eywa ngahu int ! » répondit Jake automatiquement. Propulsant les roues de son fauteuil, il croisait celui qui allait prendre place dans la couche après lui.

Ces six heures sur Pandora avaient, comme d'habitude, été un moment de bonheur intense. Un peu étourdi maintenant, retrouvant son corps diminué, il se dirigeait vers la douche, comptant ensuite passer quelques heures au Centre à discuter ou à ne rien dire, simplement pour prolonger le moment. Ensuite, trop tôt, bien trop tôt, viendrait le moment du départ. A bord de sa voiture aménagée pour la conduite par un infirme il ferait les cent miles vers San Bernardino où l'attendait son employeur. Cette fois il lui faudrait sûrement bosser une voire deux semaines avant de revenir au Centre. Les transferts coûtaient cher et il avait un peu cassé sa tirelire pour ces trois voyages en une semaine. Mais les heures passées avec Syrena le valaient bien. Comme à chaque fois, Jake était un peu honteux d'avoir éjaculé dans son pantalon, mais ainsi que le disaient les techniciens du transfert « Votre cerveau est encore ici. Et nous ne sommes que des hommes. »


 

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« Qualifiée de secte dans certains pays, notamment la France

, elle n'est souvent considérée ailleurs comme une simple organisation commerciale. Ses pratiques, au travers notamment de ses différentes organisations satellites, ont également fait l'objet de controverses et de procédures judiciaires. Au cœur des controverses figure le « transfert » qualifié d'irréalisable par la presque totalité de la communauté scientifique. De nombreux articles de presse ou documentaires consacrés à l'organisation tendent à démontrer que l'organisation a en réalité mis au point un stimulateur neuro-sensoriel permettant d'injecter des images, concepts et émotions dans le cerveau humain qui, s'il est préalablement conditionné, reconstitue une réalité que le sujet ne peut distinguer du monde réel (voir à ce sujet les travaux du Professeur P. Kindred Dick). »

« L'organisation a souvent été qualifiée « d'église des fauteuils roulants », en référence à l'attirance de nombreux handicapés pour le transfert et la promesse d'un corps sain et valide. Cette attirance est à l'origine de nombreuses procédure judiciaires basées sur la notion de « personnes vulnérables », sous-entendant que le handicap serait source de manque de discernement face aux promesses de l'organisation. A ce jour les condamnations rendues l'ont toujours été contre des individus dont l'organisation Pandora a déclaré qu'ils agissaient de leur propre initiative, jamais contre des structures de l'organisation en tant que personne morale. »

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Jake roule vers San Bernardino, l'esprit projeté vers son compte en banque. Il ne sait guère comment mettre de côté plus d'argent qu'il ne fait actuellement. Sa soeur Dharma l'héberge pour un loyer symbolique, il se nourrit et s'habille à moindre coût des surplus du supermarché où il travaille, c'est sa voiture qui est le premier poste de ses dépenses. Mais comment faire autrement. Il lui faudrait cesser les transferts durant un semestre entier pour s'acheter une de ces nouvelles voiture électrique qui ne consomme rien et ça, c'est physiquement impossible. Il n'y survivrait pas, il le sait. Pour la même raison, il est hors de question de se livrer à un quelconque acte illégal. Une peine d'emprisonnement aurait le même résultat. Les journaux évoquent régulièrement le cas de membres de l'organisation qui n'ont pas supporté la détention et qui se retrouvent conduits en hôpital psychiatrique où ils sont bourrés de médicaments.

L'organisation mène des campagnes régulières contre ces internements, contre le lobby des psychiatres et des procureurs alliés dans leur combat contre Pandora.

Si simplement ces esprits étroits et étriqués venaient au Centre. Si seulement ces gens qui se croyaient supérieurs visitaient une seule fois Pandora. Mais non. La communauté scientifique refusait ce qu'elle ne pouvait expliquer. Cameron avait largement expliqué qu'il ne souhaitait pas que ses connaissances soient mal utilisées. Il ne voulait pas que Pandora vive un jour une invasion telle qu'il l'avait décrite dans sa trilogie. Qui sait ce que des esprits malveillants, sournois, rigides, brefs terriens, pourraient causer à Eywan.

Jake, lui, bénit chaque jour Cameron d'avoir donné un but à sa vie. Avant les transferts il n'était qu'un infirme, toujours plaintif, vivant aux crochets de sa sœur, aux crochets de la société. Mais l'organisation avait accepté de lui offrir un premier transfert. Dharma disait que l'organisation agissait comme un dealer qui offre sa première dose au futur junkie. Mais Jake était allé sur Pandora. Il savait que c'était réel. Et il comprenait que la technologie coûtait cher. Créer et maintenir un « trou de ver » dans le champ gravitationnel terrestre demandait une énergie considérable et des machineries tellement sophistiquées qu'elles n'avaient aucun équivalent ailleurs dans la science terrienne.

Depuis les premières attaques contre l'approvisionnement énergétique du premier centre, ils disposaient maintenant de leurs propres centrales énergétiques à base de panneaux solaires et d'éolienne, ce qui les obligeait d'ailleurs à s'implanter hors des zones habitées. Jake savait que de nombreux pays de par le monde refusaient d'ailleurs ces implantation, empêchant ainsi l'organisation d'offrir des transferts à l'humanité entière.

Jake chasse ces mauvaises pensées de son esprit. Tout en conduisant, il rappelle à lui les techniques de relaxation apprises à l'organisation. Être positif. Être sain. Projeter ses forces vers l'action. Voir l'harmonie autour de soi. Admettre que celui qui voit Pandora est un privilégié jalousé par des humains incompatibles. Peu à peu les tensions se dénouent, se dissipent. Il va travailler dur, comme d'habitude, pour garder sa place, améliorer son salaire. Pandora vaut tout cela.

Comme à chaque fois, il se compare avec ce qu'il était hier. Fumeur, hypersensible à la douleur, mal dans sa peau. L'organisation lui a appris à dépasser tout cela. Lui a inculqué une discipline mentale grâce à laquelle il s'est bâti un nouveau corps. Toujours paraplégique, mais sain. Il est heureux de ressembler maintenant à son modèle Jake Sully avec lequel il est fier de partager le prénom.

C'est cher mais cela le vaut bien. Ainsi pense Jake en roulant vers San Bernardino, s'étonnant du nombre de camions TV qu'il croise. Il allume la radio, intrigué.

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«- James Cameron est mort. » Dharma est abasourdie lorsque le présentateur de Fox interrompt les programmes pour un flash spécial. « L'organisation Pandora a fait savoir officiellement aujourd'hui, il y a une heure, que le célèbre réalisateur avait succombé dans la nuit à une attaque cérébrale. Tout de suite, nous rejoignons notre envoyé spécial devant les grilles du domaine de l'organisation, près du parc national de Joshua Tree en Californie. »

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Jake s'est arrêté sur le bord de la route, la tête vide. Cameron est mort. Les mots tournent en boucle dans sa tête, sans fin. Que va devenir l'organisation ? Que va devenir Pandora ? Que va-t-il devenir, lui ? Pourra-t-il à nouveau rejoindre son avatar ?

De longues minutes lui sont nécessaire pour se reprendre. Cameron n'était pas seul. D'autres que lui faisaient fonctionner les machines. L'organisation est bien structurée. Le pire était sûrement prévu.

Jake essaie de se rassurer lui-même, appliquant les préceptes appris de l'organisation. A ceux qui veulent, rien n'est impossible.

Pandora n'a pas disparue avec Cameron. Son avatar l'attend toujours, là-bas, endormi, c'est sûr.

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Six mois plus tard.

« La commission d'enquête indépendante formée à la demande du Congrès pour examiner les allégations de l'entité nommée Organisation Pandora à la lumière des déclarations d'anciens techniciens et hauts dirigeants ayant quitté la dite structure au décès de son dirigeant James Cameron conclut que :

          o

            l'Organisation Pandora n'a jamais disposé d'aucun moyen scientifiquement validé de joindre un quelconque « esprit » sur une soit-disant planète « Pandora » dont l'existence n'a également jamais été démontrée.
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            l'Organisation Pandora a développé secrètement un stimulateur neuro-sensoriel permettant d'injecter des images, concepts et émotions dans le cerveau humain qui, s'il est préalablement conditionné, reconstitue une réalité que le sujet ne peut distinguer du monde réel.

          o

            L'Organisation Pandora a sciemment utilisé cette technologie de stimulation pour duper les personnes en leur injectant des informations qui reconstituaient la vie sur la planète Pandora dans le corps d'une entité extraterrestre appelée « Na'vi ».
          o

            Il n'a pas été établi formellement si M. James Cameron, aujourd'hui décédé, a initialement secrètement financé la mise au point cette technologie dans le seul but de leurrer des personnes ou s'il a pu être manipulé par d'anciens hauts dirigeants de l'Organisation Pandora décédés durant l'enquête.

En conséquence, cette commission enjoint l'Organisation Pandora :

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      à rembourser toutes les sommes perçues pour des « transferts » augmentés des intérêts légaux, sur simple demande des utilisateurs.
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      à faire paraître sur tous ses documents à destination d'un public extérieur l'information selon laquelle la technologie utilisée ne permet aucunement de se projeter à distance mais crée une réalité virtuelle au sein de la conscience de ses utilisateurs.
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      à collaborer avec les autorités médicales des Etats-Unis afin de s'assurer de l'innocuité du dit procédé.

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Un an plus tard.

    *

      Eywa ngahu int ! »
    *

      Eywa ngahu int ! » répondit Jake automatiquement. Propulsant les roues de son fauteuil, il croisait celui qui allait prendre place dans la couche après lui.

Ces six heures sur Pandora avaient, comme d'habitude, été un moment de bonheur intense. Après six mois durant lesquels tout transfert avait été interdit, après six mois éprouvant de déballage de pseudo-vérités par cette commission téléguidée par le gouvernement, Jake avait enfin pu recommencer à se projeter sur Pandora.

Pendant tout un trimestre Dharma lui avait asséné les soit-disant preuves rassemblées par la commission.

Et alors ?

Pour Jake comme pour les milliers d'autres qui continuaient à se rendre aux seuls deux centres de transferts que l'Organisation avait pu conserver lorsque les rats avaient quitté le navire, la vérité était ailleurs.

Personne ne comprenait donc que, transfert vers Pandora ou réalité virtuelle, au moins durant ces heures ils étaient en paix. Des corps complets, des sens surdéveloppés, un monde parfait autour d'eux, ils échappaient à leurs enveloppes corporelles diminuées ainsi qu'au monde si laid qui les entouraient.

C'est pour cela que Jake venait, et viendrait toujours.

* FIN *

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