Avatar

Fanny Finet

Une jeune femme pleine de charmes se fait prendre à son propre jeu...

« Ce soir, tu seras une brillante avocate. Il faut que tu aies l'air d'avoir une trentaine d'années, de quoi être crédible. Tu as un peu grossi, non ? Attention, je te paye assez cher comme ça, alors ne te dévalue pas, hein ? allez, fais pas cette tête, je rigole ! Je passe te chercher à 20h, ok ? Et sois prête ! Robe, talons, les yeux ? Maquille-les fort. Tu connais la chanson, hein ? »


Maria, 25 ans, connaît la chanson. Jouer avec son apparence, c'est encore ce qu'elle sait le mieux faire. Tromper les gens. Qu'ils se sentent désirés surtout, et ils signeront.

C'est un contrat important, apparemment. Il y a beaucoup d'argent en perspective. Maria sourit. Après tout, elle préfère cela au job crasseux du Mac do. Il fallait bien en arriver là avec des parents qui refusent de subvenir à ses besoins sous prétexte que ses études sont une lubie récréative.

Lui ? Elle l'a rencontré il y a trois ans alors qu'elle peinait à joindre les deux bouts. Payer le loyer, manger, aller en cours. Tout devenait problématique. Mais c'est fini. Depuis que des hommes ont besoin de faire parler leurs instincts primaires. Dommage, elle aurait aimé que son intelligence et sa liberté créatrice rapportent autant.

Depuis le temps qu'elle allait à l'école, qu'elle se cultivait, apprenait la philosophie, on lui avait raconté que l'apparence ne comptait pas, et qu'au-delà de ça, c'était l'être, ce qu'il y avait au fond de chacun de soi qui importait. Foutaises!

L'être ne fait pas manger.

Dans ce monde superficiel, seule l'apparence prévaut. Maria l'avait compris, presque à ses dépens. Une après midi, sur la plage, la tête renversée en arrière, elle profitait du soleil. Il était arrivé, presque comme une caricature, s'était agenouillée à sa hauteur, mâchouillant sa branche de lunette ray-ban. Il ne lui avait pas proposé de faire des photos de nus, ni de devenir mannequin. Non, il lui avait proposé tout autre chose. Elle serait une sorte de femme fatale, protéiforme, dont l'arme principale serait la beauté, de celle qui peut faire chavirer les portefeuilles des grosses entreprises. Maria avait accepté les règles comme si c'était un jeu. Très vite, elle avait gagné en assurance. Elle assumait tout type de rôle, de la potiche sympathique à l'entrepreneuse prometteuse. Et à chaque fois, le cœur de ses victimes s'étiolait, oubliant des sommes astronomiques dans le vert de ses yeux. Presque hypnotisés, ils signaient, pourvu qu'elle fixât sur eux un regard plein de désir.


Ce soir là, elle a eu peu d'information sur le client qu'elle devait charmer. Ses talents d'avocate brillante s'alliant à une beauté particulièrement célébrée devront persuader cet homme de devenir actionnaire d'un laboratoire d'essais sur animaux. L'enjeu est peu glorieux. Pour écourter ce repas, elle a misé sur un décolleté vertigineux que ses yeux suggestifs soulignent. Elle a confiance en elle. Elle existe socialement, dans le regard des autres. Reconnue enfin, non pas pour ce qu'elle est mais pour ce qu'elle parait. Après tout, il n'y a aucun mal à cela ? Qui pourrait la brimer pour ce comportement ? Personne n'est au courant. Ni ses amis, ni ses parents. Ces derniers sont fiers de constater que leur fille se débrouille toute seule.

Et effectivement, elle évolue dans un double monde. La journée, étudiante aux beaux-Arts, parlant de la dernière exposition de Polanski. Et le soir, femme fatale, Carmen envoûtante, sublime, presque irréelle mais cela aucun des hommes qu'elle fréquente ne l'aurait admis. Trop imbus d'eux-mêmes pour comprendre qu'une femme comme cela n'existe ni pour eux, ni pour personne. Maria méne une vie multiple, comme autant d'échantillons à usage unique.


La sonnette de son interphone la tire tout d'un coup de sa torpeur, de ses réflexions de petite fille culpabilisée.

-« Tu descends ? »

-« Oui, j'arrive » La porte de son studio a déjà claqué, ce sont ses talons qui prennent le relais.

Elle arrive un peu essoufflée, mais resplendissante. La roseur de ses joues lui donne un air enfantin qui attendrit Marc, juste un instant. Elle grimpe dans la voiture et frissonne sur les sièges en cuir, juste un instant.

« - Bon tu te rappelles ce que je t'ai dit ? Le bonhomme que tu dois faire tomber est un gros entrepreneur, s'il accepte de financer ce labo, c'est jackpot pour nous »

Maria remarque la lueur de folie qui anime les yeux de Marc. Comme toujours, l'appât du gain agit sur lui comme de l'héroïne injectée dans les veines. Douce illusion.

« - C'est pour faire des tests sur les animaux, c'est ça que tu m'a dit ce matin ? »

« - Ouais, bin ça, ça nous regarde pas. Fais ce que t'as à faire, c'est tout »

Répugnant, pense Maria en levant les yeux au ciel.

La voiture stoppe devant un grand restaurant. Maria sort, derrière elle, Marc. Elle veut faire une entrée remarquée. Comme dans les films. Le regard baissé, elle franchit la porte, esquisse quelques pas. Elle s'apprête à relever la tête, les boucles de sa lourde chevelure masquent ses yeux, son plus bel atout. Son regard se fige, les sourcils se froncent. Un cri retentit dans la salle. Maria porte la main à sa bouche. En face d'elle, il y a cet homme, cet entrepreneur, peut-être faillible, peut-être malhonnête, peut-être amoral, son père.

Signaler ce texte