avec le vent du Nord
marie-roustan
« Ben vraiment, j’en reviens pas ! Quand même les mecs, c’est une drôle de race ! »
La jeune femme aux cheveux fous, se dressait face au vent du Nord, hurlant dans son souffle, sur un des ponts dominant le canal de dérivation du Rhône.
Mais ce matin d’octobre, pas de soleil, seulement des nuages bas, qui n’avaient pas eu le temps de lâcher leurs gouttes en amont et qui se bousculaient, aspirés par quelque tornade au large, en Méditerranée.
Oui, son mec l’avait larguée sans un mot d’explication ou plutôt si, avec une colère froide, sur le prétexte stupide qu’elle avait la bougeotte et qu’il avait besoin de tranquillité.
Mais, voilà, elle n’arrivait pas à s’y faire : dix ans qu’ils vivaient ensemble, partageant une passion folle qui les jetait dans les bras l’un de l’autre, à n’importe quel moment. Comme lorsqu’il l’avait regardée mordre dans une pomme sans l’éplucher et que, brusquement, il lui avait fait l’amour. Ce moment, et bien d’autres avec, elle le revivait avec une intensité telle qu’elle en avait les larmes aux yeux.
Mais là, c’était certain, il était parti et ne reviendrait pas, elle en était sûre …
Du moins le pensait-elle, du moins en était-elle persuadée …
Mais pourquoi ressasser ces pensées d’un autre temps, revenir sur cette vieille illusion ?
Son regard devait se tourner vers d’autres horizons, mais elle hurlait toujours face à ce vent du Nord glacial.
Sa peine était lourde et elle aurait voulu que le vent la soulève, comme la poussière en été, l’emporte par-delà la mer, dans des pays où elle se serait fondue dans la misère des gens et où elle n’aurait plus été qu’un chagrin de petite fille nantie.
Mais voilà, savait-elle ce qu’elle voulait vraiment ?
Maintenant elle pouvait être libre et tranquille, mener sa vie sans rendre de compte à quiconque …
En réalité, la peur de se retrouver seule face à ses responsabilités la jetait dans une rage folle.
Elle en voulait, à cet homme tranquille, de l’avoir tenue à sa merci toutes ces années : tout était si simple, il s’occupait de tout, enfin de tout décider, et finalement cela lui convenait fort bien.
« Que dirais-tu de ces trois jours de Pentecôte en Auvergne, pour aller voir les volcans ? » C’est vrai qu’à aller voir un volcan, le Vésuve, ou l’Etna, l’aurait plus tentée. Mais elle prenait ce qui venait, en se disant que c’était très bien : on ramasserait du basalte tout noir, peut-être aussi des pierres ponce, et on ne craindrait pas qu’il vous tombe de la lave en fusion sur la tête. Elle remplissait les valises et les sacs, en chantonnant, et n’oubliait rien de vital.
Mais, maintenant, elle devrait décider seule pour sa prochaine visite à un volcan : choisir un de ceux qui étaient éteint depuis des millénaires ou plutôt ceux qui préparent une belle éruption ? Tout à coup, l’idée de partir très loin, avec une mission de vulcanologues la fit frétiller.
Ses yeux se posèrent sur les arbres drossés par les rafales, puis suivirent les dernières feuilles mortes que la bise avait arrachées. Elle frissonna en constatant qu’elle luttait, toujours debout, face à ce maitre terrible que les gens du nord appellent Mistral. Elle se sentit tout à coup plus forte, ce qui la persuada qu’elle n’aurait jamais plus peur de prendre une décision.
Elle tourna le dos au canal si bas, frisé d’écume blanche, et remonta sur son VTT en direction du Mont Ventoux qu’elle ne voyait pas, tant le ciel était gris. Au sommet, elle pourrait seulement perdre un peu de son souffle à elle, face au vent du Nord, encore plus humide et rugissant.