Avec les autres
caiheme
Les blocs de pierre jaunâtres défilent sous les pas du marcheur, pellicule urbaine d'un scroll instagramaire, la marche est là, sûre, cata-clope, cata-clip. Les sabots du bouc avancent sur le sol pavé de la route brûlante, ils frappent sèchement le sol, clip, clap, clèp. Des geysers infernaux crachent brutalement des fumées grisâtres. Les éjaculations aériennes hurlent d'abominables orgasmes. La queue fourchue du promeneur poilu se balancent de la gauche vers la droite, de la gauche vers la droite, de la gauche vers la droite, de la gauche … Un pan de montagne rougeâtre s'effondre doucement sur le bas-côté de la route aux pavés d'or. La poussière sanguine recouvre le chemin construit. Et le bouquetin maudit continue d'avancer, ses mains de singe sont dans son dos, les ongles noirs liment la peau des digitales. Paisible promenade sur le sentier des damnés. Au loin, tiens des hurlements canins, aboiements féroces de dalmatien. Les crocs applaudissent, clac clac clac clac. La meute fonce, elle aboie férocement, chien de pompier, bestioles hurlantes de Disney, cruella, cruella, cruella, terrible beauté. Des centaines de dents se précipitent sur le bouquetin. yeux en meurtrière, mâchoires d'ivoire en avant. les pièges à loup organiques aux incisives d'acier déchirent la bête à corne qui bêle avec amusement tandis que le corps devient charogne.
-Tirez les gones! tirez !
Des salves de feu s'allument, les plombs partent par dizaines, l'air s'emplit de fumée de souffrance, les gorges s'assèchent, les muqueuses s'irritent, les quintes sont multiples. Les chiens tachetés s'effondrent au fur et à mesure que les trous noirs et les tâches blanches rougissent. Quelques dalmatiens s'enfuient.
-Bravo! Vous leur avez donné une sacré leçon, ces bâtards poilus réfléchiront un peu plus avant d'attaquer ce qui nous est cher!
Un gros homme au ventre débordant sort du trou de poussière d'où il se terrait, la terre glisse en fontaine sur son corps obèse.
-Allez les petiots, virez moi ces chiens, grouillez-vous, faites pas vos bambanes!
De la route poussiéreuse s'élèvent plusieurs petites silhouettes, chacune faisant s'écouler une cascade terreuse. Les bérets lyonnais tapent les épaules poussiéreuses des chasseurs cachés.
Les cadavres troués des bêtes tachetés sont chargés sur une brouette. Le plus trapu des tireurs embusqués soulève le diable en bois. Forcément la roue manque d'huile et grince délicatement tandis que le corbillard prend la route du cimetière. Voyage à tombeau ouvert. Le grand maigre au visage brulé et à l'oeil mort s'adresse à celui qui semble être le décisionnaire, le chef à l'état naturel.
-Tu penses qu'ils reviendront ?
-Pour sûr, ces bâtards sont affamés, ils reviendront tant qu'il y aura moyen de becqueter dans nos gamelles.
-Mais que faire alors ?
-En abattre le plus possible pour décourager les autres ; ils ne se lasseront jamais, mais c'est notre ville, pelo ici c'est Lyon!
-Est ce nécessaire de les abattre? ne pourrait-on pas …
-Bordel Cendrillon, si on pouvait discuter avec ces saloperies, tu aurais encore ton visage complet, crois moi gone, je ne cherche querelle à personne mais si quelqu'un doit crever le choix est facile : ce sera l'autre. Hô regarde , la grande roue de Bellecour est éclairé, rentrons, il se passe quelque chose !
- Jefferson ! Maggott ! Franko ! qu'est ce que vous foutez accroupi ? relevez-vous, on bouge !
Le groupe des trois appelés ne répond pas. ils sont occupé à détacher les canines saignantes d'un dalmatien encore en vie. Jefferson tient les pattes de devant, Franko les pattes arrières et Maggott triture la gencive au couteau. La bête grogne, se débat mais les mains meurtrières sont solides et maintiennent le corps tacheté. La pointe de métal creuse la chair, les nerfs dentaires sautent les uns après les autres. Les convulsions animales s'intensifient. Jefferson maintient la pression. Il brise une patte tandis que Maggott poursuit son opération. Craquement de brindilles assoiffées dans un torchon humide, désagréables glapissements aiguës.
Les dents des dalmatiens contiennent un venin paralysant. À l'état naturel ce venin fige les muscles et permet une tranquille dévoration de la proie attrapé. Bien dosé il provoque une léthargie hallucinatoire chez l'homme.
Cendrillon se rapproche du groupe, son oeil valide ne suffit pas à correctement distinguer les dentistes amateurs.
-Bordel, vous n'avez pas entendu ? On bouge!
Il frappe Maggott du pied. Le couteau de Maggott dérape sur le poing de Jefferson qui desserre son étreinte, Franko tourne la tête vers Cendrillon, le prisonnier sent l'opportunité, il griffe Franko au visage qui lâche à son tour. Le dalmatien cherche à fuir, hagard, boiteux, baveux. Il cherche la meute mais personne, il n'y a que ces créatures à deux pattes qui s'agitent. la fièvre des blessures trouble les yeux de l'animal. La peur, ça sent l'urine et la peur autour de lui, l'odeur, il n'y a plus que ça qui fonctionne. Cendrillon voit l'animal se tourner vers lui, le thorax de la bête s'ouvre en deux, Cendrillon porte la main à sa poche mais le geste n'est pas assez rapide. La main reste dans la poche tandis que l'oeil valide voit les côtes pointues se jeter sur lui et se refermer férocement. Un noir soudain envahit Cendrillon, quelques coups de feu, des grognements, tout s'arrête.
Ratatatatatatac, le sol est martelé, le groupe des tueurs de chiens arrive à Bellecour, les engins de chantier vrombissent, ils font des aller-retour. Les bip-bip de marche arrière sont légion.Ça klaxonne à tout va, l'essence s'enflamme, les moteurs tournent. multiples explosions incendiaires, des démarrages et des re-démarrages. Les pelles d'acier motorisées creusent la terre sèche et granuleuse autour de la grande roue. Les pelletés chargent et jettent leurs contenus dans les bennes de métal. Le gros chef arrive.
-Qu'est ce qui se passe ? J'ai vu la grande roue s'éclairer!
Un homme coiffé d'un casque blanc de chantier arrive, il essuie ses mains sur sa combinaison orangée fluo. Il pose sur le sol deux râteaux aux dents tachés de ciment séché.
-C'est le chantier gros chef, tout est en branle, la roue s'est éclairé pour nous prévenir que le soir et sa pénombre ont commencé à pénétrer la place, on doit se dépêcher avant qu'elle soit noyé dans les ombres.
Les moteurs toussotent en mitrailleuse. Le gros chef tournent brusquement la tête. Réminiscence guerrière des tirs mortels.
- Mm qu'est ce qu'on peut faire ?
Le casque blanc sourit de la naïveté du tueur de chien.
-Rien, vous n'êtes pas fait pour ça .
Les cris de chantier ponctuent les crachotements mécaniques. Mélodie sonore et bouleversement de la matière. Raclements incessants de la dureté froide des griffes de pelleteuses sur le sol de la place à la roue foraine. Les sifflements véhiculaires traversent l'espace en déconstruction. Les grilles en ferraille frottent le sol et délimitent le périmètre de transformation . Elles écorchent de leur ongles crochus le vénéneux par-terre cimenté. Partout des bruissements radiophoniques de talkie-walkie mal réglé. Les divers origines sonores donnent à ce lieu en mouvement un goût de cliquetis de sac à main et de frottement de semelles plastifiées. La sécurité n'est pas l'affaire de tous. Les pas de passage sont nombreux, chaotiques, désordonnés, un grouillement vivant propre à la ville durant les heures de mouvement. Les stores plastifiés grincent, les vélos mitraillent dans le ralentissement de leur arrivée sur la place en chantier. qu'est ce qui se passe ? Les badauds s'interrogent. Qu'est ce qu'ils font de notre endroit de rassemblement ? Les poires explosives cracheuses de fumée lacrymales, les dispersions de foule mécontente par la force armée, des survols d'hélicoptères apocalyptiques, une paranoïa de temps de guerre, et maintenant des travailleurs sorti d'on ne sait où qui déchiquètent le sol chéri de notre place emblématique. Les pensées et les chuchotements vont bon train. Même le cavalier de fer s'interrogent sur son socle de pierre.
-Vite vite vite les gars, virez-moi cette terre, attention aux épines, prenez des gants, et ceux qui n'en n'ont pas, prenez des pelles !
La croûte terrestres est soulevé, la matière terreuses se torsade, les épines auparavant rétractées se déploient de manière anarchique. Chargée et jetée sur les tombereaux. Un homme casqué d'un chapeau grisé par les radiations solaires frappe à coup de marteau la terre organique. Il frappe sans haine ni colère avec la sérénité du boucher sur son morceau de viande. La matière piquante gronde quelques instants, puis, sous les coups répétés, Les pics agressifs s'émoussent et se rétractent.
-Allez faites pas vos bargeoises ! cognez et remplacez moi tout ça ! Marcel, découpe-moi, Marcel, découpe les dernières tranches, roule et balance le tout dans les bennes.
Le Marcel s'exécute. Il soulève la dernière rangée de terre et la fait s'enrouler sur elle-même.
Les engins de chantier vrombrissent, ils avancent et recouvrent la place d'une huile noirâtre. Derrière eux des semeurs jettent aléatoirement des graines de pierre. Les particules de roc s'imbibent du liquide sombre et poisseux. Un fourmillement quantique envahit la place, des plaques d'égout pop hasardeusement.
-Okay les gars, terminé pour les fondations.
La nuit a remplacé le soir. Opacité de tombe. Aveuglement de cercueil.
-Okay, l‘équipe de nuit, mettez-vous en place. Installez moi le castellet. Vite, les lumières, le drap, ben alors ? Le drap, vite qu'est ce que vous foutez?
La façade de bois se redresse. Une toile blanche est tiré de long en large. Tendu à chaque extrémité du rectangle intérieur. La sphère d'aluminum est placé derrière, mâles et femelles électriques s'emboîtent. Le trapèze de lumière est craché. Une brume lumineuse éclaire la place. Quelques éternuements, les semelles frottent, encore quelques tours rotatifs de visseuse, le sol tremble. Des silhouettes sortent peu à peu des immeubles qui encerclent Bellecour. Les disquettes tranchent les derniers blocs de pierre. La fumée pierreuse grossit, grandit. Il se mêle au brouillard de carrière une délicieuse odeur de rocher brulé. Les silhouettes sombres aux yeux de braise se rapprochent, les blocs sont posés. Un air d'accordéon troué commence à se jouer derrière le mur de toile. Les corps en encre noire perdent leur anonymat au fur et à mesure qu'ils s'approchent de la place éclairée. Le casque blanc soulève son couvre-chef, éponge son front avec son poignet.
-Allez-y les petits, installez-vous, les armes au vestiaire je vous prie, pas de ça quand le jeu commence.
Les instruments de mort sont posés. Un murmure de foule , un chuchotement. Des voix variés commence à trouver l'unité.
-Guignol ! guignol ! guignol !
Le drap teinté de lumière se met à mousser, l'écume vibre, tremble sur la surface éclairée. Les spectateurs continuent d'appeler.
-Guignol ! guignol ! guignol !
L'ébullition verticale gagne en intensité, les voix multiples se poursuivent. Le crépitement bullaire se cristallise. Le tissu devient toile de peinture. Les décors aquarelles se dessinent. Immeubles fenêtrés et portes argentés sèchent et craquèlent en mélodie de griffures d'ongles sur verre. La marionnette sans jambe apparait enfin.
-Bonjour, bonsoir spectateurs, salut salut les chômeurs, alors on a quitté les ombres pour le théâtre de marionnette ? Ho mais qu'est ce que je vois là? Olalala mais dans le fond, mais oui, regardez-moi ça les petits amis, ce sont les fameux, les tueurs de chien ! J'espère qu'ils ne prendront pas ma tresse pour une queue de cleb's. J'y tiens à ma sarsifis moi ! Olalalala, et regardez-moi ça comment qu'ils sont fagotés ces clochards célestes. Des habits de gruyère et une odeur de fromage passé, olala mais cette odeur… Ha vous êtes à votre place mes petits gars, dans le fond de l'arrière-salle, parce qu'à l'avant comme à l'arrière vous avez tellement de saletés… que vous puez des pieds !
Guignol part en rotative sur lui-même, les bras en pales d'hélicoptère.
Rires d'enfants au premier rang.
Maggott sort sa lame et grogne entre ses dents cariées.
-Je vais trancher la main qui te tient Guignol, on verra bien si tu t'agites toujours autant après ça.
Guignol s'arrête, agite ses petites mains sans doigts.
-Quoi ? Mais qu'entend-je ? Oulala mes petits garnements, je pensais que nous avions des tueurs sans âme dans la salle, des brutaux sans remords ni sentiments. Mais je vois qu'il y a des susceptibles. Ils sont émotifs nos petits soldats, je touche du bois pour qu'ils ne m'attrapent pas.
Guignol se touche la tête et convulse en ricanant. Il s'arrête et reprend.
-Et comment qu'il s'appelle notre petit charcutier sensible ? Hein ? Quoi ? Parlez plus fort !
Franko rapproche ses deux mains de sa bouche.
-C'est Maggott qu'il s'appelle !
-La glotte ?
-Non ! Maggott !
-Ma grotte ?
Jefferson joint sa voix rauque à celle de Franko.
-Mais qu'il est bouché ce ganais là, non c'est MA-GO-TTEU !
-Hein ? Mais j'entends rien, qu'es ce qu'ils jactent dans le fond ? J'comprend rien à qu'est ce qu'ils bavent. Vous comprenez vous ?
Les gamins du premier rang répondent en choeur.
-Ouiiii
-J'entends rien, vous avez dit quelque chose ?
Les voix enfantines répondent en gazouillis.
Mais oui guignol, mais enfin. T'es bête Guignol, c'est Maggott !Mais oui tu le fais exprès. Exprès pour embêter Maggott. C'est Maggott qu'il s'appelle heu. Maggott Maggott Maggott Maggott !
La marionnette place ses mains l'une sur l'autre et écoute attentivement le brouhaha des gamins.
-Ha mais j'ai compris ! C'est qu'j'ai le bois vermoulu moi.
Guignol rejoint l'un des côtés du châtelet, saisit un torchon, se frotte les oreilles avec et en sort une bougie.
-Voilà, j'avais d'la cire plein les écoutilles, comment qu'on peut s'entendre si y a des bouchons ?
Guignol revient au centre de la scène en continuant de s'essuyer avec le torchon. Ce torchon ramène un vêtement, et dans ce vêtement, une marionnette au nez rouge et à la barbe en barbelés. Guignol ne s'en aperçoit pas.
-Ben alors mon bon Maggott fait pas la blonde, et puis hein, j'vous vois pas trop d'ici mes petits tueurs canins mais que vous soyez roux, brun ou chauve, vous aurez toujours les poils du cul noir. Gahahaha !
Les lèvres de Maggott s'écarquillent et laissent passer un sourire amusé. La lame rejoint le fourreau.
La marionnette au nez d'ivrogne assène une claque derrière la tête de Guignol.
-Hein ? Hô Gnafron je t'avais point vu ! je croyais que tu cuvais ton beaujolais au fond de ta malle de tristesse.
-Je le croyais aussi mais t'es tellement incapable de te surveiller toi-même que j'ai bien du me lever.
-Hôôô! dites bonjour à Gnafron tout le monde! le meilleur buveur de la région des assoiffés!
Acclamations, rires, huées, le spectacle continue jusqu'à tard dans la soirée.
Rires de schizophrènes.
-Ha hi hou hé ha hé hou !
Le vin rouge coule moitié sur la table, moitié dans le verre. Maggott tient fermement le cubi cartonné tandis que Jefferson maintient Maggott par les hanches. le flot de vinasse arrose le sol.
Guignol est affalé sur le ventre, il vomit une sciure violacée, jets brunâtres et copeaux imprégnés. Gnafron rit et agite électriquement ses mains. Le bois de son nez troué est imbibé de dépôt de raisins séchés.
-Ben alors, la Gloglotte on sait pas viser ? s'écrit la marionnette saoule. On a besoin de son petit Jaffar-zone pour tenir son petit robinet?
Maggott pousse le cubi dans le ventre de Jefferson qui tombe à la renverse sur les sièges en bois. Maggott sort son couteau de chasse. Ses mots sont étirés par l'alcool
-J'ai lâché l'affaire pour Guignol mais toi tu vas y passer.
Gnafron lève les deux mains en l'air et sautille en parcourant toute la scène. Garnement épileptique.
-Gââââ, gâââââ, attention le psychopathe est énervé, attention à son ivresse meurtrière ; gendarme, qu'on prévienne Gendarme. Gendarme y es tu , gendarme entends tu ? Turlututu chapeau pointu , gââââ ! Gââââ !
Maggott enjambe les bancs de bois désormais vidés de leur spectateurs. Gnafron maintient ses aller-retours de sauve-qui-peut factice en continuant de crier sur la scène du châtelet. La botte boueuse de Maggott percute un pied de banc. Il s'aplatit sur le sol. Le nez dans les cailloux, les dents sur la planche. Toujours au milieu des sièges, Jefferson stoppe le débit de vin qui coulait, coulait sans s'arrêter dans le fond de sa gorge. En voyant le corps aplati de son compagnon de mort sur le sol, Jefferson s'esclaffe en recrachant puissamment la rouge vinasse. Son rire rauque traverse les autres tueurs de chien. Guignol cesse son vomissement, il se retourne, oscille de gauche à droite, vomit une nouvelle gerbe, bascule et disparait derrière la scène du théâtre miniature. Maggott grommelle, il se relève péniblement, renifle, crache. Gnafron continue de rire en toupie avec ses bras qui tremblent en spasmes à la manière d'un malade mental en crise de tachycardie ventriculaire. Maggott arrive poing armé devant Gnafron, son bras traverse l'espace pour couper la marionnette de bois. La lame aurait du trancher la tête mais tout ce que reçoit Gnafron c'est un courant d'air froid. Silence. Gnafron touche sa tête et son haut de forme. Il tâtonne.
-Oui, hôôô, tout est encore là, ben ? Ben alors Maggott, je croyais que j'allais perdre ma petite tête, ben alors on sait plus trancher ? On est trop bourré ? T'as deux cubi dans le foie mais un grand gaillard comme toi… comme même… Même pas capable de trucider un pantin unijambiste. La vie c'est bien de la merde dis donc, hein guignol ?
Maggott titube, regard hagard et bouche ouverte, il ne comprend pas.
-Hein, quoi ? Mais comment ? Comment qu'ça ça a pas coupé ?
Il regarde sa main meurtrière, comment a t'il pu foirer la décapitation d'une marionnette ? Il ouvre sa main, sapristi, il n'y a que des lignes et de la peau !
-Mon couteau. Bordel ! je l'avais dans la main à l'instant.
Maggott shoote les bancs de bois, il cherche férocement son ami d'acier. Il gratte dans la terre. Frénétique dangereux dingo.
-Non non non !
-Maggott ? dit Gnafron
-Il était là, je l'avais à l'instant, non c'est pas possible, il n'est pas loin, c'est sûr. C'est obligé. Je le sens. Je sens qu'il n'est pas loin, il est là quelque part…
-Maggott ? Répète doucement la figurine boisée.
-Quoi ? Tu vois pas que je suis en pleine recherche là?
-Je sais où es ta lame Maggott, je sais où elle est est, tu veux que je te le dise Maggott ? Elle n'est pas très loin, elle est très proche de toi.
-Non je n'ai pas besoin de toi, laisse moi tranquille. Je vais la retrouver tout seul, tout seul, tout seul « sniff »…
Des sanglots viennent dans la gorge du chercheur au fur et à mesure que les fouilles ne mènent à rien.
-Mais c'est pas vrai, non non non ! je l'avais juste là, à l'instant, c'est pas possible, il est là c'est obligé, obligé !
Maggott soulève les bancs et les jette en tas. L'un des bancs jetés racle le sol, envoie la terre dans le verre de Franko.
Franko souffle de lassitude et jette sèchement le contenu endommagé dans les airs.
-Vas y Maggott, zeubi tu fais chier là… Jefferson, rends-toi utile.
Jefferson rempli le verre à nouveau de vin. Franko aperçoit le couteau perdu fiché dans l'épaule de Maggott.
-Elle a raison la poupée parlante, tu devrais l'écouter, il est vraiment pas loin ton coutal.
-Mais ferme la, tu vas pas t'y mettre toi aussi ?
-Okaye, okaye, moi ce que j'en dis hein…
Franko boit son vin, fait la moue, retourne dans le silence dépressif d'où il est sorti.
Maggott a les yeux rouge, de vin, de sang, de larme ? On ne sait pas mais il renifle avec humidité. Gnafron cesse son mouvement, il regarde Maggott. les yeux de bois grands ouverts. Fixes, sans cligner des paupières. regard immobile des poupées qui observent. Maggott est assis, il chougne.
-Allons mon petit Maggott, faut pas te mettre dans des états pareils. Ce n'est qu'une arme, des lames tranchantes tu en trouveras d'autres. Viens, approche-toi maggott, je ne peux pas me déplacer plus loin que les planches. Rapproche-toi maggott, je vais te dire un secret….
Des ombres grises coulent sur la peau d'armoire de la marionnette.
Dans un reniflement bruyant, maggott relève la tête. La bave et la morve tombent en ficelles humides sur le sol buveur.
-Un secret ?
-Oui Maggott, viens, Viens me voir…
De la pupille morte du jouet immobile émane une lumière verte, malsaine. Teinte fade, venimeuse. Éclairage en brume scintille dans l'iris de peinture. Maggott avance vers la voix enjôleuse. Autour de lui, tu n'es que noirceur. le pantin lumineux poursuit ses sonorités suaves. Et la bave sanglante de Maggott désaltère la terre fraiche.
-Approche moi, rapproche toi, Maggott, écoute, vois ma voix dans la voie devant toi.
Enfermé. dans cercle blanc de spectacle. Tu es sur scène. Viens dans ma pièce. Pattes arachnéenne en barreaux de prison. Une petite pièce pour ton bon plaisir. Dans l'encerclement, enfermé, hypnotisé, petit quadrupède. Maggott avance, chuchote dans la solitude.
-Ces yeux, murmure Maggott, ses yeux infernaux. Je, trois petits points dans la peau, j'ai froid, ce regard, cette beauté, c'est la chaleur, m'approcher, j'aurai chaud. Le feu du bois, et la transpiration des morceaux coupés qui font les flammes, la danse. C'est joli. Mais qu'est ce que je raconte, ce n'est pas moi ça. Hein ? Quoi ? Allo ? Oui les yeux, avancer. Hein ? Ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.Ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.ha.argh! Arr! gueuwerg! gueuwerg! wairgue! Werk! werk! wairque! wurke !!
Ricanement sordide de Maggott. Marionette imperturbable continue les caresses vocales.
-oui Maggott, bien, rapproche-toi, tu vas voir. Cela va beaucoup t'amuser.
Maggott se relève, pose ses deux mains sur le cadre du théâtre. Yeux vidés, aveugles, blanchâtres.
-S'amuser ?
Visage de maggott devant les yeux glaçons.
-oui Maggott, regarde donc le secret du théâtre des marionnettes.
Maggott baisse les yeux. Nez de Gnafron gonflé, perforé par l'alcool, Les habits troués, tâché, le corps usé, usagé, qu'est-ce qu'il y a sous le corps de la marionnette ? Baisse davantage les yeux, regard en pointe de triangle aperçoit une patte blanche tacheté de noir, croise les yeux sauvages d'un dalmatien. Truffe noire. Crocs serrés. Un sourire de satisfaction sur la gueule de la bête.
-Alors tueur de chien, tu aimes ce que tu vois ? Racle la voix animale.
Maggott bloque sa respiration, les mots restent dans la gorge. Il bégaie. L'animal sourit avec férocité.
-Les mots sont coincés ? Je vais t'aider.
Gnafron retire le couteau de l'épaule de Maggott, tranche sèchement la peau du cou à la vitesse d'un fouet qui claque. Naissance d'une bouche sans dents sous le menton piquant de Maggott. Gargouillements étranglés. Le cri sort avec la chaleur du sang. Si tu veux. Maggott tombe à genoux, convulse, bascule, La chute libre mime la chute d'ivresse. Est-ce que ? Non. Maggott embrasse la terre qui boit son vin.
Le dalmatien retire ses pattes de la marionnette, la dépose sur la scène du théâtre et quitte discrètement le lieu sur la pointe des griffes. La musique d'un guitariste enrobe la place Bellecour, le rire féerique des gones glisse le long des notes de musique, avec le vent comme complice. Les vagues sonores s'enroulent autour de la chair de Maggott. Jefferson Franko et les autres continuent de vider leurs verres et leurs âmes. Les gargouillements de maggott s'atténuent doucement, les convulsions ralentissent délicatement. Le ruisseau des notes glisse, circule, serpente sur le sol. La lune est pleine ce soir, la guerre existe encore. Les vengeances et les plans à piège demeurent, mais ce soir l'apaisement des vignes courbent les rires des soulards en gazouillis enfantins. Les mots ne sont plus que tonalités déformés, étirés en longueurs. L'apaisement baigne dans cette atmosphère de nuit hors de l'ordinaire.