Avril

bellaruche

Le printemps revenait, fier comme le millième printemps du monde.

Là où nous les avions laissés, à leur tour les souvenirs réapparaissaient furtivement. Pas trop rapidement, car un jour il serait temps mais il était encore trop tôt, doucement ils revenaient et s'entremêlaient aux premiers émois de la saison : terrasses avortées par la pluie battante, cerisiers du Japon, tee-shirts portés tout le dimanche.
Nous prenions l'habitude de nous retrouver dans de nouveaux endroits qui avaient vu naître déjà tant de nouvelles saisons et nous projetions avec entrain. Le printemps, temps éternel des projets sous les dernières gouttes de pluie.
Ces derniers instants étaient vécus comme des offrandes. Dans les dernières rafales du mois de mars, toute une profusion de promesses : celles des journées chaudes à venir, mais surtout celle que les jours passés l'étaient bel et bien pour toujours. De cet abandon forcé d'un temps que l'on pensait ne jamais regretter s'élevait une certaine fierté, qui bientôt allait servir de tremplin à l'impertinence qui en nous commençait à se débattre.
Une parfum d'accalmie ponctuait les soirs qui ne cessaient de s'allonger.

Demain le mois d'avril emporterait tout comme une furie, ne laissant derrière lui ni nostalgie ni égards envers l'hiver que nous avions tous fièrement combattu, seuls, ô combien seuls.

Les musiques revenaient elles aussi et effectuaient leurs premières danses comme un rituel, urgentes de pouvoir revivre à leur tour. C'est au printemps que les sons quittent leur nid d'obscurité et deviennent tant de caresses et de poignards pour les hivers suivants. Ils cessent d'être spectateurs, à l'instant même où nous refusons nous-mêmes d'être nos propres spectateurs. Dans quelques mois, la nouvelle bande-son de nos vies mettra son masque de nostalgie et retournera se plaindre dans l'hiver avec nous.

Bientôt, les nuits au goût d'éternité se succéderont et nous serons tout entiers offerts, las et démunis, follement heureux.

Les premiers instants de joie à peine éclos, je retrouvais mes marques dans un mouvement de délivrance dans lequel tout éclatait d'un seul coup dans un vacarme incompressible, violent, et salvateur. C'était la vie qui, hâtive, reprenait déjà ses droits. La vie morte des journées d'hivers, qui ressemblent de toute façon trop à des nuits pour que les changements s'opèrent mourrait doucement, et je me retrouvais constamment happée dans un tourbillon d'émotions contraires. Il aurait fallu résister. Mais même attendre, c'était déjà trop. Il me paraissait que si j'attendais, alors la vie en profiterait pour aller plus vite et de cette manière je me retrouverais seule une année de plus à l'attendre.
Je désirais vivre comme d'autres veulent mourir : à tout prix.

Avec toi ou sans toi je me disais pour le moment. C'est dans cette incertitude qui pourtant me tordait les poumons de travers que la joie était la plus brûlante. Que savions nous? Qu'avons nous jamais su? Que nous reste t il à vivre? Au fur et à mesure que l'inquiétude grandissant, elle se recouvrait d'un voile d'une douceur rassurante.

Et alors que naissait le chaos, tout faisait soudain sens.

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