Avril en pagaille

Valérie Girault

Avril en pagaille C’est le titre d’un livre que j’ai écrit quand j’étais jeune. Aujourd’hui, j’ai 110 ans mais je n’ai tiré aucune leçon de sagesse de ces années. Je l’ai perdu ce livre. Je ne suis pas très soigneuse avec mes souvenirs. Les bons, je les ai trop ressassés, ils sont usés ; comme un disque que j’aurais trop écouté, ils m’agacent. Et les mauvais, je les laisse à leurs auteurs. Enfin, non. Je sais trop bien où il est ce livre. Au fond de mon carton à souvenirs. En dessous des dessins des enfants, des poèmes de fêtes de mère ; il y a aussi des lettres d’amour, des photos de moi nue, des secrets oubliés. Je n’y vais jamais dans ce carton. Parce que déterrer le passé me fait peur. Je ne suis pas armée contre la nostalgie. Le passé est toujours plus beau. Couleur sépia, des rires en filigrane. Et puis, d’un coup, je verrais les 20 ans qui sont passés. Je n’en ai pas envie. Mon clavier ne sait pas par où commencer. Le A, de l’amour qui s’effiloche ? Ou le N de la nostalgie infecte. Ne plus faire confiance. Je l’avais gravé dans ma chair. La vie bascule si vite dans l’irréel. L’état second de la rupture que je connais si bien a vite repris sa place. C’est par le T de la trahison, que je vide ma colère, mon amertume, ma blessure. C’est au moment où on ne se méfie plus que tout bascule. Du rire aux larmes. De la paix à la guerre. Je n’ai pas l’énergie ce soir d’envisager la suite. Je voudrais être hier et ne pas savoir. Ne pas avoir lu cette phrase assassine : « Bonne nuit, ma belle» ; cette phrase qui transperce le cœur. Moi, ça fait bien longtemps que je n’ai plus le droit aux mots d’amour. C’est la télé qui nous tient lieu de conversation. Pourtant, il me semblait que tu faisais des efforts. Oui des efforts. On ne fait pas d’efforts quand on aime. Ne te donne plus ce mal. Je n’en vaux pas la peine. Le doute s’est distillé en moi. Je n’ai pas besoin d’autres preuves, le doute salit tout, emporte l’amour et les rires. Pars, je suis facile à quitter. C’est moi qui abrège le supplice. Je n’aime pas les transitions. Je me préfère seule. Je ne sais pas vivre à deux. Je me perds. Alors, vas t’en maintenant avant que le sordide n’ensevelisse les moments heureux. Pars, il est trop tard pour discuter. Je veux que personne ne sache, on dirait que c’est de ma faute. Je suis si rarement drôle. Les années ne suffiront pas à laver la trahison. Je ne veux pas pardonner. Je ne suis pas de celles la. Moi, je maudis à jamais. Je ne reviens plus sur le passé. Je ne tourne pas la page. J’arrache le chapitre et recommence une histoire sans personnage d’autrefois. Sans toi. J’ai dormi. Trois jours. Trois jours d’un sommeil lourd qui n’a rien réparé. Assommée, exsangue, j’ai sombré. Je chancelle encore un peu. L’idée de tout recommencer m’épuise. Je peux te quitter. C’est facile. Mais vendre la maison, annoncer la nouvelle, me coucher seule dans mon lit froid ; je ne sais pas. Le train-train de la vie me convenait bien. J’ai appris à vivre sans passion ; l’odeur du café chaud et de la lessive me rassurait. Je pourrais te dire de choisir : elle ou moi. Mais j’ai trop peur d’entendre de nouveau : « tu te fais des idées, sur la tête de ma fille, il n’y a rien entre elle et moi ». Et là, je saurais, que s’il n’y a pas lieu de choisir pour toi, c’est que tu n’en as pas le courage. C’est pourtant facile de choisir. Moi, je le fais ; si vite, si mal. Je vais choisir de te croire, par fainéantise. Parce que l’été arrive, parce que j’ai envie de rire. Pas de tout recommencer.
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