Expats (Honduras)

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Péter dans un espace public confiné est un acte qui peut tout à la fois être la marque d'un courage émérite ou d'une lâcheté sans nom. Tout le monde a connu au moins une fois cette situation désespérée où notre estomac ravagé par des gaz impatients de s'échapper nous force à les libérer alors même que nous sommes à proximité d'autrui. Le qualificatif de lâche ou de courageux dépend alors de la configuration de l'espace où l'on choisit de se soulager. Dans un espace confiné restreint, par exemple une salle de classe, lorsque vous n'avez à vos côtés qu'un collègue concentré sur sa dissertation, péter revêt alors de la pure bravoure. La gêne occasionnée par un tel geste auprès de qui que ce soit est un sacrifice suffisamment considérable pour que l'on puisse le qualifier de courageux.

Plusieurs phases sont alors à distinguer : l'Avant pet, le Moment du pet lui-même, puis l'Après pet.

L'Avant pet est un moment de douleur et de solitude. Il s'agit de se demander si oui ou non, l'on va passer à l'acte. La pression s'intensifie, les gaz se font plus nombreux, l'estomac gargouille, et déjà on sent peser sur soit des regards goguenards, voire désapprobateurs. Après plusieurs longues minutes de lutte désespérée, on finit par rendre les armes. Vient alors Le Moment du pet.

Le Moment du pet est un instant crucial. Bien négocié, un pet en espace confiné restreint (PECR) peut presque passer inaperçu. Il s'agit alors, par un jeu de contraction anusienne élaboré, de minimiser, voire pour les plus ambitieux, d'étouffer totalement le bruit du pet. Une fois ce moment délicat passé s'ensuit un sentiment de délivrance et de soulagement intense. Cet état de félicité n'est toutefois que de courte durée, car s'ensuit immédiatement la dernière phase du PECR : l'Après pet.

L'Après pet est un moment particulièrement délicat du fait que le contrôle de la situation nous échappe totalement : il s'agit en effet, en reniflant discrètement, de déterminer dans quelle mesure le pet peut être nuisible olfactivement pour les narines alentours. C'est alors que l'on découvre avec horreur que malgré les efforts effectués durant le Moment du pet, la personne assise prêt de vous ne manquera pas de remarquer cette odeur entêtante. Vous le savez, il ou elle le sait, mais le tabou inhérent au Pet fait que personne n'en parlera. Jamais. Ce sentiment diffus, à la fois de honte et d'impunité, est quelque chose d'unique, propre au pet, mais qui n'enlève rien au fait qu'un certain courage est nécessaire pour accomplir un tel acte, surtout si on le compare au pet en espace restreint avec foule (PERF).

Ce deuxième type de pet en espace restreint ne mérite en rien le respect que peut susciter le PECR. Il s'agit d'un acte lâche et mesquin, totalement dénué d'altruisme, bien au contraire. Le principe du pet en espace restreint avec foule tient en un mot : l'anonymat. Partant du principe que personne ne sera en mesure de déterminer l'origine du pet, vous pouvez vous soulager lâchement, autant de fois que vous le désirez, sans être le moins du monde inquiété, les plus pervers prenant même un certain plaisir à sentir l'odeur de leur propre pet.

Il existe bien sûr des situations moins conventionnelles, que l'on ne peut évoquer de manière exhaustive ; ainsi en est-il du pet effectué tranquillement dans son bureau, alors que l'on se croit à l'abri, quand soudain votre supérieur entre brusquement pour vérifier un document sur votre ordinateur.

Le Honduras est un pays où la culture culinaire repose sur un nombre réduit d'aliments de base parmi lesquels les haricots rouges, ou frijoles, occupent le haut du tableau. Nul n'ignore les vertus gazéiphères de ces Phaseolus et il est donc inutile d'expliquer que péter en espace restreint devient vite une habitude pour quiconque est friand de culture locale.

Ainsi lorsque vous prenez place dans un bus surchargé, sur une banquette à peine grande pour vous et votre sac de 20 kilos, puis qu'une deuxième personne vient se tasser sur cette même banquette, puis qu'une troisième personne se joint à la fête, plutôt que de râler, vous libérez lâchement un petit PERF mesquin, et bien que ça ne vous permette pas de mieux respirer, vous vous sentez soulagé.


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