Bad boy in love

Hélène Grosso Pernet

 

Bad boy in love

Nash n’aurait jamais dû rencontrer Ysa. C’était écrit nulle part d’ailleurs et dans les hautes sphères, même le Boss s’était gratté la tête. Il aurait pu annuler ce premier rendez-vous improvisé mais trop occupé, Il avait haussé les épaules et laissé faire… Au sein du cercle très fermé du Grand Homme, personne ne vit le sourire sur le visage radieux de Destin. Il s’empressa de se retirer sur la pointe des pieds et de rejoindre son bureau pour poursuivre cette « expérience ».  Ah oui alors, il les avait choisis avec minutie ces deux-là ! Ils n’avaient rien en commun mais alors vraiment rien ! et pourtant Destin était sûr que l’amour pouvait… il suffisait d’une étincelle, d’un petit rien… Destin avait un pouvoir limité, il le savait. Il pouvait mettre en place les personnages mais une fois les dés jetés… Il se dirigea vers son écran plasma et zooma sur Paris. Un bistrot sympa… Ysa le fréquentait déjà, il n’y avait plus qu’à faire venir Nash. Après… après, on verrait…

Nash, percussionniste de vingt-cinq ans, croque la vie et les notes de musique à pleines dents. Déjanté, fan inconditionnel de Bob Marley, le jeune musicien voyage aux quatre coins du globe et vient de terminer une tournée mondiale auprès du plus grand chanteur de reggae du moment. Crevé, les yeux cernés, il n’arrive plus à fermer l’œil. Le carillon du quartier annonce midi, Nash ressent le besoin d’aller s’aérer. Son studio est le théâtre d’un joyeux bordel qui ferait hurler sa grand-mère et rien qu’à cette pensée, le jeune homme se mit à rire. Indépendant, solitaire à ses heures, introverti diraient certains, Nash s’éclate sur scène et lorsqu’il compose. Les filles, forcément, elles lui tombent un peu trop facilement dans les bras, parce qu’en plus d’être artiste, il a un charme particulier. Un peu blasé ? Peut-être….  Nash consomme sans plus vraiment l’apprécier, l’autre sexe.  Notre héros, puisqu’il s’agit de notre héros masculin ne se doute pas qu’il va être bousculé, qu’il va découvrir la vie sous un autre angle. Non, il n’avait pas une vie ordinaire, et oui, les pages qui vont être écrites seront encore plus…extraordinaires. C’est fou comme le fait de décider d’aller prendre un verre peut changer votre vie.

Ysa, écrivain public et auteur conseil aime bien prendre son « baby brésilien » au petit bistrot du coin. Carburant au café, elle avait adoré cette métaphore sur un menu de baptême. Les mots, les phrases étaient l’univers d’Ysa. Bien installée dans son métier et dans son loft avec vue sur la Tour Eiffel, Ysa, quadragénaire divorcée préfère se réfugier dans l’univers des contes qu’elle publie régulièrement et qui lui permettent de ne plus avoir de soucis, disons financiers. A l’abri du besoin, elle se consacre à ses personnages et c’est très souvent en terrasse, devant son café, qu’elle trouve sa matière première, fait des associations avec les tics d’un badaud ou les expressions d’un autre. Vaste réservoir de son imagination, Ysa aime venir « vagabonder » intellectuellement et virtuellement dans ce lieu public où elle se sent chez elle. Tiens, un nouveau… En transit sûrement. Pas son genre… trop jeune… y avait pas que l’âge. Sous ses aspects d’oiseau nocturne, de fumeur de joints, sa peau ébène tranchait avec la couleur diaphane de la sienne. Cette introspection sur une argumentation complètement bidon la fit rougir. Ça, et le regard interrogateur et un peu amusé du jeune homme. Non mais, faudrait pas qu’il pense… Ysa s’était levée un peu trop précipitamment, avait jeté le 1,50€ du café sur la table et regretté, après avoir tourné le coin de la rue, ce mouvement d’humeur que ce jeune homme aurait pu interpréter… comment l’aurait-il interprété au juste… Agacée avec une impression d’avoir réagi comme une adolescente, Ysa se promit d’être plus naturelle la prochaine fois qu’elle irait à « son » bistrot. L’intrus n’y serait peut-être plus, point barre.

Parce qu’il avait décidé un midi d’aller noyer son décalage horaire dans un verre, parce qu’il avait senti un regard pesant figé sur lui, parce qu’il avait l’impression d’être mis à nu, et parce qu’elle l’avait, par habitude professionnelle, trop observé, trop détaillé et qu’il s’en était rendu compte, Nash, le « bad boy » aux antipodes d’Ysa « la bourge » va être pris à son propre piège. Tout doucement ils vont s’apprivoiser, se découvrir non sans quelques chocs au sens propre et figuré du terme. Des rendez-vous quotidiens qui n’en sont pas vraiment mais qui sont incontournables. Discussions étranges, échanges, rires, désapprobations bref, une relation particulière se tisse. Nash doit cependant repartir. Il participe à plusieurs concerts donnés lors du fameux Skywards Dubaï International Jazz Festival. Pour Ysa, c’est un choc car Dubaï, c’est aussi la ville où est parti son premier amour auquel elle avait dû renoncer pour mariage de convenance... Après son divorce, Ysa avait repensé tous les jours à cet homme dont elle savait si peu de choses mais qui squattait depuis plus de vingt ans une partie de son cœur. Cet homme, Franck, Ysa l’avait recherché et retrouvé. Mais que peut-on espérer après tant d’années ? Marié, Franck bien qu’heureux d’avoir retrouvé son Ysa, avait annoncé qu’il quittait la France pour toujours. Le boulot… Flop. Ysa avait abandonné encore une fois la partie. Trop d’obstacles… Elle aurait aimé pourtant le revoir, juste une fois. Il aurait grossi, serait devenu chauve, bref, elle aurait pu éteindre ce feu, cet amour qu’elle n’arrivait pas à maîtriser… cela devenait une véritable obsession. C’était ridicule mais il n’y avait rien à faire. On veut toujours l’impossible… Et si elle partait avec Nash… Elle l’accompagnerait… une fois sur place… elle verrait. Se débarrasser de ce passé pour être à nouveau libre, retomber amoureuse d’un inconnu, vivre « normalement ». Ca devait d’abord passer par un bon nettoyage de son cœur et la suppression de tous ces virus, de ces démons amoureux.

Nash et Ysa partent pour Dubaï. Là-haut, Monsieur Destin savoure ce début de spectacle qui annonce une belle romance compliquée, sophistiquée, enfumée, bruyante… comme on en lit que dans les romans…

Chapitre 1

Paris. Midi. Les cloches sonnent tant et plus que Nash, d’un geste rageur repousse les draps. Réveillé, grincheux, il réussit tant bien que mal à s’asseoir sur le bord de son lit. Un peu dérouté, sa première préoccupation est d’allumer une clope. Les volutes bleues et grises de sa Marlboro chassent les brumes d’une nuit agitée mais pas le mal de tête. Arrivé la veille des Etats-Unis après un mois d’une tournée internationale, le jeune percussionniste a négocié quinze jours de farniente pour se ressourcer et rendre visite à Mounie, sa grand-mère. La vieille dame a élevé son petit-fils après la disparition des parents lors d’un accident d’avion. L’enfant s’était réfugié dans la musique. Au conservatoire de Paris, il avait raflé les prix,   puis fondé son groupe pour finalement être repéré par un producteur. Nash avait fini par gagner sa vie confortablement en jouant auprès des plus grands chanteurs du moment. Virtuose, il aimait la musique en général et le reggae en particulier. Eclectique, il lui arrivait de participer à quelques concerts classiques et le spectateur pourrait être étonné de remarquer dans l’orchestre aux commandes des percussions, cet homme aux rastas, tiré à quatre épingles dans son smoking… Nash s’éclate dans les festivals de Jazz et justement, ça tombe bien, après sa pause « syndicale » à Paris, il est appelé à participer au fameux « Skywards Dubaï International Jazz Festival ». Nash parcourt le monde mais le jeune homme a toujours tenu parole. Il avait promis à Mounie de lui rendre visite au moins deux fois par an et de lui consacrer un peu de temps.

Ce mal de tronche… Nash se leva péniblement et se dirigea vers la salle de bain, en quête d’une aspirine. Au passage, il heurta la table basse et renversa la bouteille de whisky vide. Grommelant, pestant, il revint vers la cuisine, elle aussi sens dessus dessous. Un verre douteux, un peu d’eau, l’aspirine... Pour le moment, Nash ne pensait qu’à fuir cet endroit trop petit, plongé dans le noir que les copains de la veille avaient laissé tel quel. Les copains… pour foutre la merde… ils sont sympas les copains mais en ce moment ils sont un peu gavants… Y en a un peu marre de l’alcool, un peu marre des filles qui rappliquent trop facilement, c’est même plus marrant. Nash lâcha un puissant rôt et se mit à rire en pensant à la réaction offusquée qu’aurait eue Mounie si elle avait été là. Nash se dirigea vers son Jeans déchiré et l’enfila sans se hâter. Un rayon de soleil traversait les persiennes et dessinait un tapis de lumière et d’ombre strié. Nash trouvait ça beau. Il aimait bien ces petits cadeaux inattendus. Dans son minuscule appartement, une scène improvisée balayait la pièce et Nash ne vit plus les immondices : il s’empara prestement de ses baguettes, utilisa tous les objets pour improviser un solo. Sa prestation finie, Nash salua le canapé muet d’admiration, public inconditionnel et d’autres fans qu’il fut seul à voir. Il remercia les objets pour la pureté de leurs sons. Nash prit ses clés, ses clics et ses claques et sortit léger et heureux de son deux pièces. Il se serait sans doute recouché sans cet interlude musical mais maintenant bien réveillé, il ne savait pas pourquoi, mais il était sûr, qu’au coin de la rue, de sa rue, l’aventure l’attendait et cela commencerait forcément par un petit apéro.

*****

Destin était revenu dans son bureau sur la pointe des pieds et c’est tout juste s’il n’avait pas filé à l’anglaise pour ne pas croiser le Grand Patron. Le Boss était de très mauvaise humeur et la réunion n’avait pas été une partie de plaisir. Climat s’était fait enguirlander pour cause de mauvaise gestion atmosphérique sur la Terre ; c’est vrai qu’il avait présenté un bilan catastrophique le pauvre vieux et Ecologie, le dernier venu n’en menait pas large non plus. A l’abri dans son bureau, Destin souffla cinq minutes et alluma son écran plasma. Vraiment y’avait des fois le Boss ressemblait plus à Lucifer qu’à un Saint ! Destin balaya ses mauvaises pensées d’un revers de la main et décida de s’offrir un moment de détente, de plaisir… Lui, son plaisir, c’était de jouer avec la vie des humains, là en bas. Il les aimait bien parce qu’ils avaient du caractère et on ne pouvait jamais prévoir ce qui allait se passer. Il avait écrit plusieurs romans d’amour, d’histoire, mais même s’il avait programmé, décidé de tel ou tel événement, il n’était jamais sûr que cela se passerait exactement et selon son bon vouloir. Non. Dans les autres mondes, oui. C’était même ennuyant à la fin, tout étant tellement prévisible. Destin ordonnait, dictait et tout se produisait sans la moindre étincelle de révolte. Bien sûr qu’il pourrait les obliger à se rebeller mais il n’en serait pas surpris. L’imprévu, le grain de sable, la désobéissance, une interaction avec un de ses collègues, comme Raison ou Sagesse, ça, ça rendait la partie intéressante surtout lorsque Passion s’en mêlait ! Souvent la partie était acharnée et il devait se concentrer. Destin avait juste un peu exagéré ces derniers temps en oubliant pas mal d’autres dossiers qu’il devait gérer. Jouer avec les humains le faisait déconnecter de la réalité ! Nul doute que l’Homme à la longue barbe blanche allait lui passer un sacré savon ou un savon sacré ?! Destin rigola tout seul de sa connerie et s’il fallait être sérieux et utiliser un langage soutenu avec le Boss, Destin aimait bien se détendre en parlant comme ce Nash qu’il avait sélectionné récemment pour une nouvelle expérience. Destin avait bien argumenté auprès du Boss, qui, trop absorbé par les excès de zèle de Climat et de C.F (Crise Financière) avait haussé les épaules lorsque Destin s’était expliqué sur ses oublis.

Destin se pencha à nouveau sur son écran plasma et zooma sur l’autre personnage, assis comme à l’accoutumée au bistrot « Le Paradis ». Il admira les jambes élancées de la belle dame et trouva décidément qu’il avait vraiment bien choisi les deux héros de cette nouvelle histoire d’amour. Il se trouva fort intelligent. Fier de ses trouvailles, il analysa d’un peu plus près son égérie. Comment s’appelait-elle déjà ? Ha, oui… Ysa.

*****

Ysa avait bien regardé sa foule de badauds qui longeaient, s’asseyaient, discutaient, riaient, se disputaient et toutes ces petites actions que l’on fait sans s’en rendre compte, près de son bistrot. Depuis plus d’un an, elle venait s’asseoir à la terrasse et le serveur savait lui garder un coin de table près de la fontaine, même en été, lorsqu’il y avait les touristes et que le bistrot affichait complet. Le soleil en ce début de janvier était au rendez-vous, le carillon du coin annonçait midi, il faisait bon lézarder et joindre l’utile à l’agréable, pensa Ysa. Elle sortit son carnet et griffonna des notes, des observations dont elle pourrait se servir un jour où l’autre dans ses écritures. Ysa avait parfois l’impression d’être une caméra qui mettrait tout en boîte… tout en boîte… ça la faisait marrer Ysa. Autrefois, c’était elle qu’on mettait en boîte ! quel humour songea-t-elle. Son regard fut attiré par un homme et une femme assis l’un à côté de l’autre, d’un certain âge mais qui avaient une telle complicité qu’Ysa les envia. Peut-être venaient-ils de se retrouver après des années de séparation ? Peut-être allaient-ils fêter leurs noces d’or ? Ysa se perdit en conjectures et pendant de longues minutes elle resta là à les observer, à les étudier, à…

-         Alors, ma petite dame, qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ?

-         Eh bien, mon cher ami, pour changer du « baby brésilien » je vais prendre un « grand noir ».

Le serveur se tourna vers la table voisine et réitéra sa question.

Nash qui venait de s’affaler sur le siège, ôta lentement ses lunettes de soleil et tout en regardant Ysa qui soutenait son regard, répliqua :

- Pour le jeune homme, ce sera un petit blanc… yeah man, un bon petit blanc !

Le serveur haussa les épaules et tourna les talons pour aller chercher la commande de sa cliente préférée et de ce blanc bec qu’il n’avait encore jamais vu et qui faisait de l’esprit. Le serveur déposa les boissons abandonnant Ysa et Nash dans leur face à face muet.

Le lendemain et le surlendemain, même heure, même scénario, Ysa et Nash imperturbablement silencieux. Le serveur un peu agacé par cet étrange rituel, haussa les épaules en désapprobation. Le troisième jour, Nash se leva, se planta devant Ysa amusée et tendit la main :

- Nash…

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