Barcelone

tadamok

A Barcelone, on aime le foot.

Ligue des Champions, Liga, deuxième division, amateurs, poussins : que ce soit au stade, à la télé, dans les journaux ou à la radio, on ne parle que de ça. Et Dieu sait si on parle à Barcelone ! Au restaurant, dans la rue, au stade, à la terrasse d'un café, on n'est jamais avare de sa salive.

Qu'un attaquant blaugrana décide de frapper maladroitement au but alors qu'un co-équipier est démarqué à côté de lui, et aussitôt quatre-vingt-mille socios debout dans les tribunes lui délivreront généreusement leurs conseils tactiques : « la pasa la pasa, cabron ! »  Fais la passe, imbécile ! »).

Que quelques jolies filles arrivent un peu en retard sur la zone réservée aux spectateurs du rallye, et des dizaines de gentlemen déjà installés leur proposeront galamment une place à côté d'eux d'un délicat hurlement : « Ven aqui ! Por aquiiiii guapa ! » (« Par ici, ma jolie ! »).

Que deux équipes de jeunes s'affrontent sur le terrain d'entraînement du Camp Nou, et chaque spectateur mettra ses cordes vocales à contribution dans une véritable symphonie chorale, composée d'un harmonieux mélange d'invectives diverses, de commentaires en tous genres, de consignes tactiques farfelues et de reproches à l'arbitre ou à l'entraîneur d'en face.

Et que dire de ce temple du decibel qu'est le fast-food le vendredi soir à l'heure de pointe ? Eh bien, d'abord, que cette heure se pointe là-bas bien plus tard que dans nos contrées tempérées. Ensuite, alors que règne en ce lieu un vacarme à faire pâlir de jalousie le plus robuste des marteau-piqueurs, on n'y surprend aucun reproche, aucune consigne de silence à des enfants surexcités, aucun regard de désapprobation. Des caissières aux clients, tout le monde subit le bruit avec la même résignation.

Alors quoi ? Doit-on en conclure que Barcelone est peuplé de sauvages, d'arriérés, d'imbéciles braillards qui ne pensent qu'à gueuler plus fort que leurs voisins, de grossiers personnages incapables de garder pour eux la moindre pensée scabreuse ?

Certes non, car le Créateur, dans sa grande bonté, a trouvé la solution pour calmer les ardeurs verbales de ce peuple extraverti : le coup de sifflet final, capable, tel un coup de fusil, de plonger subitement tout un quartier dans un silence de mort. Ainsi, il n'existe que deux moyens de couper le son à Barcelone : se boucher les oreilles et siffler la fin du match.

En outre, on s'aperçoit très vite, par exemple en arpentant les trottoirs surpeuplés des Champs Elysées catalanes, que les Barcelonais sont aussi capables de faire preuve collectivement d'un immense respect.

En effet, quoi d'autre qu'un respect sans limite vis-à-vis de l'excellence française pourrait bien expliquer le rejet de la langue ibérique au profit d'un idiome si proche du nôtre ? Bien sûr, on constate, à l'usage, que le catalan est suffisamment éloigné à la fois du français et de l'espagnol pour que d'éventuelles connaissances dans ces deux langues soient fort peu utiles, si bien qu'on n'y comprend finalement pas grand-chose. Mais ne dit-on pas que c'est l'intention qui compte ?

Et quoi d'autre qu'un souci permanent des droits et de la santé d'autrui pourrait justifier le comportement exemplaire des automobilistes barcelonais ? Depuis les interminables avenues ombragées jusqu'aux ruelles des quartiers chics se faufilant entre d'immenses immeubles parés de colliers de lierre et de bijoux floraux, en passant par les innombrables circonvolutions autoroutières ou les timides lacets du complexe olympico-touristico-culturel qui domine le Sud de la ville, toutes les voies de circulation sont revêtues d'un trafic fluide et discipliné, à l'allure modérée, comme à la botte d'un soleil de plomb souverain en toutes saisons.

Et mis à part une hypothétique passion pour la les mots finissant en -o, quoi d'autre qu'un respect immodéré pour mes papilles pourrait justifier la présence dans les sandwiches d'ingrédients aussi savoureux que le lomo, le quezo, ou le chorizo ?

Mais tout ça n'est rien à côté du respect le plus difficile à cultiver, le plus fragile et le plus beau tout à la fois : le respect du beau jeu, pour lequel cette ville est connue dans le monde entier. Hier, de futurs champions du monde, de passage dans la ville rose pour un stage, nous donnaient une leçon de football avec leur jeu en triangle, jouant avec nos nerfs et partant avec nos coupes. Aujourd'hui, les vedettes du Barça, avec leurs centaines de passes par match, régalent chaque semaine des millions de passionnés du ballon rond.

Quand on aime le foot, on aime Barcelone.

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