Bas les masques (Rouge Glace)

Caïn Bates

        Le soleil se teintait de ses nuances crépusculaires, oscillant entre la peau des pêches et la chair des saumons. Les alentours plongés dans un silence solennel que même les rafales de vent ne pouvaient interrompre. La route depuis Casteburied avait été longue et la vue des immenses remparts en acier à l'horizon nous avaient exhortés à redoubler le pas pour y arriver avant la nuit. C'est vrai que nous devions à l'origine arriver par le port mais, un malheureux contretemps avec une patrouille albionesque nous a fait dérivé vers la côte au sud et nous échouâmes à la pointe la plus à l'est du pied de la grande Ulster. Il nous a fallu quatre jours de marche pour atteindre l'île à l'horloge, et encore, nous ne sommes qu'aux portes de la ville.

         " Hep, vous là bas...
- Sobaka, au pied. murmurai-je à mon acolyte. Oui, monsieur le... soldat ?
- Agent Rope, madame. Où comptez-vous allez ?
- C'est à dire, soldat Rope, j'ai rendez-vous avec un émissaire de sa Majesté et nous compt-
- Nous avons ordre de ne laisser entrer aucune âme après le coucher du soleil, aucune exception.
- Soyez sympa, soldat Rope. Nous serons discrets, promis. La route a été longue et la navire qui devait nous amener au port a sombré. Nous avons nul part où aller mon garde du corps et moi.
- Votre garde du corps, il est plutôt louche, en dévisageant Sobaka.
- C'est l'une des spécificités des meilleurs gardes du corps, non?
lançai-je d'un ton faussement provocateur. Le pauvre chéri, un corps aux muscles si développé mais à la cervelle trop peu remplie. N'ayez crainte, il ne troublera pas l'ordre public.
- Puisque vous n'entrerez pas, reprit-il. Je suis désolé, madame, mais il vous faudra attendre la matinée pour espérer passer ses portes."


         Il lança un regard en arrière en levant brusquement la main. Les portes se mirent à se mouvoir avec fracas et, au loin, une sirène stridente se mit à résonner.

        " Si vous suivez le sentier, vous trouverez une auberge à quelques lieux d'ici, dites à la serveuse que vous venez de ma part. Elle vous accueillera à coup sûr et vous traitera bien.
- Si vous le dites. Je fît à mon tour un signe en direction de mon acolyte. Et bien, à demain, très cher. 
- Milady."

        L'homme en uniforme ne répondit pas à mon clin d'œil et nous regarda nous éloigner sans esquisser le moindre geste. Son allure était presque... robotique. Le genre d'automate que l'on peut trouver dans les anciens bunkers du Reich. Peu importe, Sobaka pourrait le réduire en morceaux, qu'il soit constitué de métal ou d'os.  


         " J'ai jamais eu les poings aussi intactes.
- Je sais, mais on doit se faire discret pour l'instant. Et puis, celui qu'on cherche n'est pas encore là. 
- Qu'est ce que t'en sais ?
- Tais toi, je tire un coup sec sur la chaîne serrant sa gorge. Il n'est pas là, c'est tout ce que tu as besoin de savoir, compris ?"

  
        Après un timide hochement de tête en guise d'approbation, Sobaka se remit en marche. Il nous a fallu presque une demi heure pour atteindre la frêle bâtisse qui devait nous servir de refuge. Calme et isolée, comme je les aime.


                                           * * * * *

          Quel étrange jeune homme, son visage familier et son accoutrement me laisse penser qu'il doit provenir du Continent mais, son air rassuré et son attitude décontracté me dévoile qu'il doit être originaire du BON côté des terres. J'espère juste que ce n'est pas un de ces Spoutniks ou un Bosche venu fouiner ou faire du repérage dans nos contrées. Je vais l'avoir à l'oeil celui-ci. En quoi est-ce si important qu'il surveille une vieille balle de cuir ? Elle semble ne contenir aucun dispositif ni d'autre cargaison enfouie en son sein. Ou alors, est-ce un message ? Non, elle est totalement creuse. Le gaz devrait agir jusqu'aux portes de la ville. Je le ferais escorter jusqu'à une cellule et l'interrogerait en temps voulu.
           Quand à ma "mission", sa Majesté va être ravie de savoir que tout a été mis en oeuvre pour accueillir nos opposants en cas de comportement belliqueux. Brats-Hords et ses alentours sont désormais garnies de troupes dissimulées et prêts à en découdre, Hyverpoule est calme et sereine comme une ombre et Copperhenge est à son apogée mystique. Nos mines ont repris leurs rendements maximales grâce à notre nouvelle dame d'acier, miss Tatch et les soulèvements populaires sont loin derrière nous.
          Malgré tout, une légère inquiétude me trotte dans la tête, cela fait déjà un bon moment que la garde venant de Victoria aurait dû nous rejoindre pour escorter les cargaisons. Pourtant, l'horizon ne semble contenir aucun trouble. Le garçon, lui, commence à s'agiter.

         "Vous êtes dans une sacré merde."

                                           * * * * *

        Malgré son masque, je sais qu'il est surpris de la situation. On a eu de cesse de me répéter que la ville des Horloges était l'endroit le plus sûr au monde, que personne ne pourrait entrer ou sortir ni même rôder dans ou aux alentours des remparts sans être immédiatement repéré. La fenêtre du poste de garde ou ses hommes ensanglantés semblent prouvés le contraire.

          "Je le savais que tu n'étais pas fiable.
- Fiable ? Tu ne sais même pas pourquoi je suis ici. Et, pour ma part, je suis à visage découvert..."

        Je tente de sortir de la voiture mais le mercenaire me plaque sur la banquette. L'œil mécanique de son masque se met alors à tournoyer, accompagné de cliquetis et de vibrations. C'est comme si il me... scannait ? Il tente d'attraper quelque chose à sa ceinture sans vraiment y parvenir.

            "C'est ça que tu cherches ? J'agite une pointe métallique à côte de son visage. Il va falloir être plus attentif, mon ami.
- Donnes moi ça ! Il me l'arrache des mains et le glisse dans sa manche. Qu'est ce que tu sais ?"

          Mais qu'est ce qu'il croit ? Je viens d'arriver sur cette île il y a à peine deux semaines et je n'ai croisé que quelques paysans avant lui. Est il du K lui aussi ? Non, c'est impossible, leurs agents sont tous morts en tentant de rejoindre les côtes. L'odeur de la Mort d'Iroise semble s'atténuer, ça s'éloigne.

          " Epöna, vous connaissez ?
- Oui.
- Comment ça, oui ? 
- J'ai entendu des... légendes sur ce ca... ce village."

        Je fais mine de ne pas entendre mais ça ne fait aucun doute qu'il y est allé. Je pense que j'ai trouvé l'assassin que Farewell recherche mais, ma mission ne le concerne pas et, de toute façon, je n'ai aucun moyen de la contacter. 

          " Kraven.
- Comment ça, Kraven ?
- C'est mon nom.
- Attano. Mais ne m'appelle pas comme ça en public. Pour toi, comme pour les autres, c'est...
- Protecteur, oui je sais. Le tavernier d'Hyverpoule m'a parlé de toi.
- Et, bizarrement, toi tu n'es sur aucun registre, ni fluvial, ni aérien.
- C'est une autre histoire. Pour l'instant, la ville a besoin de toi on dirait. Et, j'ai besoin de rencontrer ta reine. Laisse moi emprunter de l'équipement à un de tes... alliés. 
- Au moindre geste de travers...
- Oui, tu me descends.
- Là, Rope. Enfiles sa tenue, dépêches toi."


            Nous sommes ainsi remonté les allées de la ville mais n'avons trouvé aucun signe de combat hormis à l'entrée de la ville.


          " Sobaka, notre ami est arrivé." 

Signaler ce texte