Bataille duraille...
Jean Claude Blanc
Bataille duraille…
A regretter le passé, d'aller faire mon marché
Y'a plus de tortillards, au rancart, au musée
Qui trimbalaient leurs ouailles, s'en faisant une gloire
La bonne occasion, de se tenir crachoir
Jadis braves bougnas, pour une fois pas avares
Même abasourdis, sachant rien qu'au regard
S'inviter gentiment, un bon canon à boire
Le destin l'a voulu, nous a fait naitre trop tard
Par manque d'abonnés, voués à l'autocar
Entassés sur des sièges, pas de cuir, rembourés
Une banquette en bois, pour se taper les fessiers
Tandis que la loco, empestait la fumée
Pas franchement la joie, pour les endimanchés
Noir de suie à l'arrivée, comme des charbonniers
Passant pas tous les jours, cette limace rare
Fallait pas la louper, se mettre en retard
Car se pointant à l'heure, repartait sans crier gare…
Agitait son drapeau, sifflant le chant du départ
Pour pas être cocu, lui-même le chef de gare
On partait cœur léger, l'esprit dans les nuages
Pas pressés d'arriver, champêtre le paysage
Bien que pas grande distance, d'Ambert à la Limagne
S'agissait s'harnacher, cache-nez, passe montagne
Voyager sans payer, on ne s'y risquait pas
Passait le poinsonneur, hélas pas des lilas
Cravate de travers, et mal fagoté
Mais poli et serviable, se fendait de SVP
Ainsi que l'exigeait, son respectable métier
Certains le taquinaient pour son job pas marrant
Le sigle SNCF, ainsi le traduisaient
D'une formule méprisante, « sur neuf, cinq fainéants »
N'en prenait pas ombrage, tellement habitué
A en entendre souvent, de ces pas mûrs benêts
Omnibus (saut de puce), se devait desservir
Les bleds les plus paumés, stoppant à tout bout de champ
Pour quelques péquins moyens, « tramway nommé désir »
Qui partaient à la foire, deux ou trois fois par an
Sachant qu'en ce temps-là, ça ne coûtait pas cher
En user à loisirs de ces chemins de fer
Longés en cas de danger, de fidèles gardes barrières
Naguère pas traités de branleurs fonctionnaires
Michelines, wagonnets, attelés pleins d'entrain
Date de cette époque, cette expression ancienne
Que l'on répète encore, hélas devenue vaine
Les vaches ne regardent plus guère passer les trains
Empiler les bagages des vieux, des estropiés
Seuls les francs du collier, se devaient s'y coller
Unique remerciement un hochement de tête
Ayant encore cette chance, d'être bien chouchoutés
Alors qu'aujourd'hui, ils doivent faire la quête
D'une aide pas gratos, un surplus gratiné
Hélas terminés, vapeur et vacarme
Que navettes routinières avec sonnette d'alarme
Robotisées à souhait, ne tombent jamais en panne
Les anciens dépassés, ne foutent plus la rame
Les pigeons voyageurs, plus que des usagers
Qui ne s'en privent pas pour aller travailler
Devenue un rituel, de se laisser bercer
S'en même rien se dire, tous des étrangers
Quel merveilleux progrès, qu'a parfois des ratés
Déjà donnent de la voix les brimer, opprimés
S'ils doivent subir parfois, les lignes encombrées
Confiance en nos génies, savent de quoi inventer
Détruire les tunnels, les prés et les forêts
Bien triste nos campagnes, la France défigurée
A qui profite le crime, ne faut pas loin chercher
Aux banques, Vivendi qu'en palpent les intérêts
Mais comme ça suffit pas, suppriment des emplois
Chômeurs sur le carreau, pour eux ni chaud ni froid
Plus que des CDI qui doivent marcher au pas
On va pas se gêner pour quelques pèlerins épars
Qu'ils aillent faire leurs courses, à pieds en grandes surfaces
Va faire une drôle de gueule, le Chef d'Etat faux jeton
S'il ose s'attaquer à nos institutions
Bien moins réjouissant, que le show des vieilles canailles
Qui sème le désordre récolte la pagaille
Permettez, je déraille, que la bataille duraille
Les réseaux secondaires, tellement la galère
Faut les démanteler, y'a plus de train d'enfer
Misant sur le TGV, rapide comme une gazelle
Livrés à domicile, pour ça il fait ficelle
Programme annoncé, pas peu fier Manuel
Soudain réfléchissant, pas très sûr de lui
A convoqué de suite, le Guillaume Pépy
Qui pour se faire de la pub, possède gros appétit
Expert en la matière, président sans képi
Mais qu'en n'a pas l'étoffe, seulement missionnaire
Va servir de fusible, de bouc émissaire
Si les foules se démontent, de sa peau ne donne pas cher
On sent monter la fronde, en crise le pays
Déjà les syndicats crient à la tyrannie
CGT, SUD et FO pour une fois réunis
Même la CFDT, y prend sa part aussi
22 mars la grève, et à perpétuité
Faut pas s'en étonner, le peuple va défiler
En pince pour les cheminots, mais de loin les soutient
Réduits à faire du stop, pour aller au turbin
Western dès demain, le train sifflera maintes fois
A cheval, en diligence, ces bandes de hors la loi
Bien plus que du ciné, on va rester pantois
Sur le quai de la gare, désert et effroi
Retour la sécession, le sheriff aux abois
Par chance accoutumés, ceux de la seconde classe
Ces masses laborieuses, passeront devant la glace
Tandis que privilégiés, s'y prêteront de bonne grâce
Dans un jet privé, est réservée leur place
Crétins français naïfs, bonnes poires pour la soif
Ainsi toujours les mêmes subir cette poisse
Plantés-là à attendre, ne vous dis pas l'angoisse
Même pas informés, qu'ils restent en carafe
Trop fidèles cornichons, mais à la fin ça lasse
Tort d'avoir raison, ou raison d'avoir tort
Toujours ça de gagné, en guise de réconfort
Sauvée Notre Dame des Landes, de tout aéroport
Ainsi que les vengeresses, qui plaident « balance ton porc »
Non, non, non, sont pas morts, nos hameaux bougent encore !
Train-train plus que jamais, sur les bords de la Dore
En auvergne cette rivière que de larmes, en transport
Plus que des bus bondés, des tortues en renfort
Mais qui tournent au diesel, et amochent le décor
Une de ces machines rouillées, par miracle restaurée
Cruellement en souffrance, le restant de l'année
Démarre sans faire prier durant les mois d'été
En a toujours dans le ventre, que pour faire de l'effet
Aux touristes médusés, connait certain succès
En voiture Simone, écolo de nature
Ainsi à moindre frais partir à l'aventure !
En rades nos contrées, offertes qu'aux vacanciers
Ne sont plus qu'attractions, pour badauds en congés
Jouant la bête humaine, Jean Gabin pour de vrai
Pelletant sa fournaise, en sueur mâchuré
Où sont ces cheminots, dévoués par tous les temps
Allant serrer sans cesse, les éclisses des traverses
Ne comptaient pas leurs heures, hélas pour peu d'argent
Mais ne s'en plaignaient pas, courageux et modestes
Amers en vieillissant, perdu leur charme d'antan JC Blanc mars 2018