Beauvais-Août 1979 Ch.41

loulourna

42- Beauvais- août 1979 Ch.41

La voiture de location avait quitté Paris et traversait St Denis pour rejoindre la national 1 en direction de Beauvais. Comme convenu, Samuel avait téléphoné à 8h30 pour lui annoncer qu’il quittait l’hôtel. Comme convenu, Christine l’avait attendu au coin de la rue des Archives et la rue des Blancs-Manteaux.

Quelques commentaires sur le temps au beau fixe et sur la fluidité de la circulation de ce dimanche d’août furent les quelques essais infructueux de conversations très vite avortées. Samuel mis sur le compte de l’émotion, le silence de Christine. Retrouver une partie de son passé devait stresser la jeune fille. La vérité était toute autre ; Christine était toujours turlupinée par les remarques insidieuses de Brigitte. Elle observait Samuel, essayant de deviner ses pensées.

C’est ce moment-là, tout en regardant la route, que choisi Samuel pour dire —Tu es bien sérieuse.

Manquant totalement de franchise, elle dit, —Oh ! je réfléchissais à ce que j’allais trouver à Beauvais...si je trouve quelque chose. Ce mensonge lui évitait une discussion qu’elle ne voulait pas avoir. Le reste du voyage ce fit en silence. À 10h15 ils s’arrêtèrent dans le centre-ville, place Jeanne Hachette devant une brasserie. Quelques clients en terrasse. Ils pénétrèrent dans une salle vide et commandèrent deux cafés. Christine sortie de son sac la photo de Juliette et Laurent Chevrier, seul document en sa possession pour commencer ses recherches. Elle pensait que s’ils étaient toujours vivants, ils devaient être très vieux.

Christine se dirigea vers “ Lavabos Téléphone “ inscrit sur une porte au fond de la salle. L’annuaire de l’Oise était suspendu à une chaînette. Elle resta un instant perplexe devant trois Chevrier. Le premier, Antoine, puis Hervé et le dernier Michel. Pas de Juliette ou de Laurent. Au hasard, elle téléphona au Chevrier du milieu. Après la troisième sonnerie Christine entendit un allô masculin.

--- Excusez-moi de vous déranger, je cherche Juliette Chevrier.

Après un court silence, ---qui la demande ?

--- Mon nom ne vous dira rien. Je m’appelle Christine Nimier. Mon arrière-grand-mère habitait Beauvais et devait la connaître. J’ai trouvé dans ses papiers une photo représentant un couple, l’homme s’appelle Laurent... il n’a qu’un bras, la femme se nomme Juliette. Ca vous dit quelque chose.

Il y eu un long silence, a telle point que Christine cru que l’homme avait raccroché. — Allô ! 

— Oui, je suis toujours là...Ce sont mes grands parents...mon grand-père est décédé il y a 10 ans. Rappelez-moi votre nom.

Christine Nimier. Le nom de jeune fille de mon aïeule c’était Céline Vandaele.

—Bon dieu ! Elle va être drôlement surprise ma grand-mère ; autant que moi. Vous avez de quoi écrire ?

Christine n’avait pas de quoi écrire. — Son adresse est dans l’annuaire ?

—Au nom de mon père, Michel Chevrier. Attendez dix minutes, je vais la prévenir.

—Merci de votre gentillesse.

À la première sonnerie, une voix éraillée, mais à coup sûr féminine lui demanda, —-qui êtes-vous ?

Après s’être présentée et raconter sa petite histoire, elle termina en disant ; ma famille est originaire de Beauvais et la photo en ma possession est le seul point de départ pour faire mes recherches.

---Vous êtes de la famille de Céline Langier ?

--- Je suis son arrière-petite-fille.

--- Bon dieu ! ce n’est pas croyable. Vous êtes à Beauvais ?

---Oui je téléphone d’une brasserie place Jeanne Hachette.

--- Vous n’êtes pas loin de chez moi. Venez tout de suite. À pied il y en a pour quelques minutes.

Juliette lui donna son adresse et avant de raccrocher Christine eut le temps d’entendre un autre “ Bon dieu c’est pas croyable ! “ .

La voyant arriver toute souriante, Samuel comprit qu’elle avait déniché une piste.

10 minutes plus tard Christine sonna au 23 de la rue de Lorraine. Sur le chemin Christine raconta à Samuel ses conversations téléphoniques.

La maison de deux étages, bien entretenue datait d’une vingtaine d’années. Durant la grande guerre, la ville fut bombardée à plusieurs reprises. En juin 1940, rebelote ; Incendiée en grande partie par des bombardements de l’aviation allemande, Beauvais émergea de la guerre en grande partie détruite et sinistrée.

Samuel et Christine furent surpris par une sonnerie imitant Big Ben. Un homme d’une quarantaine d’années ouvrit la porte.

--- Entrez, je vous prie , dit-il en observant Christine, — Je m’appelle Hervé, le petit-fils de Juliette. Ma mère a hâte de vous rencontrer.

Un couloir s’ouvrait devant eux. Sur la gauche, des portes à doubles battants s’ouvraient sur une salle à manger. Une cheminée picarde au manteau de chêne sculpté occupait le mur du fond. Au bout du couloir une porte vitrée donnait sur une cour et laissait entrevoir derrière le verre dépoli un peu de verdure. À droite, un escalier montait vers les étages. Les grands carreaux de faïence noire et blanc de l’entrée sentaient l’encaustique. Des vêtements étaient accrochés à un vestiaire orné d’une glace centrale. Sur la tablette, des clés et un téléphone. Aux murs quelques gravures anciennes représentaient des paysages. Du premier étage la voix éraillée dit,—Montez ! venez vite !

Christine et Samuel pénétrèrent dans une chambre à coucher-salon. Deux grandes fenêtres décorées de doubles rideaux d’un tissu à fleurs donnaient sur la rue. D’un vieux et confortable voltaire, une dame âgée se servant d’une canne se redressait. Son fils se précipita pour lui venir en aide.

---Arrête de me traiter comme une invalide. Je peux encore bouger sans ton aide. À l’attention de Christine et Samuel, --- Michel me voit déjà dans la tombe. Depuis le décès de sa pauvre Annette il me couve comme si j’étais du verre. Si je le laissais faire il me mâcherait la nourriture. Elle regarda intensément Christine, puis lentement s’approcha d’elle et lui prit les deux mains.

La voix pleine d’émotion, elle dit, --- vous ne pouvez vraiment pas nier votre origine. J’ai l’impression de faire un retour de plus d’un demi-siècle dans le passé. Votre ressemblance avec Céline est extraordinaire. Se tournant vers Samuel,— votre mari ?

--- Non ! excusez-moi j’aurais dû faire les présentations. Samuel Goldman...un ami qui a eu la gentillesse de m’accompagner à Beauvais. Je n’avais pas le courage de venir seule.

—- Vous avez bien fait de venir. Je vous présente le grand dadais qui me couve ; Michel, mon fils. Mais je vous en prie ne restez pas debout, dit Juliette en indiquant le canapé devant une table basse recouverte d’un napperon en dentelle.

En faisant un geste circulaire avec sa canne, --- voici tout mon univers. Je ne sors que rarement de ma chambre. Ca ne me dérange pas beaucoup, pour ce que le monde extérieur a à m’offrir.

Tout à coup son visage se figea et son regard devint lointain. Ses yeux s’humectèrent, ---oui, j’ai bien connu Céline...nous étions de grandes amies...je peux dire que je suis à l’origine de sa rencontre avec Adrien... votre arrière-grand-père. Vous connaissez un peu l’histoire de votre famille ?

--- Oui...un peu, pas depuis longtemps, ma grand-mère n’était pas bavarde.

--- Il a bien fallu que quelqu’un vous en parle ?

--- Non, c’est à travers un échange de lettres écrites, quand Adrien était au front que j’ai compris beaucoup de choses.

Juliette regardait intensément Christine. --- Jusqu’à ce jour, lorsque je pensais au passé, Il m’arrivait de me demander si l’aide que j’avais apporté à la rencontre de Céline et Adrien avait été un bien ou un mal. Aujourd’hui j’ai ma réponse. Un jour elle a disparu avec ses enfants et je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Je n’ai pas cherché à la revoir...puisque c’était sa volonté de disparaître. Vous l’avez connue ?

--- Non, elle est morte en 1942.

--- En 1942 ? elle était encore jeune. De quoi est-elle morte ?

---De chagrin m’a dit ma grand-mère.

--- Quel gâchis cette guerre... je parle de la première. Sa vie et son amour pour Adrien ne faisaient qu’un. Lorsque nous apprîmes sa disparition j’ai cru qu’elle ne survivrait pas. Nous lui avons donné de l’espoir, peut-être était-il prisonnier, ou blessé dans un hôpital du front. Son corps fut découvert lors de la prise d’une tranchée allemande... nous avons cru que Céline devenait folle. Les parents...les amis nous l’avons veillé jour et nuit. Nous avions peur qu’elle attente à ses jours... petit à petit ça a eu l’air de s’arranger...après la mort de parents d’Adrien, elle a disparu avec ses enfants.

Le silence qui suivi fut interrompu par l’introduction d’une clé dans la porte d’entrée et toute la maison s’emplit du raisonnement du Big Ben d’une manière répétitive.

Juliette énervée se tournant vers Michel, --- Tu ne peux pas dire une fois pour toutes à Muriel d’arrêter ses sonneries intempestives. Si elle continue je vais débrancher ce carillon ridicule. À quoi sert sa clé ?

Le bruit de la montée quatre à quatre présumait de quelqu’un de jeune. En effet, une jeune fille d’environ 18 ans encadra la porte de la chambre. Elle se précipita sur Juliette et l’embrassa avec fougue.

Visiblement amadouée par ces manifestations de tendresse elle dit, --- si tu continues je t’enlève ta clé, tu auras ainsi de bonnes raisons de sonner. Michel cela fait cent fois que je te demande de retirer ce carillon prétentieux et de mettre une sonnette normale. Muriel souriante, tenant son grand-père par les épaules, --- Il faut bien que j’annonce mon arrivée en fanfare.

Juliette fit les présentations.

--- Je viens en curieuse, c’est vous l’arrière petite fille de Céline ? Ca c’est une surprise ! Elle se précipita sur Christine,---Je vous embrasse. Vous savez que vous faites partie de la famille. Tous les ans à la Toussaint, Juliette tiens à ce que nous fleurissons les tombes des familles Vandael et Langier. Son regard allait de Christine à Samuel,—vous êtes ... ?

—Des amis.

Christine était touchée par la chaleur communicative de cette famille proche de la sienne,---Je suis heureuse de faire enfin partie de quelque chose.

Christine sortit de son sac un paquet et le tendit à Juliette,---Voici les lettres de Céline et Adrien lorsque celui-ci était au front. Je les avais préparés au cas où...  En venant à Beauvais, j’espérais trouver, je ne sais pas trop quoi. Je ne pensais pas rencontrer quelqu’un d’aussi proche de Céline. Je ne pense pas qu’elle m’en voudrait. Elle avait fait promettre à ma grand-mère de les brûler si la succession n’en était pas digne. Je pense que Céline serait heureuse de savoir que je vous permets de les lire.

Juliette contempla les lettres une par une et regarda plus longuement l'enveloppe allemande. Interrogative, elle leva les yeux vers Christine.

---Dans cette lettre, un soldat allemand, Franz Grünwald parle de la mort d’Adrien.

---Je peux les lire à voix hautes ? demanda Juliette.

--- Oui, murmura Christine dans un souffle.

Juliette lit les lettres une à une. Les larmes lui montaient aux yeux. L’auditoire écoutait en silence...attentif... respectueux. Pour des raisons diverses ce passé appartenait à tous. Les guerres passées, jusqu’à la “pacification “ en Algérie avaient fait des ravages dans beaucoup de familles de Beauvais et d’ailleurs.

La mort de Lucien Chevrier, jumeaux d’Hervé, mort dans le djebel algérien à l’âge de 20 ans, avait été le dernier drame de la famille. Michel ne s’en était jamais remis. Sa femme était morte récemment à l’âge de 55 ans d’un arrêt cardiaque. Depuis Michel vivait chez sa mère. Samuel découvrait le passé de Christine. À cet instant il comprit qu’il fallait rester humble avec ses morts et qu’il ne fallait pas être obligatoirement juifs pour subir les tourments et les horreurs de la guerre. Cette famille déchirée, pleine de noblesse, victime sur plusieurs générations d’événements tragiques qui sous couvert de patriotisme de nationalisme et de devoir sacré avait payé son tribut à la France.

Juliette rompit le silence qui suivi la lecture des lettres, --- Muriel téléphone à ta mère pour lui annoncer que nous avons deux invités de plus pour le déjeuner.

Se tournant vers Christine et Samuel, --- je ne veux pas entendre de non. Nous fêtons aujourd’hui les 18 ans de Muriel. Nous avons de la chance, par la même occasion nous allons fêter le retour de l’arrière-petite-fille de Céline. Si vous saviez le plaisir que vous me procurez en étant la devant moi. Au fait, comment m’avez vous trouvé ?

--- Le pur hasard...deux noms derrière une photo. En disant ces mots Christine sorti la dite photo de son sac et la tendit à Juliette.

Elle regarda longuement la photo,--- Toute une époque... toute une époque. --- J’ai eu beaucoup de chances, Laurent avait perdu un bras au début de la guerre. C’est le seul homme de notre entourage qui s’en est sorti... un jour je vous raconterai tout ce que vous ne savez pas sur votre famille. Céline était un être rare...mélange de candeur...de pureté...elle était faite pour le bonheur...elle le méritait...elle avait foi en Dieu...elle avait foi en la vie. Son univers, c’est écroulé en 1917. Elle venait d’avoir 22 ans.... Lorsqu’ils ont quitté Beauvais, la petite Arlette devait avoir 9 ans... Julien...tout le portrait de son père... devait avoir 10 ans. Que sont-ils devenus ? Ma grande mère, Arlette est morte l’année dernière. Julien, c’est une autre histoire. Ce n’est pas le jour pour en parler. Muriel était revenue. Elle se garda d’interrompre le défilement des souvenirs de Juliette.

Celle-ci leva la tête vers Muriel, — Alors !

— Tout est arrangé, maman nous attend dans une demi-heure. Juliette se retourna vers Samuel, —excusez-nous, on vous néglige, mais tous ces souvenirs qui remontent de loin...tellement loin.

Christine s’approcha de Samuel et lui prit par le bras,—Je ne te remercierai jamais assez pour le service que tu m’as rendu.

En ce dimanche d’été, pour la première fois Christine ne se sentait plus orpheline. Que dire de ce déjeuner de fête ? Un vrai repas cuisiné par plusieurs générations de Français qui ignoraient tout du fast-food. Colette avait préparé des canards sauvages aux navets avec des petites pommes de terre nouvelles, cuites au four. Hervé avait monté de la cave quelques bouteilles de Chateauneuf-du Pape, vin puissant s’accordant parfaitement avec la volaille. Toute cette joyeuse assemblée leur rendit hommage en levant leurs verres au bac réussi de Muriel, à ses 18 ans et aux retrouvailles avec Christine. Les deux jeunes filles avaient très vite sympathisé et parlaient de leurs études. En octobre Muriel allait vivre 5 jours sur 7 à Paris. Elle était inscrite à la faculté de médecine.

--- J’espère que tu vas venir nous revoir, conclut-elle.

--- Oh ! ça, tu peux en être certaine. J’ai été une enfant solitaire, maintenant que j’ai retrouvé mon passé je ne vais pas le lâcher facilement. En octobre je pars en Allemagne terminer mes études et ensuite je reviens à Paris. Si tu veux, tu peux profiter de mon appartement, ça te fera des économies.

---Maman ! papa ! vous entendez. Christine me propose d’habiter chez elle à Paris.

--- Ca c’est gentil ! Tu nous retires une épine du pied. Un an que nous cherchons un studio...introuvable ou alors très cher. C’est la providence qui t'envoie.

Christine, toute à son bonheur d’avoir trouvé une famille ne remarqua pas les regards discrets, souriants mais sûrement scrutateur des Chevrier vers Samuel. Il était évident que tous trouvaient étrange que celui-ci était venu à Beauvais uniquement par amitié pour Christine. Colette assise à la gauche de Samuel lui demande, — Alors, comme ça vous êtes un ami de Christine ? Samuel comprit que la question sous-entendait «quel genre d’ami ? »

Son visage ne laissa rien paraître pour répondre, — Oui, nous avons fait connaissance l’hiver dernier à New York. Christine appréhendait de venir seule à Beauvais, elle m’a demandé de l’accompagner.

--- Vous êtes à Paris pour le travail ?

---Non... mes parents arrivent après-demain...je suis venu quelques jours en avance

.---Vous restez longtemps ?

--- Je ne sais pas...ça dépend.

--- Quoi qu’il en soit, vous venez à Beauvais quand vous voulez.

--- je pourrais être tenté, votre cuisine est excellente et vous êtes tous très sympathiques.

Hervé passa le bras autour de la taille de Colette, --- Ma femme est une très, très bonne cuisinière. Si vous venez à l’improviste vous pourrez constater que nous mangeons comme ça tous les jours. Pas aussi riche mais aussi bon.

Le repas s’éternisait. Vers 17 heures, Michel avait raccompagné sa mère rue de la Taillerie. Avant de partir elle avait serré Christine sur son cœur.

--- Tu m’as fait un beau cadeau en venant ici. Pourquoi tu ne viendrais pas quelques jours pour le long week-end du 15 août. Je suis certaine que tu n’as rien à faire à Paris.

Elle se tourna vers Samuel, --- À moins que vous ayez des projets ? Vous êtes également le bienvenu.

--- Je suis obligé de refuser, mardi je vais à Roissy accueillir mes parents.

Christine promit, --- j’en profiterai pour fleurir les tombes de ma famille. À 21 heures, Christine et Samuel prirent la route de Paris.

A suive...


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