Bercer sa vie

aile68

Bercer sa vie n'est pas forcément se bercer d'illusions. Revoir la balançoire du petit dernier, une balançoire fabriquée avec des draps et un petit matelas savamment suspendue au-dessus d'un lit. Tout est blanc, le lit, les murs de la chambre, je ne vois rien d'autre que cette couleur blanche, bébé sourit il sera blond comme ses frères. C'est un amour blanc comme le lait, le chaton qui miaule sous la lune et son halo translucide, la lumière tamisée sous son réverbère de verre. Etre seule dans mon souvenir, où est passé bébé, les gens, le père, la mère? Seul le chaton vient de rentrer dans la maison vide pour finir le repas du soir dans sa petite gamelle. Le modeste foyer dans sa lumière blanche ressemble à un îlot paisible, doux, on se croirait dans un nuage de coton. Quand soudain le chat s'interrompt de manger, c'est pour voir entrer dans la cuisine le maître et sa femme. Enveloppée dans un châle de laine bleue, elle porte le bébé de ses bras protecteurs. ça ressemble à une histoire qui se situe dans un temps ancien, un temps où un verre de limonade nous rendait heureux, mes frères, ma soeur et moi. Nous pourrions être les enfants de ce couple sans âge, un peu éternels, un peu éphémères dans mon souvenir, dans un étrange paradoxe, l'éternité et l'éphémère se rejoignent dans un bruit de sabots qui claquent sur le sol comme les sabots du cheval dans l'écurie.

 Dans cette maison à l'allure modeste le placard regorge de café et de miel, de farine et de lait. De quoi rendre le maître et ses enfants bien heureux. Et la femme? N'a-t-elle pas droit au bonheur? Elle représente cette bonne âme de la maisonnée, l'ange gardien dévoué et soumis comme au temps où les femmes étaient vouées corps et âme à leur famille. C'est comme si elles s'excusaient d'être heureuse. Dans mes souvenirs comme sur les photos en noir et blanc de mes aïeux, les visages sont sérieux, d'autres les plus émus, sont les plus beaux. Qu'il me semble lourd soudain ce passé enfui! Ces visages graves, les adultes comme les enfants, me font un peu peur. Qu'il semble loin ce temps des photos en noir et blanc! Comme il s'échappe au loin, dans cette maison à la campagne! Là-bas c'était le paradis, des amis qui arrivaient de partout pour un verre de limonade ou de vin frais. ça sentait bon le pain chaud, ça piaillait de tous les côtés. Ma mère, bonne mère, m'a offert ses souvenirs, tous ces souvenirs qui peuplaient son esprit et l'enveloppaient comme un châle bleu.

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