Berger de talus

Bob Tass


Avant, il y a longtemps je vivais sur un autre continent. C’était pas terrible la vie.
Je traînais, je faisais les poubelles parce que personne me filait à bouffer.

Et puis il y a eu ces blancs qui sont venus pour construire un hôtel, ils vivaient dans un camp et j’ai tout de suite senti que leurs poubelles avaient rien à voir avec les autres. Les gardiens me lançaient des pierres alors je venais la nuit pour les éparpiller et pouvoir choisir à mon aise.
Un jour il y a un homme blanc qui s’est approché de moi, il me parlait, m’appelais Kiki ou Toutou en souriant alors je me suis laissé caresser en remuant la queue. Il m’a fait signe de le suivre et je l’ai suivi.

Super le camp ! Une vingtaine de villa, du gazon, des fleurs, personne pour me lancer des cailloux : merveilleux.
Je venais de trouver ma vocation, maintenant je serai chien de blanc !

Les hommes partaient le matin pour ne rentrer que le soir, je faisais le tour des maisons où il y avait des femmes, une caresse par ci, un os de poulet par là. Le bonheur. Y avait bien quelques cuisiniers à essayer de me mettre un coup de pompe dans le train mais bon ils le faisaient en cachette et pas très souvent.


Le soir j’attendais les hommes au portail, j’avais alors tellement de caresses qu'il m’arrivait d’avoir des crampes à la queue à force de leur montrer que je les aimais, dés fois ils me faisaient monter à l’arrière de leurs pick up et j’adorais ça, faire le tour du camp.


Une chose me mettais mal à l’aise c’était que certains essayaient de m’approprier, moi j’aimais tout le monde alors je m’échappais pour mieux revenir le lendemain après avoir salué tout mes amis.

Petit à petit y en a qui sont partis jusqu’à ce qu’un beau jour il en reste plus que deux.
Celui qui s’appelait Michel il m’a dit :

Toi le berger de talus demain je t’emmène au docteur et après on iras à Chateauroux.

C’est comme ça que je me suis retrouvé dans ma première cage et mon premier avion, j’aimais mieux les tours de camp en pick up. Une nuit, une nuit entière à trembler de trouille dans le noir.
Et puis une porte s est ouverte et le jour est revenu puis un homme inconnu avec un gilet orange s’est emparé de ma cage. J’ai grogné et il a répondu :
- Ta gueule le clébard !
Après tout un tas de tapis roulants j’ai aperçu Michel à travers les barreaux, il a ouvert la cage et voilà comment je me suis échappé.

Tout le monde me courrait après dans l’aéroport, j’avais trop les jetons pour me laisser attraper, une porte et j’ai foncé, des avions, du bruit, des hommes et des femmes là aussi en jaune qui se moquaient de moi. De l’herbe, du gazon, des lapins. Je me suis calmé et fait quatre fois le tour et croqué deux lapins avant de trouver un trou dans la clôture.

Si j’avais su ce qui m’attendait je me serai jamais enfui.
Des routes et des voitures partout, rien à bouffer, le froid et la pluie. Terrible !
Le compas me disait que je venais du sud, j’ai donc pris cette direction en me disant que de toute façon je reconnaîtrais l’Ogooué à ses trains de bois flottés.

J’ai marché longtemps, je me nourrissais de drôles de petits porcs épics écrasés, deux fois seulement je réussis à me glisser dans un poulailler,un véritable festival gastronomique !
Un jour à moitié mort de faim je me suis retrouvé dans la cour d’une maison, trop épuisé, trop malheureux pour avoir peur. Une dame blonde est sortie, blonde comme les blés, elle à dit :
- Qu’est ce tu fais là toi ?

Même pas répondu, je me suis couché dans l’herbe. Elle m’a porté à boire et elle à regardé mes pattes toutes couvertes de plaies et de sang séchés. Un chat est venu me voir.
- Moi c’est Mimine et toi ?
- Moi c'est Bergerdetalus.
- T’as un drôle de nom.
- Toi aussi.
Je me suis endormi et c’est Mimine qui m’a réveillé en me léchant la truffe.
La dame m’a donné à manger et m’a lavé les pattes.

Ca fait trois mois que je suis chez elle, je suis un chien heureux, elle m’emmène promener quand elle revient du travail, elle a pas de pick up mais le soir j’aime bien rester à ses pieds quand elle navigue sur WeLoveWords.com


Au fond je sais bien qu’un jour je reprendrai la route pour retourner chez moi.

Je passerai par Tanger, elle a un copain là bas, Langueursanimales elle l’appelle, un drôle de nom lui aussi !

NB: Ce texte a déjà été publié ailleurs.


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