Berlin

tadamok

Souvenirs de voyage : le nouvel an à Berlin

Le couple franco-allemand existe : je l'ai rencontré. Il était assis à côté de moi dans le vol Paris-Berlin. Il avait même un bébé.

Ceci dit, il y a de l'eau dans le gaz. Pour preuve, cette ardoise chez un marchand berlinois : « France : 13,50 € ». Je ne serais pas étonné que Madame l'Allemagne cherche à recaser son compagnon à une vieille copine.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Déjà, Madame fait la gueule. Dans les commerces, les musées, les aéroports, pas un mot, pas un regard. Il y a bien quelques sourires ici ou là, mais ils sont presque tous forcés. Même avec un chapeau de clown ou une crête de coq sur la tête pour fêter Noël, elle ressemble à cette vieille institutrice tyrannique aux rides profondes qui nous a tous traumatisés dans notre enfance.
Ensuite, Madame prend soin d'elle, sans regarder à la dépense. Elle s'est offert d'immenses galeries marchandes un peu partout dans la ville, une gare centrale ultra-moderne à cinq étages et des stations de métro flambant neuves, grandes comme des terrains de football. Sur les grandes avenues, elle a soigneusement orné la moindre branche d'arbre d'une guirlande lumineuse, serti la moindre oreille féminine d'une perle, et remplacé les bottes des soldats du Reich par de luxueuses bottines arborées par de riches femmes russes aux longs cheveux blonds. Elle a aussi planqué son musée de l'Holocauste sous un tapis de menhirs cubiques, et elle a fait installer le double-vitrage partout, depuis l'hôtel de luxe le plus étincelant jusqu'au HLM le plus miteux. Bref, à défaut de double discours, il se pourrait bien que Madame l'Allemagne ait une double vie.

Monsieur France et elle allaient pourtant bien ensemble. Je les ai croisés au cinéma une fois : ils étaient rayonnants. Chaleureux, riant aux éclats, ils chahutaient comme des enfants, donnant des coups de pied dans les sièges de devant ou traversant la rue quand le bonhomme est rouge.
Certes, il est arrivé que Monsieur reproche à Madame d'être un peu trop près de ses sous. Mais c'est pourtant elle qui lui avait offert une place gratuite ce jour-là. Parfois il pointe du doigt son austérité, sa froideur. Pourtant elle n'a pas son pareil pour décompresser : elle profite des bienfaits du sauna en tenue d'Eve, elle allume des feux d'artifice en famille à tous les coins de rue à la nouvelle année, elle partage le vin chaud autour d'un tonneau ventripotent, elle ressort à 23:30 pour faire un footing en profitant du chant des oiseaux alors qu'il fait nuit depuis 16:00 ! Monsieur France se plaint de l'indifférence dont elle fait preuve à l'égard des touristes, obligés bien souvent de se contenter de traductions approximatives, ou réduits à faire dix mètres dans le froid de la rue pour rejoindre le vestiaire où attendent leurs manteaux. Pourtant, elle seule est capable de bâtir un aéroport de telle sorte que le voyageur n'ait pas plus de cinquante mètres à faire entre la sortie de l'avion et le bus qui le conduira au centre-ville. Il raille quelquefois sa discipline intransigeante, mais elle aussi a fait la révolution pendant sa crise d'adolescence, en 89. La seule différence, outre un écart de deux siècles, c'est qu'elle a attendu l'autorisation du ministre pour descendre dans la rue (!).

D'ailleurs, Madame l'Allemagne était-elle vraiment si heureuse avant cet épisode, du temps où elle partageait sa vie avec Monsieur URSS ? Ah, il avait de belles moustaches, ça oui ! Il suffit de se promener un peu dans l'Est de la ville pour se retrouver face à d'immenses fresques à la gloire de ce bellâtre arborant ses beaux outils et débordant d'enthousiasme, avec ses gros biceps affleurant sous ses manches retroussées. Ils se sont aimés d'un amour passionnel dont il ne reste aujourd'hui que des cendres : sous la Karl Marx Strasse, les affiches du métro ne parlent que de traitements contre la dépression et d'appels aux dons. Et les larges avenues dans lesquelles ils avaient emménagé ensemble sont tristes et froides, aussi longues qu'un hiver à Moscou.

Mes amis, nous devons agir pour sauver le couple franco-allemand avant qu'il ne soit trop tard ! Commençons par les envoyer faire une promenade. Qu'ils sillonnent le terminal circulaire de l'aéroport de Tegel, où l'on peut faire le tour du monde en cinq minutes montre en main, au gré des comptoirs d'enregistrement des compagnies aériennes. Il ne leur restera plus qu'à choisir une destination. Amis français et allemands, et si ensemble nous faisions un beau voyage ?

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