Berlin, gare centrale

luinel

une allégorie de la situation de l'Allemagne du temps de la guerre froide

Il faut se repérer, quand on arrive. Ce n'est jamais facile si on ne connait pas les lieux. Et un lieu qui se transforme, on ne le connait jamais. D'une fois sur l'autre, à chaque visite, il prend de nouveaux aspects. On a du mal à retrouver les points de référence, à mobiliser sa mémoire pour se guider. Tout semble nouveau.Après un long tunnel qui traverse la ville, on débarque au sous-sol, au deuxième ou troisième niveau dessous. Quoi, est-ce un bunker ? Ici ?

 

Qu'importe, il faut réagir. Repérer les bons panneaux. Savoir la direction à prendre. Vers la queue ou vers la tête. Ah, un escalator. Le prendre, c'est évident puisqu'étant en sous-sol, la seule voie est de monter. Mais aussitôt à un détour de tête, le regard perçoit deux autres escalators et même un ascenseur qui s'alignent dans la perspective de la plateforme. Lequel choisir ? Panneaux lumineux, lumière clignotante, multiplication des indications. Et tous ces gens, qui vont, qui viennent autour de vous. La foule. On se sent noyé, comme un poisson dans un bocal. Il y a trop de bruits, trop de noms, trop de monde, trop de couleurs. Trop de mouvement. Une vraie fourmilière.

 

J'arrivais de Paris et je devais prendre le S-bahn qui, ici, est une sorte de métro aérien régional.

 

La Gare centrale, Hauptbahnhof en allemand, mérite son nom à un double point de vue : elle est la gare principale mais aussi un croisement de lignes. Lignes nord-sud en bas, lignes est-ouest en haut. Le cœur d'un X. La gare centrale est un mastodonte en construction  permanente depuis plus de dix ans. Un tour de force architectural. Elle change, s'agrandit, s'approfondie. Dans toutes les dimensions, elle se déploie.

 

Je sortais du train international arrivé en sous-sol, je devais monter pour aller sur les quais du S-bahn. Passer de l'axe souterrain à l'axe aérien. Je ne savais guère comment m'y prendre face à cette multiplicité de possibilités, de passages, de circuits. Tout était nouveau pour moi.

 

Je suis monté. J'ai pris une volée d'escalier mécanique dans un sens. Plateforme. Une deuxième volée dans le sens inverse. Un Z. Deux Z successifs, même. L'essentiel était de me hisser, de m'extraire du sous-sol.

 

Et voilà que je débouche au niveau de base, un rez-de-chaussée entre les sous-sols où mon train m'a amené et les hauteurs où je dois aller trouver mon métro. C'est une sorte de grande allée entre deux entrées monumentales. Un forum. Les indications, les panneaux directionnels que je tentais de repérer et de suivre sont noyés dans un feu d'artifice, un jaillissement de panneaux commerciaux, d'affiches publicitaires. Gare ou Galerie commerciale ? On se croise, on s'affaire, on aperçoit la dernière collection de vêtements exposée dans une vitrine, on renifle une odeur de frittes, les images syncopées d'un écran vidéo percutent la rétine…  Sans le vouloir, mon regard capte même un placard annonçant une grande exposition de peinture : le Combat de Jacob et de l'Ange, de Paul Gauguin, comme toile emblématique.

 

Rumeur de rue, de boulevard, de ville qui résonne dans ce lieu clos. On se surprend à regarder tous ces gens en cherchant un visage connu. On s'attend à rencontrer quelqu'un, un ami, un voisin, un parent à qui l'on dirait ! « Comment vous ici ? Quelle coïncidence ! ». Car dans ces lieux anonymes et passants, tout est possible, y compris l'incroyable.

 

C'est d'ailleurs en cet endroit anodin que j'ai vu la gamine. Sur cette dalle centrale ainsi envahie et où convergent divers couloirs issus on ne sait d'où, elle était là. Seule. Perdue. Délaissée. Dans cette tour de Babel faite de verre et d'acier, elle s'était placée juste au centre de la croix, au centre du signe X, sous la croisée des voûtes, là où l'axe nord sud interrompt la verrière est-ouest.

 

Pourquoi dis-je la gamine et non pas une gamine ? Une gamine, une gosse parmi d'autres ? Je ne la connaissais pas bien sûr, je devais prendre mon S-bahn et me rendre à mon hôtel puis à mes affaires. Je n'avais pas rendez-vous avec elle, n'est-ce pas. Mais cette enfant seule dans cette gare centrale, m'a semblé devoir être là de tout temps et sa rencontre m'a semblé être inévitable. Je vous l'ai dit, c'est en ces lieux ordinaires que l'on peut faire face à des situations insolites.

 

Je me suis arrêté, peut-être même ai-je posé mon bagage. J'ai hésité un instant. Lui parler ? Je ne maîtrise pas assez bien l'allemand. La fillette ne semblait pas inquiète outre mesure. Et les gens passaient autour d'elle, sans se préoccuper de sa présence, sans en tout cas la trouver insolite. Ni inquiétante.

 

J'ai regardé l'heure. J'avais du temps. Je suis allé dans une petite brasserie qui, au coin d'un couloir, s'ouvrait sur cet espace central. J'ai commandé un café. En attendant que vienne mon tour et qu'on me serve, j'ai regardé. J'observais l'enfant. Elle avait une douzaine d'années tout au plus, dix peut-être, le moment où l'on sort du premier âge, où l'esprit est en éveil, le regard curieux de tout et la gamberge encore fraîche et créative. Elle était blonde avec une natte. Bien mise : jean, sweatshirt, allure passe-partout d'une fillette contemporaine. Pas impatiente. Elle regardait autour d'elle, non comme un enfant qui attend un adulte, un parent, un ami. Non comme un enfant apeuré. Mais comme une gosse posée là, chez elle, seule mais pas abandonnée.

 

J'ai reçu mon gobelet de café noir, j'ai dit danke schön et au milieu d'une rangée d'autres consommateurs, je me suis trouvé une place et me suis assis devant une planche étroite qui servait de tablette près de la vitre. C'est à ce moment-là que le phénomène s'est produit.

 

J'ai vu un autre moi-même surgir de la foule. Un autre moi-même. Moi. Moi dédoublé. Moi vêtu comme je le suis souvent en ville. Blouson, chemise à col ouvert. Moi avec les attitudes que je me connais. Cette façon par exemple d'incliner la tête vers l'épaule gauche et qui, quand j'étais enfant, suscitait remontrance de la part de ma mère. Tiens-toi droit, me disait-elle, redresse la tête. Moi, avec cette boucle de cheveu que je n'arrive pas à discipliner sur la tempe, sauf quand je sors de la douche et que je plaque ma chevelure encore mouillée. Là-bas, j'étais là-bas. Je venais de sortir d'un ascenseur qui m'avait hissé des profondeurs du lieu. Apparition. J'avais le sourcil froncé, l'air pressé et revêche. Je marchais à grandes enjambées dans un rythme quelque peu mécanique, comme je le fais quand j'ai un but précis à atteindre. Un air décidé, tu as un air décidé me dit-on. Mais là, c'était plus qu'un air décidé, c'était un air obstiné. Oui, obstiné.

 

Qu'allais-je faire ? Venais-je vers moi-même, là dans cette brasserie de gare où j'étais attablé à boire mon café ? Des gens passaient devant, derrière cette silhouette en marche, les trajectoires se croisaient. Un groupe de touristes chinois s'est interposé et m'a caché la vue. Je me suis caché à moi-même. Pendant une fraction de seconde, une durée infinitésimale, j'ai eu un doute. Ce dédoublement, non, ce n'était pas vrai, pas possible. La preuve tangible avait disparu. J'étais soulagé. Puis le groupe chinois a passé son chemin et je me suis réapparu. Toujours le même air affairé, tendu. Obstiné. Il y avait quelque chose de magistral dans ma dégaine, je dirais même plus, quelque chose de martial. Une tonalité que je ne me connais guère dans la vie quotidienne – mais que je sais dormir en moi et s'éveiller parfois de mes tréfonds.

 

Et alors j'ai compris. J'allais vers la gamine. Oui, c'est vers elle que je me dirigeais avec cet air dominateur, pendant qu'au même instant je regardais la scène tranquillement étonné et que j'avalais une nouvelle gorgée de café. J'ai senti ce qui allait se passer comme si je le vivais moi-même – je veux dire comme si celui qui était assis ressentait ce que ressentait celui qui était en marche. Une sorte d'émanation des profondeurs. J'ai compris que la silhouette martiale allait saisir la fillette par la main et l'emmener. Délirant non ? Non. Pas tant que cela. J'allais la prendre par le bras et la forcer à se lever, la tirer s'il le fallait, l'obliger à me suivre même si elle marquait une résistance. Il me fallait faire vite. Eviter le scandale. Les cris. Empêcher que les passants s'ameutent, s'attroupent. Une vague de chaleur m'est montée à la tête sans que je sache désormais si c'était en moi, ou en moi. Dans le moi assis ou le moi en mouvement.

 

Et c'est au moment où j'étais devant elle, devant la gamine à la natte blonde et aux yeux bleus qu'est apparu le troisième. Moi. Moi encore. Moi, toujours. Moi en une troisième version. Surgi aussi par ascenseur, venu aussi des profondeurs du lieu. Oui, des profondeurs. J'avais cet air souverain et calme que je prends quand je dois faire face à une situation de crise. Oh, je me connais. Je me connais suffisamment pour savoir alors ce qui se passe en moi et décrire le processus qui chaque fois se met en route. La situation est confuse, difficile, la fatalité me joue un tour ? Alors au lieu de m'affoler, je garde mon calme. Je fais face avec une lucidité extrême et une grande maîtrise des choses, aux retours de fortune. C'est ainsi que j'ai réagi quand mes parents sont morts tous deux dans un accident de voiture il y a dix ans ou que ma femme m'a quitté voilà trois ans. Ce moi numéro 3 affichait cette placidité. Sûr de soi et dominateur, selon l'expression utilisée en une autre circonstance. Je me suis approché – pardon, pour la clarté du propos je dois désormais dire il – il s'est approché de l'endroit où l'autre allait saisir la gamine par le bras. Là sous les voûtes, à la croisée des nefs. Au cœur du x. Il a dû contourner trois hommes d'affaires encombrés de leur valise à roulettes, il s'est presque heurté à une femme qui semblait en retard et se précipitait dans la direction d'un escalier mécanique. Mais il avançait avec cette détermination et ce calme qui me permettent toujours d'affronter les situations difficiles.

 

Y avait-il une situation difficile ?

 

Oui. Avant même que les choses se déroulent, je savais ce qui allait se passer. Une scène parmi d'autres, allez-vous penser, au sein d'un lieu de passage comme la plateforme centrale d'une gare. Un événement négligeable, ou un petit drame comme il y en a nécessairement des dizaines dès que sont regroupés en un lieu unique des gens, dès que se forme une foule bigarrée rassemblée par hasard. Une rencontre plus ou moins étrange. Non. Bien plus. Bien pire. Je savais que la scène allait être violente, déchirante. Fatale, peut-être.

 

Je m'apprêtais à m'empêcher de violenter la gamine, pendant que j'étais prêt à intervenir pour mettre fin à cet imbroglio. Pardon, disons-le plus clairement. Numéro 3 était prêt par tous les moyens à empêcher Numéro 2 de se saisir de la fillette, tandis que numéro 1, affolé et inquiet, ne se contenterait plus d'être témoin, simple observateur de ces déchirements, mais envisageait d'aller prêcher le calme. La raison.

 

Faire tomber la pression ? C'est le contraire qui se produisit. Des annonces étaient lancées par l'entremise de haut-parleurs, des trains là-haut déversaient leurs cargaisons de voyageurs qui par toutes les voies de circulation possibles, se répandaient ensuite sur cet espace ouvert où se déroulait la scène. On allait et venait en tout sens. Mais Numéro 2 saisissait le bras de la fillette et la tirait vers lui, avec un aplomb et une dureté provocante. Numéro 3 s'interposait entre elle et lui, intimant avec ce calme souverain de lâcher prise sous menace d'une raclée historique. Numéro 2 répliquait avec hargne : « Assez ! »  « Assez ! », exactement comme je le fais les rares fois où je me laisse aller à la colère. Et moi, pauvre numéro 1, moi, l'intime moi, spectateur de cette lamentable querelle, j'avais quitté mon bar, j'avais lâché mon gobelet de café, je m'étais avancé, j'avais dû écarter deux ou trois passants qui hésitaient sur leur trajectoire et j'arrivais pour… Pour quoi d'ailleurs ? Je savais qu'il fallait en appeler à la raison, je savais qu'il fallait calmer le jeu. Mais comment le faire entre ces deux autres moi qui s'affrontaient si violemment et esquissaient déjà les coups qu'ils allaient se porter mutuellement ?

 

Pendant que j'approchais, je n'avais pas vu qu'était arrivé un quatrième protagoniste (provenant des sous-sols lui aussi, surgi des ténèbres comme les autres ?) C'était une quatrième version de moi. Le moi, petit frère. Le moi faussement amical qui sait enjôler les gens et qui allait faire risette à la gamine. Le moi hypocrite que je m'applique à être parfois dans mes relations aux autres. S'inscrire dans les rapports de forces nécessite parfois de tels comportements : sembler jouer le jeu des humbles pour mieux les laisser à leur place, celle de la soumission aux puissants.

 

Combien de moi allait-il encore surgir des divers couloirs, des diverses portes, des diverses branches de cette étoile ferroviaire - et des profondeurs du monde ? Combien de moi allait produire cette foule de passants anonymes, de gens que l'on croise et qu'on ne reverra jamais, de figures oubliées et toutes semblables ? Y avait-il donc une infinité de moi ? Une inépuisable collection ? Ou les quatre facettes ici présentes seraient-elles le chiffre exhaustif ?

 

Le moi numéro 4 s'était approché plus vite que moi de la jeune fille et déjà l'entreprenait. Gestes à l'appui, il lui proposait de jouer, de la distraire comme le fait un grand frère auprès de sa petite sœur. Elle le regardait avec intérêt, une curiosité bienveillante en quelque sorte. Mais je savais bien, oh je me connais, que de ma part ce n'était qu'une astuce pour garder la fillette sous la coupe du moi dominateur et la soustraire au moi prédateur. En clair ce numéro 4 de moi-même était au service du numéro 3.

 

Je suis arrivé enfin jusqu'à eux, la jeune gretchen et les trois autres moi. Ils en venaient aux mains, ils criaient et toutes les pulsions de ces personnages-là allaient se révéler dans une querelle publique. Arracher l'enfant pour l'emmener on ne sait où et vers on ne sait quoi ; la conserver sous sa garde en faisant mine de la protéger mais pour mieux la soumettre; l'amadouer pour que cette rétention passe pour un jeu enfantin. Oui je suis arrivé au milieu de ce déferlement de vents contraires. Des gens commençaient à approcher, à s'étonner, à s'inquiéter. Des gens, pas d'autres moi, non, des gens comme ceux qui passent, qui se croisent, qui viennent se renseigner, vont prendre un train, un métro, débarquent ou traversent la ville. Des gens communs comme vous et moi. Des têtes se tendaient, des regards se focalisaient. Un cercle se formait.

 

Et là-bas, au loin, l'affiche de l'exposition de peinture brandissait la toile de Gauguin : Jacob et l'Ange.

 

La fille au milieu de tout cela ? La fille, la gretchen aux cheveux d'ange tressés, aux yeux célestes, aux joues rosées, cette fillette qui avait attiré mon attention comme si elle était une sirène plus qu'une pauvre enfant isolée dans une gare ? Cette innocence, cette promesse ? Que faisait-elle ?

 

Elle se taisait. Elle ne semblait pas souffrir de cet affairement autour de sa petite personne, elle ne semblait pas plus inquiète que lorsque je l'avais repérée dans une première vision. Une sorte de passivité muette. Fatalisme ? Indifférence ? Elle ne souriait pas vraiment mais elle avait une expression paisible, en décalage total avec ce qui se passait autour d'elle. A cause d'elle. Et c'était comme si cette passivité, cette tranquillité angélique, invitait les autres, les quatre moi, à en rajouter dans l'expression de leurs passions. A déployer leur violence.

 

Il m'est venu une idée au moment où je les abordais, moi, le moi d'origine, le moi numéro 1, celui qui voulait prôner la raison, le calme et la douceur plutôt que laisser se déchaîner les autres pulsions. Si on lui parlait ? Personne n'avait encore communiqué avec elle par des mots, en l'interrogeant, en lui posant même la plus simple des questions. Pas une parole échangée avec elle. Seul numéro 4 avait, par des gestes élémentaires, cherché à capter son attention pour lui proposer d'entamer un jeu.

 

J'ai dit : « Attendez ! ». Et tout le monde m'a regardé. Tout le monde, les autres moi, prédateur, dominateur ou complice, mais aussi les gens qui avaient commencé à s'intéresser à la scène. Les gestes se sont figés, les regards se sont tendus.  « Il faut lui parler, à la petite, on va bien pouvoir aligner trois ou quatre mots, non ? Ce n'est pas une potiche, tout de même. C'est une fillette, quoi ! »

 

Une fillette, oui, une enfant du pays, aux blondeurs ensorceleuses, qui ferait tourner la tête à plus d'un type quand elle serait adulte, ou même en voie de l'être – sur les sentiers de l'adolescence.

 

Je ne suis pas sûr que mes paroles auraient eu un bien long effet auprès de mes trois autres moi-même. La raison, vous savez, ne l'emporte pas toujours sur les autres humeurs qui régissent notre âme. A peine le point final placé à mon propos, ils auraient repris de plus bel leur querelle. Et je ne peux imaginer la façon dont les choses alors auraient évolué. Ni comment les badauds, les passants se seraient insérés dans l'histoire. Il y aurait eu une crise majeure qui aurait envenimé la gare, la ville… Quoi d'autre, dans cette Capitale qui jadis déjà… ?

 

Mais une chose s'est passée. Que personne n'attendait et qui nous a tous pris de court, moi comme les autres. La gretchen soudain s'est levée. Son visage s'est animé, ses traits pour la première fois ont pris vie. Elle s'est mise à sourire, à faire de grands signes en direction d'une des portes d'accès, celle qui donne sur les bords de la Spree. Et elle a dit, dans ce qui ressemblait à un cri de joie :

-          Gertrud ! Ich bin hier !

 

Gertrud ?

 

Alors, nous avons vu apparaitre une mince silhouette. Fluette et bien vivante. Elle arrivait de la ville. Les gens s'écartaient autour d'elle comme si une fée, je n'ose dire un ange, je n'ose dire une sainte, faisait son apparition. Mais cette silhouette était celle d'une enfant. D'une enfant de douze ans à peine. D'une enfant aux cheveux blonds regroupés en natte, et au regard bleu. D'une enfant en tout point semblable à celle qui s'était levée et autour de laquelle nous nous étions regroupés. Seine Schwester – ai-je entendu murmurer derrière moi. Sa sœur. Sa sœur jumelle qui venait la rejoindre. Les deux fillettes se sont retrouvées comme se retrouvent deux jumelles un instant séparées et pour qui le monde un instant n'existait peut-être plus. Retrouvailles indispensables, retrouvailles de vie.

 

Ce fut le coup de baguette qui mit fin au psychodrame. Les gens dans la foule se sont sentis rassurés et ont renoué avec leur itinéraire un moment interrompu, qui vers les trains, qui vers la ville. Le grouillement a repris : jambes qui marchent, têtes qui tournent, regards qui cherchent, bras qui tirent une valise ou portent un sac. On allait vers le haut, on allait vers le bas, à gauche, à l'est, au nord, devant, au loin...

 

Moi ?

 

Oh moi, ce fut simple. Je me suis retrouvé avec moi-même. Je ne sais où sont passés les autres numéros, mes doubles, retournés aux ténèbres peut-être, dispersés ou dissous dans cette foule qui s'éparpillait. Moi, j'avais à faire. Ma montre marquait 10h30, il était temps que je me rende à ce rendez-vous qui justifiait ma venue à Berlin. Il s'agissait d'une rencontre avec des correspondants de l'Office franco-allemand de la jeunesse. Il s'agissait de relancer un projet entre nos deux pays. Il s'agissait de l'avenir des enfants. C'est dire !

 

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