Besoin de reconnaissance

Fabrice Lomon

Besoin de reconnaissance

Est-ce que vous vous souvenez de Michael Fagan, chômeur londonien, qui avait déjoué les services de sécurité de Sa Majesté et surpris la reine Elisabeth II dans son lit au petit matin. Oui sans doute. Eh bien voilà ce qu’à fait Pierre Vaugel, et je suis le seul à pouvoir vraiment en parler.

Il y a une quantité de types qui rêvent de voir leur portrait à la télévision au 20 heures et quand on est ni politicien, ni vedette du show business ou écrivain branché, ben il ne reste plus qu’une solution. La terreur.

Ça grouillait de flics dans le couloir, à l’accueil, dans le hall d’entrée, il y en avait partout, le BRE, la BAC, le commissaire si invisible d’ordinaire était sorti de son bureau, et pourquoi ? Pour rien. Il y a des jours ou les petites activités individuelles font un rassemblement de gens affairés en tous sens.

Tout simplement, Pierre Vaugel est entré par les garages, là où les caméras de surveillance, pointées vers le bas de la grille, filtrent tout ce qui de près ou de loin peut ressembler à un être vivant.

Pierre Vaugel est entré tout simplement quand une voiture de patrouille sortait, sans que les trois flics le remarquent ; ils avaient une histoire de fille entre eux.

La grille s’est refermée et Pierre a sorti ses armes. Deux à la ceinture et une petite mitraillette à la hanche, en plein dans le champ des deux caméras ; mais l’ADS sirotait son café en racontant un truc à ses copines.

Il a traversé le parking, poussé les portes battantes et la fête a commencé.

Tout le monde est mort. Tout le monde sauf moi.

J’étais au bout du couloir, je n’ai rien dit je n’ai rien fait, j’étais bien le seul type sans arme, et je suis le seul survivant de l’affaire.

A la fin Pierre m’a dit un truc du genre : j’ai bien réfléchi à ce que vous m’aviez dit, écrire un bouquin ok, mais ça prend du temps, ça mange un max d’énergie, et puis finalement c’est vraiment aléatoire. Mais bon merci quand même.

Trois semaines plus tôt.

Benjamin, est à l’accueil des mains courantes et des plaintes aujourd’hui. Entre deux pauses il prend le standard. Le commissariat de police s’est comme les magasins le samedi, il y a les creux et les heures de pointe.

Lui il préfère comme pas mal de flics être dans la rue, le terrain c’est ça la police. Le terrain. Rendez-vous compte ce jeune type a fait la brigade mobile, le Kossovo, Perpignan, Marseille…

Le ton monte, le type vient tous les jours et tous les jours ce type là raconte son histoire, et tous les jours ce type là veut qu’on lui appose un tampon Marianne sur un document.

Le ton monte, Benjamin fait une pause, il en a vraiment besoin ; ce type le fatigue, vraiment mais vraiment.

Bon écoute, si tu veux faire quelque chose pour moi, reçoit ce type sinon je vais y laisser mes nerfs.

Moi, ici, je reçois des gens, je ne suis pas flic, je suis là en permanence et je reçois des gens. Des gens qui me parlent, des gens que j’écoute et qui bien souvent trouvent que c’est bien la première fois qu’un flic les écoute. Mais je ne suis pas flic.

En 2007 Pierre Vaugel dépose une plainte pour vol d’ordinateur ; mais en fait, il s’en fout de son ordi, ce qu’il veut c’est retrouver le contenu de 25 ans de photos et de textes. Des textes de tout acabit, sur sa vie, sa philosophie, les grandes choses, son ascension en littérature, celle dont il rêve, et les premières des journaux, Pivot, Bernard Rapp, le magazine Lire, France Culture, enfin tout ça quoi !

Parfois dans ses moments de grande lucidité, Pierre Vaugel se dit que tout ça ce n’est pas pour lui, alors il prend ses rollers et traverse la ville en se disant que tous ces gens qu’il croise à toute vitesse, doivent se retourner sur lui. Eh t’as vu c’est Pierre Vaugel, c’est marrant un prix Nobel en roller. Oui mais seulement un prix Nobel ! alors Pierre se dit que la lucidité c’est un truc de pauvre type, que ça n’a pas de grandeur, enfin ça manque de panache.

Quand il rentre chez lui, il consigne tout ça dans son cahier.

Et demain c’est sûr, il retourne à la police et cette fois il l’aura son tampon Marianne, il faudra bien que la république Française reconnaisse la véracité des propos consignés dans son carnet et appose une validation officielle de sa pensée.

Donc je fais entrer Pierre Vaugel dans mon bureau et j’écoute l’histoire de la triste déchéance de ce type à qui on a volé sa vie.

Le voyou qui a fait ça on le connait, et Pierre sait bien que la police ne fera rien, et Pierre sait très bien que la police protège ce voyou, et Pierre sait très bien que les plaintes sont là au fond d’une corbeille à papier, et Pierre sait très bien qu’on ne l’écoute pas, que personne ne l’entend. Mais Pierre sait très bien qu’un jour il va se faire entendre !

J’ai passé quelques heures avec cet homme-là, je suis entré dans son monde, dans son mode de communication, dans sa vision du monde, de la société, dans son irréfrénable parcours vers le chaos.

Je n’ai rien fait d’autre pour Pierre Vaugel, rien d’autre. Mais si l’écoute était le simple vecteur de l’absolue compréhension du malaise des hommes ?

Quand Pierre m’a serré la main, il était enfin devenu cet homme reconnu, il allait écrire sa vie, on allait enfin avoir la bio d’un homme vivant. On ne serait pas passé à côté, de la vie incroyable de Pierre Vaugel, de son écriture fluide, simple et emportant jusqu’à l’adhésion absolue, sinon l’admiration d’Angelo Rinaldi si dur fut-il pour les gens de plume.

J’ai regardé Pierre Vaugel s’éloigner en saluant Benjamin, qui m’a jeté un regard interrogateur et suspect.

 J’étais au bout du couloir, je n’ai rien dit je n’ai rien fait.

Tous les flics étaient sortis des bureaux, tous dans le couloir, devant les machines à café, on était en juillet, ça sentait l’été, la fin d’une année, la douceur de vivre, le relâchement.

Un peu comme sous un casque audio, j’ai regardé tout ce petit monde s’écrouler autour de moi comme une série de dominos télécommandés, il y avait du sang partout, et Pierre avançait vers moi avec le pas du messie, et un sourire de libérateur. Quand il est arrivé devant moi, j’ai regardé l’amas de chair que faisaient tous ces gens que je croisais, que je saluais, chaque semaine. Je me suis demandé ce qu’ils avaient prévu de faire ce soir, simplement je me suis dit ben ! C’est un peu compromis.

J’en étais là quand Pierre Vaugel m’a dit :

J’ai bien réfléchi à ce que vous m’aviez dit, écrire un bouquin, ok, mais ça prend du temps, ça mange un max d’énergie, et puis finalement c’est vraiment aléatoire. Mais bon merci quand même.

Il m’a tendu sa petite mitraillette en me disant de faire attention, c’est un truc petit, dangereux. Petit mais dangereux. Juste avant qu’il ouvre les portes battantes, je lui ai logé une balle juste sous l’occiput, (à 11 ans j’étais tireur d’élite sur les champs de foire).

Je savais bien que vous alliez faire de moi un homme célèbre, merci monsieur. Et Pierre Vaugel est mort.

Le soir au 20 heures on a parlé de l’affaire sans citer son nom.

Sans la vigilance des personnes dédiées à l’accueil, aux caméras de surveillance, sans le grand professionnalisme des gens de la police, sans leur implication continuelle et leur dévouement Pierre Vaugel aurait pu vivre cette vie-là.

Pierre Vaugel, s’est acheté un nouvel ordinateur et il écrit sa vie.

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