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Nous étions en Octobre. Les journées raccourcissaient plus vite que l'on ne l'aurait voulu mais le moral lui n'était pas encore atteint. Non, les couleurs chaudes que la nature nous offrait sur son feuillage nous laissaient rêveur. Un goût d'été indien, chaud, qui coulait sur nos jours au son des feuilles rouges carillonnant au gré du vent. Ce soir-là j'étais de sortie. Mes amis insistaient pour que je passe une soirée avec eux et que j'oublie ne serait-ce qu'un temps les tracas qui me rongeaient depuis bien trop longtemps. J'obéis, non sans une petite appréhension, cela faisait longtemps que je n'étais pas sortie. Mais à ce sentiment se mêlait l'excitation d'un renouveau social. Alors je m'habillais en conséquence. Pour une soirée entre amis, une tenue décontractée aurait dû suffire. Mais après tout, pourquoi ne pas faire un peu plus d'effort. J'étais d'humeur à plaire ce soir-là. Devant mon armoire ouverte, je réfléchi. Mais que pouvais-je bien mettre ? Question fort existentielle mais qui me tînt immobile durant de longues minutes. J'imaginais la réaction des gens, des hommes surtout, à mon passage dans telle ou telle tenue. Aucune ne me satisfaisait puisque pour moi, aucun homme ne pourrait se retourner sur mon passage. Je refermais mon armoire et me laissais tomber sur mon lit juste en face. Peut-être mon cerveau était-il mieux irrigué ainsi parce qu'aussitôt allongée je me suis rappelée d'un achat fait récemment mais que je n'avais pas encore eu l'occasion de porter. C'était ce soir ou jamais me disais-je. Alors je recommençais. J'ouvris mon armoire avec un véritable entrain. Je fouillais dans ma penderie à travers les diverses robes, vestes et manteaux à la recherche de ma dernière acquisition. Cela dit lecteurs, n'imaginez pas un dressing débordant, un dressing d'étudiante vous parlera peut-être plus. Elle était là, une robe absolument magnifique sur laquelle j'avais craqué quelques jours auparavant. Une pure merveille de soie avec doublure en satin. Une forme qui rappelait les péplums de la Grèce antique. Un genre de chiton modernisé. Des drapés qui font penser aux dieux et déesses incarnant la beauté, non pas que je me compare à eux chers lecteurs. Elle tombait parfaitement, malgré ma silhouette sans formes. Et si ces messieurs ne pouvaient se délecter à la vue de ma poitrine faute de formes, cette robe offrait un incroyable décolleté dans le dos les laissant abasourdis et en proie à un désir les consumant. Dans mes rêves les plus fous cela se passait ainsi. Je la regardais un sourire esquissé sur mes lèvres. J'entreprenais donc de m'habiller ainsi. Une fois la chose faite, la question du maquillage se posa alors. J'allais miser sur la simplicité pour contraster avec la robe sortie d'un rêve. De la poudre minérale sur le visage évitant ainsi que je brille à la lumière, un peu de khôl sur mes yeux les faisant paraître plus sombre encore. Un léger trait d'eye-liner noir au-dessus de la paupière et pour finir du mascara rallongeant et étoffant mes cils. Mes yeux bruns maquillés il me fallait faire quelque chose avec ma bouche. Mais toute fille sait cela, si l'on choisit de maquiller ses yeux, la bouche doit rester simple. Je décidais donc de m'hydrater simplement les lèvres et choisi parmi de nombreux, un baume au beurre de karité dont la senteur me procura immédiatement une sensation de bien-être infini. Le karité mes chers enfants, le karité !!Après quelques secondes passées à fixer ce visage si bien maquillé et pourtant si peu désiré, un sentiment mélancolique s'empara de moi, m'ôtant toute envie de plaire et même de sortir. Mince, c'est trop bête. « Je suis comme je suis, si je suis vouée à passer ma vie seule il est hors de question que cela soit dans la dépression et la solitude. » Je me reprenais et fonçais en direction de mon placard ou mes chaussures étaient rangées. De nouveau je fixais le choix qui s'offrait à moi, ne parvenant à me décider entre une paire ou une autre. Des talons hauts. Considérant ma petite taille, je pensais qu'une dizaine de centimètres supplémentaires ne seraient de trop et m'assureraient une confiance en moi-même. Bien, le choix des chaussures à talons fait, il me fallait déterminer quelle paire choisir. Ma tenue exigeait de simples escarpins, style low boots. Je mis à mes pieds mes pantoufles de vair, noires avec la semelle du dessous rouge, imitant des Louboutin. Voilà, j'étais fin prête. Le sac à l'épaule et la main sur la poignée de porte, j'étais résignée à passer une bonne soirée et chassais toute pensée négative de ma tête. Un instant… Il me semblait avoir oublié quelque chose mais quoi. Pendant quelques minutes je marchais de long en large dans le couloir de mon immeuble, réfléchissant à ce que j'avais pu omettre. Mais oui, du parfum ! Ce doux élixir de l'amour, ou plus exactement du désir, oui parce qu'un parfum ne rend pas fou d'amour mais bien fou de désir. Je courrais chercher mon flacon et me vaporisais un peu de cette senteur. Bien, cette fois c'était la bonne. Je sorti donc de mon appartement et parti pour le métro qui me mènerait à mes amis. J'ai oublié de vous dire, chers lecteurs, que la ville où j'habitais et faisais mes études est Lyon. Et ce soir-là c'est le vieux Lyon m'attendait. Quartier de mes rêves. Mais nous y reviendront plus tard. J'étais donc dans le métro, dans la rame plus précisément, à observer les gens qui m'observent en retour. A essayer d'analyser puis deviner ce que leur visage semblaient dire. Je me sentais dévisagée de toute part. Non, pas seulement dévisagée, on me regardait de la tête aux pieds. Mais je n'étais pas outrée ni même gênée comme à mon habitude. En réalité je me demandais ce qu'ils pensaient. Me trouvaient-ils jolie, belle ? Me trouvaient-ils trop apprêtée ? Ou trop vulgaire ? Peut-être me trouvaient-ils dépourvue de beauté, un être difforme essayant tant bien que mal de plaire à ses semblables. Ou peut-être avaient-ils seulement le regard perdu dans le vague et comme d'habitude je pense être le centre du monde. Toutes ces réflexions généraient en moi un stress trop intense. Je ne puis le dissimuler longtemps. Je baissai mon regard et fermai les yeux, tentant de faire fi du monde extérieur. Enfin, le métro fit halte à la station Vieux Lyon. C'est là que je débarquai. Un léger courant d'air parcouru les tunnels m'offrant une bouffer d'oxygène pour me remettre de mes émotions. Un doute m'assaillit alors, ou plutôt je n'avais pas pensé aux pavés. Les pavés que je chérissais tant, et que je chérie encore, ne s'accordaient pas aisément avec des talons aiguilles comme ceux sur lesquels j'étais montée. Tant pis, il me fallait affronter le danger avec dignité et fierté. C'est la tête haute que je mis à marcher avec une fausse assurance qui me tînt malgré tout debout jusqu'à ma destination. Un bar, au bout de la rue lainerie, à l'ambiance rock, Le Cactus.
« Helen ! Ma poule t'es là ! Ça me fait trop plaisir de te voir, enfin, à une soirée. Ça fait longtemps que tu te cloîtres. » Cette voix était celle de Clara, une amie rencontrée l'année précédente à la fac. J'acquiesçai de la tête, un sourire d'embarras esquissé sur mes lèvres quand une autre voix m'interpella : « La miss nous fait l'honneur de sa présence ce soir. Good Lord, mais que va-t-il nous arriver ?! De la neige peut-être. » C'était Giacomo, l'italien de la bande.
J'étais amusée de voir qu'ils ne me voyait pas comme quelqu'un de bizarre vivant recluse du monde, non, juste comme une âme affaiblie par les tourments. J'étais sur le point de répliquer quand des mains vinrent me serrer la taille chaleureusement. S'en suivit une tête posée délicatement sur mon épaule. Fab', toujours en retard celui-là. Je l'adorais, l'admirais même. Nous étions les mêmes lui et moi, et sa présence m'apaisait. Il se retira aussi rapidement qu'il était venu pour se mettre en face de moi. Il me prit par la main et m'examina sous toutes les coutures, les sourcils exprimant je ne sais quelle impression. Il se figea devant moi, ma main toujours dans la sienne et conclu que j'étais « fort bien parée ce soir »là, que jamais il n'avait vu « pareil beauté resplendir ainsi et baigner le monde de sa splendeur. ». Ah quel séducteur celui-là ! Je pris alors une attitude disons, gênée. A la fin de sa tirade il approcha son visage de ma main qu'il tenait encore et la baisa. Nous étions hors du temps, parlant le langage d'un autre siècle. Cela me faisait tellement plaisir de le revoir. Je le pris dans mes bras et le serrai comme si je voulais qu'il ne s'échappe de mon étreinte. Je pense qu'il ne s'attendait pas à une telle réaction et mis quelques secondes à réaliser puis à me prendre, lui aussi dans ses bras. Nous restâmes un moment ainsi. De l'extérieur on aurait pu croire que nous formions un couple, mais il n'en était rien, du moins pas un couple d'amoureux. On était particulièrement proche, et même si, à une époque nous nous sommes laissé aller à quelque romance, le lien qui nous unissait relevait plus du lien fraternel. Nous étions de faux jumeaux, bien que n'ayant pas le même âge. J'étais de deux ans son aînée. Une fois la séquence émotion passée avec mon cher ami, je pouvais enfin aller saluer les autres. Et oui chers lecteurs, le défilé de mes amis n'est pas fini. Je vous voie venir avec vos gros sabots me dire : « Eh bah, c'est pas l'assurance qui l'étouffe celle-là. ». Mais j'ai effectivement eu le privilège d'avoir de nombreux amis. Un petit mètre plus loin, il y avait une table entourée de deux jolies demoiselles. Plus belle l'une que l'autre, et toute deux avec un rien d'unique qui faisait leur charme. Il y avait d'abord, à un bout de la table, Elie. Elle était d'un an ma cadette mais il me semblait toujours être en tout point en dessous d'elle. Des qualités intellectuelles nombreuses qu'elle ne manquait pas d'exploiter pour le plus grand plaisir de ceux qui y prêtaient l'oreille. Elle avait l'air d'une petite fille parfois. Elle n'était pas très grande, moins d'un mètre soixante, les cheveux châtains clairs tirant au blond sur les pointes avec des yeux clairs. Les traits de son visage étaient fins et exprimaient beaucoup de douceur. Ceux qui ne la connaissaient pas ne se méfiaient pas bien sûr, ils ignoraient quel esprit analytique scannait leur âme. Silencieuse lors du récit de l'autre elle ne manquait pas de répartie lorsque son tour de parler venait. C'était cinglant, incisif et j'adorais ça ! Une fille du sud résignée à ne céder la moindre parcelle de terrain à qui que ce soit. Résignée certes, mais d'une générosité sans pareil. Encore un trait de caractère hérité du sud. Les sudistes sont un paradoxe, un délicieux schéma complexe qui en découragerait plus d'un. Pas moi. Comme je l'ai dit, elle était très généreuse, plus d'une fois elle se mit en quatre pour moi et chaque jour je l'en remercie. Beh oui, elle m'a quand même hébergé pendant deux mois et sans rien demander en retour. Ensuite c'était Méline. Elle aussi plus jeune que moi. Plus grande que la première et plus grande que moi, elle était châtain clair elle aussi, quoique légèrement plus foncée qu'Elie. Elle avait un teint de porcelaine avec des joues rosée de nature. Ses yeux vers aux contours marron ne faisaient que rajouté à la magnificence de ce visage. Mais ce qui donnait à cette jolie face le charme qui les faisait tous craquer c'était ce petit nez, légèrement relevé sur la pointe. Ce nez en trompette lui conférait un air amusé qui convenait parfaitement à son tempérament enjoué. Elle aussi était très généreuse. Ainsi j'ai la prétention de croire que j'étais plutôt bien entourée. J'avais beaucoup de chance et en était très heureuse. Lorsque je suis arrivée à leur hauteur ce soir-là, elles étaient en pleine discussion. Un sujet d'actualité il me semble mais qu'importe. Elles s'interrompirent dès qu'elles me virent et dans un synchronisme parfait dirent d'une seule voix : « Helen ! C'est bon de te revoir ! ». Je trouvais ces retrouvailles un poil solennelles mais mon amour du 19ème siècle et des belles paroles, me rendait ce moment infiniment délicieux. A ces mots je fus envahie par une sensation étrange, j'étais heureuse je crois, de retrouver mes amis. Des amis patients, qui m'avaient attendu tous ces mois, tentant toujours de garder un contact avec moi malgré ce que je leur disais. Voilà lecteurs, le jour qui marqua le retour d'Helen dans la réalité sociale, mon retour. Ne croyez pas, chers lecteurs que je sois quelqu'un d'hautain imbus de sa personne mais j'aime à penser que des personnes formidables ont su voir en moi un individu digne d'intérêt.
Permettez que je me présente un petit peu plus. Et pour reprendre les termes qu'emploient mes amis pour me décrire je dirais que je suis un phénomène, un petit personnage des plus étranges, cynique au possible mais avec une force d'attraction sans pareil (c'est le côté étrange qui intrigue.). J'avais 21 ans lorsque ces péripéties commencèrent. J'étais en deuxième année en Histoire de l'Art et Archéologie à la faculté Lyon 2, alors je sais ce que vous vous dites : « On n'est pas supposé avoir 19 ans en deuxième année ? ». A ça je réponds que vous avez probablement raté votre vocation de mathématicien, et qu'en effet, j'aurais dû être en quatrième année d'études universitaires si je n'avais pas redoublé deux fois. Oui deux fois, parce qu'une ne suffisait pas. Mais mettons de côté la scolarité voulez-vous ? Comme vous l'avez compris je suis une jeune fille de petite taille, un petit mètre cinquante-neuf et demi. Je suis plutôt mince, sans beaucoup de formes à mon grand regret puisque cela me rend invisible et non désirée. Mes cheveux sont châtains foncés avec des reflets roux et cuivrés et descendent jusque dans le bas de mon dos. Mon teint révèle des origines latines, portugaises plus précisément. Il en est de même pour mes yeux, très bruns, presque noirs. Ils intriguent beaucoup et sont incroyablement expressifs. Si certaines de vous lectrices, se sentent mises au banc des filles que les publicitaires disent jolies, sachez que les yeux bleus sont surfaits. Que cette couleur résulte en réalité d'un défaut de pigmentation et que si ces messieurs regardent plus aisément des yeux clairs c'est parce qu'ils ont peur de ce qu'ils peuvent lire dans des yeux foncés, bien plus expressifs. Je l'affirme, le confirme. Mais n'imaginez pas que j'éprouve une aversion pour les yeux clairs, non. J'aime y plonger bien entendu. Mais j'ai bien plus de plaisir à m'abandonner dans un iris brun, qui comme l'univers, paraît ne jamais finir. Bref je me perds dans mes divagations, j'en suis navrée. Où en étais-je ? Ah j'y suis. Ma petite vie d'étudiante sans le sou, qui doit, comme de nombreux autres, avoir un emploi pour s'assurer un petit confort de vie. Et puis l'expérience du travail est bonne à prendre. Mais contrairement à d'autres, j'avais beaucoup de chance. Mon emploi n'était pas très contraignant, au contraire il me permettait d'enrichir ma culture en plus de mon compte en banque. Je travaillais dans une librairie papeterie bien connu sous son nom à quatre lettres. J'avais atterri au rayon DVD comme conseillère vendeuse car lors de mon entretien d'embauche, mon inquisiteur fut fort impressionné par mes connaissances dans le septième art ou fort compatissant de mon sort (haha). Et cette soif de toujours en voir plus qui m'animait m'avait certainement fait parler avec beaucoup d'enthousiasme. Je crois avoir répondu à ses questions, même les plus implicites, sans détours. L'art est mon domaine, il le vît. Non que je me prenne pour une artiste. Bien loin de là, mais je m'épanouis dans le domaine artistique aussi bien en tant qu'actrice que spectatrice. Nous échangeâmes une franche poignée de main à la fin de cette entrevue sans nous dire un mot. Je venais de franchir le seuil de son bureau lorsqu'il dit d'une voix calme : « A lundi Mademoiselle Rousseau. ». Il semblait amusé du petit suspens qu'il avait ménagé. Je me retournai et le regardai un œil fermé, l'air inquisiteur et lui rétorquai donc : « A lundi monsieur. », sans plus de cérémonie. Voilà, j'étais embauchée à quinze heures par semaines.