Bien trop de foin pour la Toussaint

Jean Claude Blanc

les rites sont têtus, de vivre on se tue, déjà on râle à la Toussaint

             Bien trop de foin pour la Toussaint

Morte saison dès la Toussaint

1er novembre qui tombe à point

Journée chômée, on branle rien

Mais le moment semer les grains

Car demain fête des défunts

En deuil mon cœur, l'esprit chagrin

Je penserai à mon frangin

Ce que les regrets sont assassins

 

Triste préambule à ce poème

Afin de conjurer mes peines

En vérité, j'étire ma flemme

Ma vie en rose sans chrysanthèmes

 

N'honore plus ces traditions

Ronde des cimetières nullement question

N'y rencontrer en procession

Que des faux culs de la région

Qui se confondent en compassion

 

Rituel sacré mais dévoyé

Font leurs affaires supermarchés

Coûte du pognon la piété

Où par conscience pour trépassés

On exhibe vite notre porte-monnaie

 

Il est d'usage de pleurnicher

Sur un carré de marbre ou de terre

L'autre gisant, n'a rien à braire

En a fini de ses misères

Préfère qu'on le laisse, tranquille en paix

 

Les habitudes sont tenaces

Peur d'y passer tellement nous glace

Faut s'y plier quelques secondes

Sur celui qui a quitté ce monde

On prie les restes de sa carcasse

 

Même si c'est pas très alléchant

On s'y adonne avec ferveur

Ça nous ravive les bons moments

Sur lesquels on verse des pleurs

Tous programmés pour les tourments

En s'arrangeant de nos douleurs

 

Visite rapide, mais avantage

Lire les noms sur les caveaux

De ces inconnus d'un autre âge

Pour s'enrichir le cerveau

Sur les lignées de la famille

Plus mal aux dents, ni mal aux quilles

 

Chacun sa tombe bien gardée

Pour l'occasion, époussetée

Sera pas dit qu'on soit ingrats

Pour nos ancêtres dignes de foi

 

Comme on est tous du pays

On se connait pour nos manies

Fiers catholiques convertis

On doit de suite implorer

Le seigneur Dieu, par charité

Qu'il les accueille bien nos aimés

 

Même ceux qu'on n'a pu supporter

Voir en peinture, ennemis jurés

On s'apitoie en souvenir

De leur supplice de vieillir

Encore en eux, fureur de vivre

 

Plus qu'ossements, maigres squelettes

Ne risquent plus perdre la tête

Quitté ce monde pour perpète

Demeurent qu'en nous, drôles de vedettes

 

Voilà-t-y pas que nos chères vermines

Se mettent à la mode Halloween

Plus de peur que de mal leurs manières

De nous imaginer l'enfer

Seulement friands de bonbonnières

Sonnent à nos portes dans la nuit noire

Pour foutre la trouille, pas avares

 

Encore un coup de l'Amérique

Certes mystique mais qu'aime le fric

Qui en rajoute pompes funèbres

Gueule d'enterrement nous la célèbre

 

Ça se vend bien l'éternité

Même qu'on en fait publicité

A la télé en cas de décès

Suffit d'avance s'en assurer

 

« Entre planches on finira

Dans la poussière, les bras en croix »

Illustre dicton de vieux bougnas

Repris par Johnny, ce rabat-joie

 

N'ai pas d'avis sur le sujet

Mais décidé me faire cramer

Ainsi mes dernières volontés

A mes 2 gosses, les ai confiées

 

Ne veux pas être mis en vitrine

Où on plaindrait ma pauvre trombine

Où certaines dames pudibondes

S'en viendraient cracher sur ma tombe

(De Boris Vian, m'inspire sa fronde)

 

C'est la Toussaint, fatal destin

Moi qu'espérais tâter les seins

D'une pucelle qui aurait faim

De volupté sans tour de reins

 

Beaucoup trop de foin, pour la Toussaint

Pardonnez-moi, sombre crétin

Si je me fais mon gros malin

J'y passerai au tourniquet

Comme les autres pas de pitié

Seulement j'exige pour mon repos

Pas de grand'messe ni de pipeaux

Déjà bien beau, laisser ma peau

Devra s'en contenter le Très Haut

 

Mais j'ai le temps, ne vous pressez pas

C'est tout prévu dans le contrat

Ayant les foies manque de foi

Même que le Bon Dieu me bat froid

Pour cette fable, fait tout un plat

 

N'attendant pas mon heure dernière

Je fais la mort buissonnière

En désertant les cimetières

Je me retrouve d'humeur légère

 

Après Toussaint, pourquoi s'en faire

Soudain on sombre dans l'hiver

Le Père Noël et les congères

Les papillotes et le sapin

Bien oubliés nos chers défunts

 

Débarrassé de cette corvée

Jouer les veufs éprouvés

Reste le Champagne à faire péter

Pour augurer nouvelle année

 

Ce que mos mœurs sont têtus

De l'existence on se tue

Anticipant tous nos malheurs

On ne profite pas du bonheur

Qui se présente que rarement

On ne le conjugue pas au présent

Ensorcelés depuis le baptême

Par la religion, et la morale

Malédiction et anathème

On est puni, voués au diable

Mosquées d'orient, églises romaines

Quand le sort nous tombe sur le râble

Même chapelle, sous une dalle     JC Blanc novembre 2017 (Toussaint)

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