Biguine

Eka Abassi

Au commencement du monde, tomba au pied d’un volcan une flûte. Le vent s’en amusa et c’est ainsi que fut créée une femme belle comme le jour. Elle alla au marché pour s’acheter un mari. Mais à mesure qu’elle descendait, s’approchait de la ville ses pas devenaient plus lourds et son cœur battait fort. Il battait si fort, qu’elle n’eut pas le courage d’entrer dans la ville et retourna dans sa montagne se marier au volcan. Elle eut 7 filles qui toutes dansèrent aux sons des tambours, sans se soucier des lumières de la ville qu’elles pouvaient voir du haut de leur montagne volcan.

La dernière des filles pourtant fut tentée, elle de descendre trouver son destin. Elle s’appelait O. Une nuit elle s’enfuit en ne laissant comme adieu qu’une chanson qu’elle murmura en rêve à sa mère et à ses sœurs. Le chemin vers la ville fut bien périlleux, mais O brava la nuit, le bruit des bêtes et surtout les battements sourds de son cœur pour arriver au marché. Là, le jour se levait. Les habitants commençaient à animer la ville. Les étals se remplissaient, marchands et marchandes ventaient ce qu’ils avaient à vendre. Mais O ne savait pas les mots de la ville, elle restait muette et apeurée. Bientôt les marchandes jalouses lui jetèrent le mauvais œil, les enfants se moquèrent d’elle. Elle n’avait rien à donner ni pour manger ni pour boire. Elle erra longtemps dans la ville. La nuit tomba. Elle avait faim, elle avait soif. Soudain elle entendit une musique. Un bal se donnait dans une grande maison pleine de lumière et de cristal. Elle s’approcha, et écouta. La musique était belle. Les femmes dansaient dans de belles robes blanches et soyeuses. Emportée par la musique O chanta la chanson qu’elle avait murmuré en rêve à sa mère et à ses sœurs. Sa voix mélodieuse bientôt fit taire, les clarinettes, les violons, le piano. Un grand silence s’installa pour accueillir son chant. Un verre se brisa et rompit le charme. O fût chassée par les domestiques et s’enfuit dans la nuit.

Mais son chant avait séduit un joueur de clarinette. Il n’eut de cesse que de trouver cette femme au chant venu d’il ne savait où. Il alla demander au marché. Mais personne ne put ou ne voulut l’aider. Il erra à son tour en mal d’amour. Et fit la seule chose qu’il savait faire, jouer de sa clarinette. Il essaya comme il put de raconter avec la musique la rencontre et la manière dont O avait ravi son cœur. Car dans le chant de sa clarinette les sons du tambour, la chaleur du volcan rythmaient ses mélodies. Je ne sais pas qui donna comme nom à sa musique biguine. Mais ce que je sais, c’est que la chanson d’O vit dans toutes les musiques du monde, et elle raconte avec les mots du cœur que le seul don que nous n’aurons jamais c’est celui de créer avec ce que nous rencontrons sur notre chemin, notre histoire. Voilà ce qu’O avait murmuré en rêve à sa mère et à ses sœurs pour expliquer pourquoi elle se mettait en chemin et les quittait. Mais elle n’avait rien dit à son père le volcan, et on raconte aussi que c’est pourquoi fou de chagrin et de colère il détruisit la ville de Saint Pierre et recouvrit toutes ses lumières de poussière parce que cette ville étourdit de chant et de musique lui avait ravit sa fille, que nul ne revit jamais. Ecoutez toutes les musiques du monde et vous entendrez son histoire, l’histoire d’O la fille du volcan et d’une femme née du jeu du vent dans une flûte au commencement des cieux et de la terre.

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