Biographie I - 11

Violette Ruer

11

 

1957

 

          Papa avait quitté les Teintureries Réunies en  octobre 1954, peu avant notre emménagement à Dornot. Employé comme chef de groupe à la Compagnie Singer, il y resta jusqu’à fin décembre 1956 où il changea pour l’emploi de directeur du Metz-Pressing en Chaplerue à Metz. Cela ne dura que le mois de janvier car la comptabilité comportait de sérieuses lacunes et pas du tout en accord avec les principes de papa. Le premier février il commença chez « Martin Decker et Compagnie », une société de machines à coudre industrielles et familiales PFAFF, à nouveau comme chef de groupe.

          Je fréquentais alors l’école Sainte Thérèse et ma meilleure amie était Nicole O. Elle habitait rue Goethe, une rue perpendiculaire à la rue Charles Abel où je logeais encore chez Mémé Metz. La maman de Nicole, couturière à l’Armée, était très sévère avec elle. Heureusement son beau-père était plus gentil. Un jour je vis que la main de mon amie était enflée. Avec beaucoup de mal elle m’avoua que sa mère lui avait enfoncé une fourchette sur le dessus de la main pendant une de ses crises de colère. Je ne comprenais ce geste, comment une mère pouvait-elle faire du mal à sa fille ?

          Nicole avait deux frères, sensiblement de notre âge (qui mourut plus tard à l’âge de 29 ans) et Maurice, beaucoup plus jeune et ami de mon frère Vianney. Notre jeu favori était le saut à la double corde et nous étions experts en ce domaine.

          Une autre amie, Mireille H, venait de temps en temps chez sa grand-mère avenue de Nancy, tout près de chez Mémé Metz. Les souvenirs sont un peu flous et ne me permettent pas d’en dire davantage.

          Puis arriva le moment de la communion solennelle, grande communion en ce temps là.

Normalement j’aurais dû la faire l’année suivante mais j’avais triché sur mon âge en m’inscrivant pour la faire en même temps que mon amie Nicole d’un an mon aînée. Nous étions dans la même classe parce qu’elle redoublait le CM2 et maman trouvait donc normal que je prenne des cours de cathéchisme à cette occasion. Je me souviens également de la semaine de retraite que nous avions faite en haut de la colline Sainte-Croix, dans le cloître des Récollets, édifice du XIV è siècle.

          « Les récollets » ont une histoire. Ils étaient membres de « l’Ordre des frères mineurs recueillis » de confession franciscaine, ordre religieux fondé par François d’Assise. Nous y avions vu un gisant, une sculpture funéraire représentant un personnage couché. Il y avait des pierres tombales enchâssées dans les murs et j’avoue ne plus me souvenir des noms inscrits sur ces stèles. Pourtant cela faisait partie du questionnaire religieux après notre retraite !

          Vint enfin le moment de la cérémonie à l’église Sainte Thérèse. Mes parents avaient invité toute la famille et cela faisait du monde ! Mémé Metz, une nouvelle fois, fit part de sa désapprobation quant au faste déployé. Elle s’était débrouillée pour que les sœurs du Secours Catholique m’offrent mon missel ! J’ai cru que papa allait s’étrangler quand il l’apprit ! Grand-mère pleurnicha : Je ne pouvais pas imaginer que tu allais faire tant de tralala ! Tu en fais toujours trop pour cette gamine !

 

          Nicole et moi étions les seules à porter une aube faite par nos mamans tandis que les autres avaient acheté leur robe auprès du secrétariat de la paroisse. C’était la première année de la sortie de cette tenue. Auparavant, les communiantes portaient de longues robes blanches brodées qui les faisaient ressembler à des mariées.

          Ce fut pour maman l’occasion d’ouvrir et de décorer la grande salle à manger. Simone Vidémont était venue l’aider tout en étant également invitée. Ce fut une magnifique fête et je reçus de nombreux cadeaux dont une jolie montre en or et une imposante médaille de la vierge, qui appartenait autrefois à ma marraine, une gourmette et j’en passe…

          En juin de la même année,  un week-end, alors que je rentrais de chez mon amie Dédée, j’entendis mes parents se disputer violemment. Maman était furieuse. Je ne l’avais jamais vue ainsi ! J’écoutais derrière la porte et fut surprise d’entendre le nom de ma cousine Geneviève. C’était la fille de l’oncle Charles, frère de maman. Mariée avec André le 14 août 1954 ils avaient emménagé le 30 mars 1957 dans une maison sur les hauteurs de Dornot, en haut de la côte, comme disaient les habitants. C’était une maison ancienne que son mari rénovait. Que se passait-il ? Geneviève passait de longs moments avec maman dans le jardin chez nous et elles s’entendaient bien. Il est vrai que Geneviève avait un sérieux penchant pour papa, son oncle par alliance ! Très élégante et coquette, elle ne manquait pas de minauder devant lui, ce qui m’agaçait un peu. Serait-ce la raison ? Non apparemment… Il  était question d’un bracelet en or avec des améthystes et de rimmel… Maman accusait Geneviève de lui avoir volé ces deux choses….

          Les gens du village l jugeaient ma cousine frivole en raison de son maquillage et de ses tenues soit disant provocantes, surtout depuis que son mari avait rossé un soir le fils de l’épicerie Bove ! Que faisait-elle si tard avec cet homme ? De bonnes âmes avaient prévenu le mari ! 

          Pendant la fête du village, quand elle dansait trop longtemps avec papa, les langues allaient bon train. Personne ne faisait attention à moi mais j’entendais tout. Maman en fut souvent perturbée. Papa répondait que c’était uniquement sa nièce et que toute justification était inconvenante et superflue. La rumeur faisait son travail de sape dans le village et cela m’énervait. Je ne supportais pas que l’on dise du mal de papa. Je lui en fis part et il répondit : peu importe ce que disent les gens, ils sont idiots et méchants, j’aime ta maman et je t’aime aussi très fort ma princesse. Le reste n’a pas d’importance. Les chuchotements à la fin s’épuisèrent, ne disparurent certainement pas mais le calme était revenu dans la maison.

          Pendant les grandes vacances, il y eut d’autres évènements. D’abord j’étais contente de retrouver mon amie Marie-Louise à qui je présentais tous mes copains et copines du village. J’avais un faible pour André D et elle pour Jean-Baptiste B. au surnom de Titi. Nous avions fait un passage dans le mur derrière la gloriette du chalet en enlevant plusieurs pierres pour que les garçons et les filles, Guiguite et Nini W puissent nous rejoindre. Nous faisions très attention à Romain car il était toujours à l’affut pour prendre sa cousine en défaut. Il faillit bien réussir un jour mais tous les enfants s’étaient enfuis avant son arrivée. Marie-Louise vivait à Metz et ne passait que les vacances au chalet.

          18 juillet : alors que j’étais chez mon amie, je me sentis mal, j’eus des nausées, des vertiges, et je commençai à trembler. Je quittai précipitamment la gloriette et m’engageai sur le chemin étroit menant à notre maison quand je vis Dédée. Elle criait : Rentre vite chez toi, ton père a eu un accident ! Papa avait dérapé sur la route mouillée avec la voiture de son collègue Bizot, une 203 Peugeot dont les pneus étaient lisses.. Que faisait-il dans cette voiture ? Il avait remplacé son collègue sur sa demande car il était malade. Papa avait voulu lui rendre service et ce dernier lui avait dit de prendre sa voiture. Lors du dérapage, les machines à coudre à l’arrière du véhicule avaient glissé violemment contre le dos de papa lui écrasant plusieurs vertèbres. Il est entre la vie et la mort disait madame Vidémont à son mari.

Je ne voulais pas l’entendre, je voulais le voir ! Mais ce fut impossible car il avait été transporté à l’hôpital d’Algrange et c’était trop loin. Maman prit le car tous les jours et à chaque retour je la harcelais de question et elle disait inlassablement : Le pronostic n’est pas très bon mais il vit… et elle se mettait à pleurer.

          Pépé Montigny nous gardait pendant cette période. Puis papa fut transporté en ambulance à Metz, à l’hôpital Notre Dame de Bon Secours. Je pus enfin le voir.

          Deux mois plus tard il rentrait à la maison, courbé, appuyé sur une canne et marchant péniblement tout en grimaçant. Toutes les nuits je pleurais puis papa un jour s’en aperçut. Il me dit : Ma chérie, ne sois pas triste, je te promets que bientôt je serai droit comme un i et je marcherai normalement.

 

          Etant donné les circonstances, mon entrée au collège Taison à Metz devenait problématique. Il fut donc convenu que je resterai avec Vianney chez Mémé Metz et que nous rentrerions en autocar toutes les fins de semaine. Vianney continuerait sa scolarité à Sainte Thérèse et ce,  jusqu’au rétablissement complet de papa.

 

          Cette rentrée au collège fut très triste, un changement radical de ma vie. Je prenais le trolley n°1 (ancêtre du bus) jusqu’à la place de la République, puis longeais la rue Serpenoise à pieds, passage obligé devant la place Saint-Jacques et remontée de la rue Taison. Au début cela me paraissait long puis un jour je décidais de prendre le bus place d’Armes, ce qui était plus près. Seulement ma carte n’était pas valable de ce point de départ, je le compris lors d’un contrôle. Quand j’en parlais à mémé Metz, elle rétorqua : Tu peux bien marcher un peu, tu as de jeunes jambes et ton père fait assez de dépenses pour toi… (Ceci en allemand, ce qui rendait la phrase encore plus dure).

          La distance fut vite oubliée quand je la parcourais avec mes amies. Nous nous arrêtions à la boulangerie à quelques mètres du collège et achetions pour 5 centimes des bonbons à la mode : les rafraichissants au citron, orange ou fraise, une poudre pétillante dans un support circulaire en hostie pastelle assortie au contenant ; des caramels mous et des boules de chewing-gum multicolores à 1 centime. Je n’avais pas dit à mémé Metz que papa m’avait donné des pièces….   

 

          La santé de papa s’améliorait de semaine en semaine. Si bien qu’en fin d’année il remarchait normalement sans canne et j’admirais sa volonté.  Pendant presque quatre mois il fit des efforts de rééducation pour se redresser et le résultat était impressionnant. Tous les soirs je faisais une prière pour que mon papa redevienne comme avant l’accident et c’était devenu réalité ! Je l’aimais énormément et après cette épreuve il devint mon idole. Comment ne pas être fière de lui après tout ce qu’il avait accompli ?

          Ce fut à partir de cette date que je fis un cauchemar presque tous les soirs au début, puis ponctuellement durant toute mon adolescence et même plus tard,  toujours le même : Je voyais une allumette, non allumée, elle rapetissait jusqu’à devenir à peine visible au bout d’un tunnel en abîme qui me donnait le vertige. C’est ce qui inspira mon tableau fait quarante sept ans plus tard en 2004 : le tunnel aux allumettes et mon roman du même nom en 2012.

          Sa convalescence terminée, papa démissionna de son emploi chez Martin Decker au bénéfice d’une place d’attaché commercial chez AZUR Desmarais frères le 11 décembre 1957. AZUR devint TOTAL le premier juillet 1968.

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