Biographie I - 8
Violette Ruer
8
1954
24 mai Communion privée
Depuis des mois je préparais ma communion privée. L’aumônier, l’abbé Berain, du pensionnat Sainte Chrétienne nous donnait des cours de religion tous les mercredis. Cela faisait partie de notre enseignement général.
Enfin le grand jour arrivait ! Maman, comme à son habitude, avait confectionné une jolie robe en organdi doublée de satin blanc. Je portais une couronne de fleurs dans les cheveux et de jolis gants ajourés. La séance chez le coiffeur avait été longue et oppressante.
Lors de la procession à l’intérieur de l’église, je me tenais droite comme un i, très impressionnée par les chants et la cérémonie. Toute la famille était dans la chapelle et je savais qu’elle m’observait. Ce fut ensuite la séance photo avant de rentrer à la maison pour la fête avec les invités.
La radio diffusait des informations sur l'histoire Dominici. Cette affaire criminelle insolite du mois d'août 1952 faisait la une des journaux car le procès devait commencer le 17 novembre de cette année. Ce procès prenait une ampleur internationale. Tous les journalistes étaient sur le qui vive ! Les prises de positions étaient multiples et passionnés. Grand-mère s'énervait chaque fois que maman écoutait les nouvelles à ce sujet. Elle était surtout irritée parce qu'elle venait d'apprendre que mes parents avaient trouvé une maison à louer à une vingtaine de kilomètres de Metz dans un petit village sur une pente raide mais très accueillant : Dornot. Elle en voulait à maman de lui prendre son fils une seconde fois et de l'éloigner d'elle. Qu'allait-elle faire seule après ? Marie, la femme de son autre fils, Jacques, ne voulait pas la recevoir, quant à Reinholt, l'aîné, il vivait à Munich avec Berta, sa compagne. Maman l'agaçait car elle n'avait que le mot amour à la bouche, mais c'était la seule avec qui elle pouvait vivre et avec laquelle elle se sentait bien. Elle ne lui avouerait jamais !
L'amour ? Elle y avait crû avec son premier mari et père de ses six garçons.(Je n'en ai trouvé que quatre sur le livret de famille !) Elle avait vite déchanté. Grand-père était peintre, un artiste, bohême, et il aimait énormément les jolies filles, surtout celles qui lui servaient de modèles. Pourtant elle n'avait rien à envier à toutes ces femmes : un mètre soixante, un corps de mannequin malgré les six grossesses, de beaux cheveux auburn, et un profond regard vert et marron faisaient d'elle une très belle femme. Lorsque papa eut quatre ans, son père s'amouracha de Berthe Schauber et quitta sa famille. Grand-mère en souffrit énormément.
Elle crût à nouveau à l'amour quand son chemin croisa celui de Philippe Burkmann qu'elle épousa le 19 décembre 1925. Ce mariage ne dura guère. Elle perdit alors toutes ses illusions et décida que plus jamais un homme ne la ferait souffrir et qu'elle vivrait uniquement pour ses enfants.
La malchance la poursuivit. La seconde guerre mondiale lui prit son fils aîné Alwin. Elle se rapprocha donc beaucoup de ceux qui vivaient près d'elle et surtout papa.
Marraine perdit en très peu de temps son mari pendant la seconde guerre mondiale, son fils, porté disparu lors de cette même guerre et sa fille de la tuberculose à l'âge de 19 ans. Je n'avais connu qu'elle, et son second mari Halter. Tous aujourd'hui décédés.
Tous ces évènements malheureux et douloureux avaient profondément aigrie mémé Metz, et comme elle voulait se montrer forte, ses douleurs et ses rancoeurs se transformèrent en agressivité. Malheureusement maman en supportait les conséquences et ce n'était pas juste. Déménager était donc la meilleure solution. Le bail de la maison à Dornot ne débutait que le premier février car le propriétaire voulait faire quelques travaux avant de le relouer. Cela convenait parfaitement à mes parents.
Papa avait démissionné des Teintureries Réunies le 14 octobre et débuté le 15 un nouvel emploi de cadre chez Singer, les machines à coudre. Il était souvent absent au début de ses fonctions et grand-mère se vengeait sur maman. Un soir, une dispute plus importante que les autres fit perdre patience à maman et elle lui dit tout ce qu'elle avait sur le cœur. De rage, grand-mère pria maman de s'en aller, de quitter l'appartement le plus vite possible. Puisque nous voulions vivre ailleurs et bien il ne nous restait plus qu'à déménager ! Elle pensait que maman abandonnerait cette idée puisque la maison n'était pas encore disponible mais Papa demanda au propriétaire si nous pouvions prendre possession de l'habitation plus tôt, en lui expliquant les circonstances. Monsieur Scovron, le propriétaire, fut très compréhensif et nous laissa emménager immédiatement.
Il faisait un froid atroce cette année là. Nous arrivâmes donc au 1 bis, grande rue (à présent 25) à Dornot, peu avant Noël dans une maison glaciale. Inutile de préciser que grand-mère ne passa pas les fêtes avec nous ! Elle se fit inviter par mon parrain Jacques qui n'était d'ailleurs pas enchanté de ce changement imprévu !
Le petit pécule de mes parents partit dans le rachat de quelques meubles appartenant au propriétaire, de fourneaux en fonte et en approvisionnement de charbon et de bois. La nuit, maman mettait des briques chaudes dans nos lits. C’était moins pratique que le chauffage central de chez grand-mère mais nous étions chez nous et cela me réchauffait le cœur et le corps. J’étais persuadée que mes parents ressentaient la même chose.
Premier Noël à Dornot 1954
Noël aurait dû être moins festif que les autres années en raison de la baisse des finances mais c'était sans compter sur la ténacité et la détermination de maman. Pourquoi les fêtes devraient-elles être gâchées par la méchanceté de sa belle-mère ? Les enfants n'y étaient pour rien !
Le 24 à minuit, nous nous réveillâmes au son de la mandoline et de la voix de nos parents chantant des cantiques de Noël. Dans le coin droit du petit salon de musique (j'expliquerai plus tard pourquoi ce nom) le sapin, orné de guirlandes multicolores et brillantes, cachait un amoncellement de paquets cadeaux de toutes dimensions. Sous nos yeux émerveillés, les cartons s'ouvraient et livraient leurs surprises.
Reynold tentait de soulever un gros ours en velours bleu à la mine souriante et amusante. Le tissu me semblait connu, il ressemblait fort au dessus de lit de la chambre des parents à Metz.
Sylvie découvrait et berçait une jolie poupée blonde aux longs cheveux blonds, vêtue tout de blanc parsemé de fleurettes roses. Là encore je crus reconnaître la nappe de la salle à manger.
Vianney faisait de gros broum broum avec un camion benne en bois peint, rouge et vert, presque trop lourd pour lui. Papa était le roi de la bricole !
Je déballai un adorable salon de poupée en bois vernis et en tissu côtelé à fleurs. C'étaient une banquette et un fauteuil pour ma poupée Caroline. Rien ne manquait, ni les coussins, ni la table basse, ni le lampadaire. C'était magnifique.
Nos parents avaient dû passer les nuits à bricoler et à coudre. Tous ces objets étaient leur œuvre. Je l'avais compris en reconnaissant les matières de fabrication et les dons de chacun. Jamais Noël ne fut aussi émouvant !