Biographie I - 9

Violette Ruer

9

 

1955

 

Travaux de rénovation



          Début du printemps et des travaux de rénovation. Tout d’abord la minuscule entrée en demi-cercle fut peinte en blanc. J’aimais ce petit coin. De chaque côté d’une porte vitrée renforcée par des volutes en fer forgé noir, deux fenêtres étaient agrémentées de petits rideaux en tulle blanc terminé par du macramé. Les plantes vertes se sentaient bien dans cet endroit ensoleillé le matin.

 

          Ce mini vestibule donnait sur la salle de séjour. Papa voulait être moderne et avait alterné les lés de tapisserie blanc et framboise. Le résultat aurait pu paraître étrange mais non, les murs bicolores s’harmonisaient parfaitement avec le plancher en marqueterie ciré et brillant. Maman avait sué sang et eau en passant le bois à la toile émeri avant de l’encaustiquer. Il fallait suivre les lignes des dessins sans les endommager. Un argentier garni de bibelots faisait face à un grand bahut des années 1900. Une soupière en faïence de Sarreguemines, (cadeau de Noël des Teintureries réunies) posée sur un napperon en dentelle fait main, agrémentait la table entourée de six chaises à haut dossier de cuir rouge.

 

           Dans cette pièce, trois portes donnaient sur la salle à manger, la cuisine et la montée d’escalier vers les chambres. La cuisine, vert pâle, était l’endroit où nous prenions habituellement nos repas. Elle était très vaste. Les pots en grès et en verre, alignés sur une étagère aux rebords garnis de dentelle contenaient les ingrédients principaux et diverses épices, mais également, le grand bocal de bonbons, d’où mes souvenirs si précis ! En dehors de la grande table au centre de la pièce et du meuble suspendu au dessus de l’évier, mes souvenirs se sont estompés. Je me souviens qu’une autre porte de la cuisine donnait sur trois caves et pour finir sur la sortie arrière de la maison, vers la buanderie.

 

          Entre la cuisine et la salle de séjour, sous l’escalier, papa avait installé une penderie et une étagère à chaussures. Dès que nous rentrions dans la cuisine en passant par l’arrière de la maison, (entrée habituelle, l’autre, était réservée aux invités) nous accrochions nos vêtements sur des cintres et mettions nos chaussons pour passer dans la salle de séjour avant de monter dans les chambres. En cas d’oubli, des patins nous attendaient, soigneusement alignés près de la porte.

 

          La salle à manger, vaste pièce réservée aux grands évènements et aux fêtes de Noël, comportait deux portes fenêtres donnant sur un jardin à plusieurs niveaux. Les meubles de style Henri IV ressortaient sur la blancheur des murs en crépi blanc. Une desserte, à plateau en marbre rose se mirant dans le miroir surmonté d’une crédence, accueillait une soupière en faïence Agreste, similaire à celle de la salle de séjour, et deux chandeliers en bronze. Le très haut buffet vaisselier comportait trois étages : pour le haut, trois portes ciselées, séparées  du buffet bas à deux portes, par des colonnes torsadées et un miroir derrière une petite crédence. Une grande table carrée, entourée de huit chaises à l’assise cloutée en cuir brun à motif ton sur ton, se trouvait au milieu de la pièce sous un lustre en cristal. Le tout était toujours impeccablement ciré car cette pièce était rarement utilisée.

 

          Cette salle avait deux accès, par la salle de séjour et par le petit salon de musique. Ce dernier, accessible également par la cuisine était une pièce très chaleureuse. Un lampadaire en bois torsadé éclairait deux fauteuils en cuir rouge, une table basse, un meuble renfermant des partitions de musique, et, accrochés au mur, une mandoline, un violon, un piccolo (ma petite mandoline appelée ainsi par papa) et plus tard un banjo à huit cordes.

 

           L’escalier, assez raide, à partir de la salle de séjour,  menait à un palier desservant les quatre chambres d’environ trente mètres carrés chacune. La première, notre salle de jeu, avait pour seul mobilier un énorme coffre à jouets et dans son centre, une planche, de quatre mètres sur quatre, percée en carré en son milieu pour nous laisser passer, et posée sur de solides et larges pieds. Cette plateforme comportait un quadruple circuit de train électrique, des villages, des voitures, des réverbères, des gares au nom des enfants. Nous avions chacun une locomotive et des wagons. Papa dirigeait le système électrique central. En grandissant nous eûmes le droit de faire fonctionner notre propre machine. Papa avait construit chaque partie du décor avec des ponts et des tunnels. Les trains se croisaient sans jamais se télescoper, tout était parfaitement étudié.

 

          La seconde chambre était celle de ma sœur Sylvie et la mienne et en face, celle de mes deux frères.  Nos parents avaient acheté quatre lits semblables à la foire exposition du mobilier à Metz.

 

           La chambre des parents communiquait avec celle des garçons. C’était la seule qui possédait une porte fenêtre donnant sur un balcon. Les soirs d’été, nous nous installions sur cette terrasse et papa nous chantait des airs de Tino Rossi ou de Luis Mariano en s’accompagnant de la mandoline. C’étaient des moments fantastiques. Tout le village parlait de nos petits concerts familiaux !

 

          Les premiers mois de notre emménagement, Papa m’emmenait au pensionnat et venait me rechercher le soir. Je restais donc à l’étude jusqu’à dix huit heures pour qu’il puisse accorder ses horaires avec les miens. Les journées étaient très longues car je devais me lever tôt. Je n’avais plus le temps d’aller chez le coiffeur alors maman me mettait des rouleaux le soir. De plus les finances n’étaient plus les mêmes sans pourtant de problème majeur.

 

          Pendant les congés d'avril je fus surprise de retrouver une pensionnaire de Sainte Chrétienne dans le chalet face au verger de notre propriété. Marie Louise K passait les vacances chez son oncle, alors directeur de la Banque Populaire de Metz. Si lui était très sympathique, sa femme par contre, était très sévère  et son fils Romain insupportable. Papa avait son compte à cette banque depuis toujours, encore une coïncidence ! Marie Louise  était ma cadette de dix huit mois, nous avions donc respectivement 7 ans et huit ans et demi avec la même joie de vivre et la même espièglerie

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          Quand Marie-Louise  était punie et n'avait pas le droit de quitter le jardin Romain nous épiait et tentait de nous prendre en faute. Cette interdiction était stupide et ne nous avait jamais empêchées de nous voir. Madame B ne voulait pas que sa nièce fréquente les gens du village, pas de son monde disait-elle ! Mentalité débile ! Quand elle apprit que j'étais également au pensionnat Sainte Chrétienne et que je venais de la ville, elle fit une exception pour moi. Cela dura quelques temps où je pus venir dans le chalet mais en enlevant les chaussures, Il ne fallait surtout pas abîmer le plancher !

 

          Ensuite, elle me trouva trop délurée, trop en avance sur mon âge. Elle tenta de me séparer de sa nièce qu'elle voulait totalement sous son contrôle mais en pure perte. Romain nous surveillait dès qu'il le pouvait mais nous étions plus malignes que lui malgré son âge « avancé » (Il avait presque dix neuf ans !)  Monsieur B m'aimait bien alors sa femme ne maintenait ses interdictions qu'en son absence.

 

          Avec Marie Louise nous faisions vraiment n'importe quoi  parfois! L'épisode patins à roulettes était gravé dans notre mémoire. La côte de Dornot, assez raide, était la piste où nous nous laissions glisser. Hélas un jour, mon jupon tout neuf se prit dans les roues et je fis une belle cabriole. Les conséquences me valurent une superbe remontrance, souliers vernis éraflés, comme mes genoux d'ailleurs, jupon en dentelle, irrécupérable, chaussettes blanches trouées et j'en passe ! Je n'étais pas très fière !  Cela ne nous empêcha pas, quelques temps plus tard, de descendre la même côte à vélo, (sans frein !)Freinant avec nos pieds, et de traverser la départementale avant de finir dans la guérite de l'autobus ! Heureusement qu'à cette époque la circulation était restreinte à cet endroit ! Donc plus le droit de prendre la bicyclette ! De toutes façons, plus rien n'était vraiment à sa place sur l'engin après un tel traitement !

 

          Nous avions inventé un nouveau jeu plus tard. Nous nous faufilions dans la bâtisse désaffectée des Maisonneuve derrière l'église malgré toutes les interdictions. Au second palier, à travers les planches et un gros trou, nous apercevions l'étage inférieur. Nous eûmes l'idée de sauter de ce trou avec un parapluie en guise de parachute. Inutile de dire que la chute fut rude et les parapluies en miettes! Maman et la tante de Marie Louise cherchèrent longtemps, en vain, leurs parapluies que nous avions lâchement abandonnés dans la nature!

 

          Marie-Louise avait un petit copain, Alain L,  qui habitait en dessous de notre maison ensuite rachetée par la famille Bloch. Ces deux gamins s'adoraient et se donnait la main en toute simplicité et innocence. Mon amie fut très triste quand il partit du village la même année.

 

Cauchemar, somnambulisme et rougeole !

 

           Dornot était un petit bourg en Moselle, à une vingtaine de kilomètres de Metz, donc de chez grand-mère et du pensionnat, raison pour laquelle je ne rentrais que le week-end.

 

          Mon frère Vianney était inscrit à Sainte Chrétienne depuis la dernière rentrée. En maternelle, le pensionnat acceptait les garçons. Papa devait souvent s'absenter et il ne pouvait plus nous ramener chez nous tous les soirs, d'autant moins que les horaires de Vianney étaient différents des miens. Il fut donc décidé que nous resterions chez Mémé Metz toute la semaine et qu'il nous récupèrerait le vendredi soir pour nous ramener le lundi.

 

          Cette dernière était très contente de revoir son fils et avait tout fait pour qu'il accepte sa proposition. Depuis quelques temps elle téléphonait à son bureau pour lui dire qu'elle ne pouvait plus vivre seule, qu'il devait lui laisser Vianney à la rentrée. Sa demande serait exaucée à condition qu'elle m'hébergeât également. Cela ne me plaisait pas du tout et j'avais raison de me méfier, grand-mère privilégiait mon frère pour tout.

 

          Nous allions souvent chez tante Anna. Annie la fille aimait bien mon frère et riait en lui donnant le surnom de « Plumpudding » parce qu’il mangeait tout le temps mais heureusement pour moi, elle aimait également son « petit rat de l'opéra ». Nous allions chez elle presque tous les soirs. Grand-mère et sa sœur Anna papotaient en allemand, Albert me racontait des histoires de princesse et de fée. J'adorais quand il m'appelait « Princesse Von Hotzenplotz ». Je me sentais bien chez eux.

 

          Nous allions aussi chez une autre sœur de grand-mère, Anne Lise Maurer (née Emser) et son mari, dont je ne me souviens que du surnom Eiffelturm. Je n'ai jamais connu la raison de ce surnom (Tour Eiffel) sûrement parce qu’il était grand !

 

           Bien que grand-mère n'ait jamais été méchante avec moi, contrairement à l'époque où mes parents vivaient chez elle, je souffrais de sa préférence pour mon frère. Peut-être était-ce un juste retour des choses ? A l'époque je n'en avais pas conscience et je n'en ai pas davantage de certitude aujourd'hui.

 

          Puis, Vianney et moi, eûmes une fièvre de cheval et le corps rempli de plaques rouges : la rougeole ! Si elle passa très vite chez moi, Vianney, par contre, eut des complications : une double congestion pulmonaire qui le cloua au lit plus de quinze jours ! Donc pas question de retourner à Dornot les fins de semaine pour ne pas contaminer Sylvie et Reynold, les plus petits.

          A cette période commencèrent mes cauchemars, doublés de somnambulisme. Je voyais une allumette dans un tunnel, elle rapetissait de plus en plus et devenait lointaine au point de me donner un vertige qui me réveillait.  Ce cauchemar se répéta très longtemps, jusqu'à la fin de mon adolescence sans que je n'en connaisse la raison de départ.

 

          Une nuit, je me levai, ouvrit la fenêtre et voulut sauter du troisième étage, comme s'il s'agissait d'une marche, car j'avais cru entendre la voiture de mon père dans la rue. Mémé Metz n'eut que le temps de m'attraper par la taille sinon je m'écrasais ! Le bruit de la fenêtre l'avait réveillée. Heureusement qu'elle dormait dans la même chambre que nous, dans un lit jumeau !

 

          J'appris le lendemain, en écoutant la conversation entre papa et grand-mère, que son auto break avait failli quitter la route en raison de la chaussée rendue glissante par une pluie torrentielle. Curieusement, c'était l'heure à laquelle j'avais entendu sa voiture ! Ce fut le début de flashes qui jalonnèrent toute ma vie. Je n'avais que neuf ans!

 

 

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          Si Maman parlait volontiers aves les habitants, papa lui, n'était pas très causant avec la population du village. Il n'avait jamais aimé se lier facilement avec des inconnus. Il estimait que sa vie privée ne concernait que lui. C'était un euphémisme étant donné ce qui se passa ensuite !

 

           Cadre et chef de groupe de la société Singer, il eut un premier contact avec Simone Vidémont à qui il vendit une machine à coudre. Cette femme joviale et sympathique eut très vite les faveurs de maman qui se lia ensuite avec toute la famille.

 

          Au début cette famille Vidémont vivait dans une maison assez vétuste et sombre de la rue des Gauvaines, près de notre garage et donnant sur l'entrée du parc du chalet où séjournait Marie Louise pendant les vacances. Du fait de la pente, le garage était à la hauteur du premier étage de notre maison et une porte donnait directement sur notre salle de jeu. Ensuite, toute la smala emménagea dans le lotissement des baraques rouges face à notre entrée de jardin.

 

 

          Ma première copine du village fut Andrée Vidémont (Dédée pour les intimes), l'aînée de la famille. Si cette enfant était calme et effacée, son frère Gérard par contre, était le diable en personne ! Il cumulait les bêtises avec une facilité déconcertante ! Il n'obéissait ni à Simone sa mère, ni à Louis son père, d'ailleurs aussi coléreux que lui surtout sous l'effet de l'alcool ! Je verrai toujours Simone courir derrière lui dans la rue avec le martinet ! Cet enfant résistait à toutes les punitions et il ne pleurait pas. C'était ce qu'on appellerait aujourd'hui un enfant super actif ! Quand il pouvait nous embêter Andrée et moi, il ne se gênait pas. Cependant, je ne le détestais pas. Je crois que j'admirais son courage et sa résistance aux coups. Il me faisait rire avec ses péripéties. Cela mettait de l'animation dans le village.

 

          Je passais de longs moments chez Andrée, je me sentais bien chez eux. Je me sauvais par contre quand Louis arrivait, du moins au début car il n'aimait pas être dérangé chez lui. Tout ce qui entravait ses habitudes l'énervait. Je réussis quand même à le faire rire le jour de la cueillette des fraises.

 

          Andrée avait insisté pour que je les accompagne dans les champs. C'était nouveau pour moi et sans demander à maman, je partis avec eux vêtue d'une jupe plissée, d'un chemisier blanc, de longues chaussettes claires et de souliers vernis noirs ! Pas vraiment commode pour cueillir des fruits à ras de terre ! Simone avait insisté pour que j'aille me changer mais j'étais têtue(comme toujours).  Puis je hurlai et courus dans le chemin, lâchant mon panier et me frottant les mains sur ma jupe et mon chemisier !  Les taches de fruits décorèrent mes vêtements. La raison de mon cri : j'avais vu une araignée ! Quand j'en parlai, toute la famille Vidémont éclata de rire ! J'étais bien une fille de la ville, la petite princesse à son papa ! J'eus droit à tous les quolibets, pas vraiment méchants d'ailleurs. L'épisode fraises s'inscrivit dans la liste de mes premiers « traumatismes ». Je n'ai jamais récidivé ! Peut-être mon arachnophobie date -t-elle de cette époque ?

 

          Un autre souvenir : Simone faisant de la limonade, rien à voir avec celle du commerce. Je n'en connaissais pas la fabrication, je me souvenais juste des petites boules transparentes dans le fond des bouteilles, et du goût citron.

 

          Un autre évènement m’avait marquée : Il s'agissait de la naissance de leur fille Nicole. Simone accouchait à la maison et généralement ce n'était pas le top. Je me souvenais de Docteur Noël sortant de la baraque, la blouse blanche tachée de sang et il en rajoutait en s'essuyant les mains ! Je demandais à Maman  pourquoi il saignait et sa réponse m'avait parue étrange : Ce n'est rien ma chérie, c'est à cause du bébé de Simone. Tout va bien maintenant. Je me disais que je n'aurais jamais d'enfant si cela faisait aussi mal et que le bébé saignait autant ! Il devait vraiment être très malade !

          A force de poser des questions, j'eus des explications plus sérieuses dans la soirée. Mes parents avaient compris qu'il valait mieux m'affranchir afin de ne pas laisser se propager la peur dans mon cœur d'enfant. Je n'avais pas tout compris mais j'étais rassurée.

 

          Avec Andrée nous allions souvent chez sa grand-mère sur les hauteurs du village, entre les deux épiceries : la plus connue était « Chez la Marie » ou du moins où maman faisait ses courses habituelles et « chez Bove » où j'allais de temps en temps acheter des bonbons. J'aimais énormément la vieille dame Vidémont. Elle nous racontait des anecdotes sur son passé et nous l'écoutions religieusement. Son décès m'avait beaucoup peinée, Je raconterai un évènement s'y rapportant, plus tard, car cela faisait partie des phénomènes étranges de ma vie d’adolescente

A suivre...

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