BKK 2

Jerry Milan


Koukou from BKK...après la visite de Saïgon au pas de course me voilà à chercher à réchapper mes tongs dans la cité des senteurs. Sur les rotules, je me suis quand-même précipité dans mon petit temple préhistorique et en détresse bâtimentaire pour y allumer quelque bougies et encens. En y allant, je salivais à l'idée d'un morceau délicieux de friture d'une paysanne débonnaire accompagné de son paquet de riz gluant, mais plus là, alors que les deux mêmes petites vieilles à la peau parcheminée par le soleil qui me reconnaissent à chaque fois grâce à mes bracelets tibétains en os à têtes de mort. Toujours ce même petit jeu où une d'elles m'attrape le poignet et essaye de deviner d'où je viens. Puis elle me fourgue une poignée de baguettes d'encens et une petite bougie jaune moyennant une pièce de dix bahts glissé dans la fente de la boite en fer ''It's up to you''...Eh oui, le temple se meurt et a besoin de sous. Quand j'étais venu là avec mon amoureuse pour la dernière fois, elle aussi avait allumé une baguette, mais va savoir ses vœux ? En tout cas, ils n'étaient pas pour moi, c'est sûr, sinon elle serait là à mes cotés. Alors que cette garce, à l'heure qu'il est, court d'autres contrés lointaines main dans la main avec un de ses ex . Les hommes aiment bien les belles garces, déjà François Villon les chantais en poésie, mais attention, souviens-toi mec qu'elle t'a déjà jeté dehors une fois, même si elle t'a reprise onze ans après. Moi aussi, je l'aimais. Trop...

D'où une grosse émotion encore une fois ! Heureusement, il n'y avaient pas des moines en train de prier ce coup-ci, pour voir un vieux badboy d'écraser une larme...Puis sont arrivés des petits monks rasés et déjà bien grassouillets drapés d'orange, qui sont venus me parler et ont détendu l'atmosphère avec leur moqueries et grimaces causés par leur anglais très rudimentaire...

Décidément, ça ne me réussi plus de rester seul par ici...

Je me croyais assez fort après toute cette eau boueuse écoulé sous les ponts du Chao Phraya et tout ce temps passé à exorciser mes souffrances en revenant là, dans ces lieux d'un bonheur lointain, mais que nenni. Cette ville a un goût salé des larmes amères pour moi désormais...il faut que je me tire vite ailleurs! Une autre erreur c'est d'avoir mangé un plat de Padthaï Kaï chez lutine la mutine au coin de Bangrak. Elle a d'ailleurs été viré du trottoir au profit d'une vraie terrasse d'un resto semblant de luxe et a été obligée de se contenter de la ruelle de derrière, d'où avant, elle apportait les plats succulents concoctés par une mama thaï. Les tabourets en plastique et les tables pliantes ont été tout juste bons à retrouver l'impasse infestée par les cafards et les rats. Mais la bouffe est toujours aussi bonne, même si elle a un peu rétréci au lavage à sous. Et la lutine a toujours la même pêche et le même sourire. Et sa voix n'a pas baissé d'un ton.

Par un hasard de la vie ce soir je n'ai pas mangé seul, mais j'ai retrouvé un pote avec son fils pour une petite boufferie à Khao San. Merci...

Le soleil brille et chauffe à fond, c'est déjà ça de gagné.

La première fois que je suis allé à Saïgon (eh oui, à l'époque on l'appelait ainsi), il y avait les chars dans les rues et les ricains étaient en train de plier bagages avec pertes et fracas. Dans la précipitation générale, je n'ai pas trop eu ni le temps, ni l'envie de faire du tourisme. J'ai quand-même traversé la ville de part en part et elle m'a laissé un souvenir bien triste. Comme le moral des petits bonhommes à tête plate. En y retournant après toutes ces années, quelques repères incontournables mis à part, je ne reconnaissait plus rien de cette ville qui, aujourd'hui, s'appelle Ho Chi Minh City. Le communisme est passé par là. Maintenant un pays libre et libéré des jougs et fantômes d'antan, la ville est à l'image de l'ère libérale avec son lot d'avantages et d'inconvénients. Ca grouille pareil que dans d'autres villes asiatiques, ça astique autant les voitures et scooters flambants neufs, ça mastique et consomme à donf les produits placardés sur les panneaux et autres écrans plats publicitaires. Bangkok en mois bien, car cette ville n'a toujours pas trouvé une identité. Française par histoire, américaine par force, communiste par procuration et buildinguesque par nécessité. C'est à y perdre son latin, plus exactement son français, car il n'y a plus que quelques anciens qui le comprennent et le parlent. Eh oui, ce pays vit à l'heure des I-phones, I-pods, I-pads, I-macs et I-thunes. Comme le monde entier, Mac Donaldisé... Dommage. Je préfère de loin Bangkok qui vit à la même vitesse, mais a su garder son identité propre. Il n'y a aucune ville au monde qui lui ressemble. On aime, ou on déteste, mais elle ne laisse pas indifférent. Ou Djodja dans un tout autre style...

Je me fait livrer par un taxi à l'Oriental, là, où j'ai passé un Nouvel An d'enfer l'année dernière, puis j'attends qu'il s'en aille pour rentrer à pied à mon petit hôtel sans prétention, dernier séjour à deux, chambre 126, à deux cents mètres de là, mais avec piscine et la patronne qui m'invite chaque fois au repas familial de fin d'année(ils sont en train de sortir les chaises et le barnum...). La dernière fois il était couplé avec le mariage de sa fille. Une autre erreur...on ne retourne pas à des endroits chargés d'histoire après une débâcle, sauf en vainqueur. Tiens, l'immeuble de l'ambassade de France a été rasé et à la place pousse du béton en forme de proue de navire avec des ferrailles qui en sortent. Je le vois de ma chambre en me demandant ce que c'était. Ici, le béton gagne partout. Heureusement, qu'ils n'ont pas encore bétonné les temples. Ils restent les lieux sacrés. Quand-même...Ainsi que le roi. Après deux mois de baston entre les chemises rouges et jaunes, la veille de son 86 ème anniversaire, tout le monde s'est serré la main et s'est distribué des roses par milliers. Une fois les célébrations passés, les voilà qu'ils recommencent. Et ça défile dans les rues par serpentins immenses longs comme les dragons dans les escaliers des temples, ça siffle dans les sifflets en plastique de couleur fluo et ça agite les drapeaux bleublancrouge le tout proposé à propos par les vendeurs de rues. Je me suis toujours étonné de la capacité d'adaptation quasi instantané de ces vendeurs. Cinq minutes après l'apparition de la pluie, ils sont déjà une armée à proposer des parapluies et des impers en plastoc transparent. Tout ça avant de se refoutre sur la gueule devant les barbelés tendus par l'armée et la police. J'ai déjà vu les blindés dans les rues de Bangkok, avec des morts à la clé et je n'ai pas envie de les revoir, alors je me casse le jour de la grande manif. Le pays est en pleine mutation et n'a pas encore éclaté grâce a bouddha et Sa Majesté et son armée gagne toujours. Le jour ou il va casser sa pipe le pauvre vieux, il ne restera plus que le bouddha pour les sauver.

Moi non plus il ne me sauve pas, mais c'est entièrement de ma faute. Pourtant, je ne suis pas né de la dernière pluie et la chanson, je la connais par coeur. Ne jamais faire confiance à une femme. Et pourtant, j'ai encore plongé. Encore plus profond. Encore plus fort. Pour la dernière fois ? Une belle sortie prévue en fanfare avec le seul être que j'ai vraiment aimé, que j'ai transpiré par tous les pores de ma peau, à qui j'ai donné mon cœur et mon âme en cadeau et en pâture. A la place j'ai eu un couac et une symphonie de fausses notes. Alors, j'ai tout suicidé dans l'oeuf et elle a assassiné à son tour. Pourquoi j'ai fait cela ? Je le sais que trop bien aujourd'hui et ça m'attriste d'autant plus. J'ai cru aux belles paroles alors qu'elles n'étaient que du vent d'autan, ce vent qui rend fou. Je me suis laissé embobiner par une vérité qui n'était qu'un faux semblant, j'ai péché par suffisance et amour propre. Mais quand on aime, quand on est aveuglé par ce sentiment si fort et soi-disant si pur, quand on a eu un coup de foudre d'une telle puissance inconnue jusqu'à lors, point de méfiance. Je suis entré en gouvernance qui, comme toutes les gouvernances, ne fait que des promesses non tenues. La politique de l'amour est la même que celle du pouvoir. Elle n'est d'ailleurs qu'un jeu de pouvoir, de rapport de force et de domination. L'harmonie absolue n'existe que dans l'amitié sans enjeux, pas dans un couple en amour. L'exemple des promesses non tenues ?

- Je t'aime...faux. Elle en aimait discrètement un autre. Depuis onze ans de leur séparation, je n'étais qu'un remplaçant passager, comme d'autres l'ont été avant moi. Non, elle ne me trompait pas physiquement, mais moralement et c'est encore plus vicieux.

-T'as l'intérêt à rester en forme car t'as signé jusqu'à la fin de ta vie...faux. Le reste de ma vie n'a duré qu'à peine plus de trois ans. C'est vrai, que depuis je survis.

- Je ne retournerais jamais avec un homme que j'ai quitté...faux. Elle est retourné avec son ex sans l'avoir vu depuis onze longues années. Oui, elle a tenu une relation par correspondance qui a fini par pourrir la notre, parce-que, un jour, je l'ai découvert par hasard. Petit à petit j'ai perdu la confiance absolue que j'avais en elle. Le vers s'est installé dans le fruit. Je devenais jaloux, alors que je ne l'ai jamais été auparavant. Ce n'est pas dans ma nature.

- Je n'aime pas les mecs avec cheveux ras...faux. Le sien a la boule à zed.

- Je ne supporte pas les branleurs et les beaux parleurs...encore faux. Celui-ci n'a jamais rien foutu, sauf profiter de la vie et des autres. Je ne le connais pas du tout, mais c'est elle-même qui me l'a confié et, un jour, quand je lui ai demandé pourquoi elle l'a jeté avec ses affaires dans la rue :

''Je ne supportais plus de me voir bosser comme une dingue à la boutique alors que monsieur faisait du parapente et me demandais ma Carte Bleue pour aller chercher du pain !''  Voilà sa réponse à ma question. Ceci m'a été confirmé par un ami qui l'a employé par un je ne sais quel hasard total de la vie :

''Un gentil garçon, charmant, mais trop beau parleur, dragueur, branleur avec un sérieux penchant pour la bouteille ! Pas du tout fiable .'' Dehors au bout de quelques mois. Quand on a été en Thaïlande on devait venir le voir sur ce chantier de construction des catamarans que je ne savais pas encore tenu par un copain de longue date. Je n'ai pas trouvé ça indispensable.

''Il a cru de pouvoir construire son bateau à l'oeil '' a dit Hervé le breton. Avec son caractère bien trempé et son expérience on peut lui faire confiance . Il sait jauger les gens. J'ai peut-être fait encore une erreur, mais les ex, je n'ai pas grand chose à leur raconter.

Bon, à moins qu'il ai fait fortune en se promenant à travers le monde tout en bâclant des petits boulots à droite et à gauche, comme repeindre les grilles d'une guest-house sur la côte orientale de l'Inde pour payer son séjour par exemple ? Ou vivre à la cool en Corse aux crochets d'une nana amoureuse de lui ? Encore et encore ? Et je crois que c'est ce qui se passe à nouveau, même si j'ai du mal à m'en persuader, mais depuis qu'il s'est installé chez elle, en dehors de petits travaux de jardinage et autres bricolage, je ne pense pas qu'il a ramené beaucoup de sous à la maison. Juste une bagnole pourri qui git dans la cour. Et encore moins depuis qu'il a subi un triple pontage cardiaque. Eh oui, ça fini par se payer un jour, une vie de baroudeur.

Et ce sont ces mêmes baroudeurs qui font rêver les femmes et charment leurs cœurs. Puis ils s'en vont un jour, toujours trop tôt... Et ce sont eux qui ont raison. Jamais un mec comme ça ne souffrira comme moi j'ai pu souffrir, car même si j'ai fait plein d'erreurs, jamais je n'ai été faux en amour, j'ai aimé avec un cœur pur, sans arrière pensée et à découvert... C'est pour ça que je le paie si cher aujourd'hui!

Allez, je me casse ! Pour la première fois Bangkok me saoule. Je serais bien mieux au vert sur mon petite ile dans le golfe. Tranquilo... mañana es un otro día !!!

Et ''manana'' la mort a frappé de plein fouet celui qu'a volé mon bonheur en laissant un goût amer d'inachevé dans un océan de larmes. Oui...les baroudeurs s'en vont toujours trop tôt et nous les autres, on reste en regrettant d'avoir loupé un épisode de notre soap opera. Loupé peut-être, mais toujours en vie !!!


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