BLACK-OUT

PARTIE III : Bella

(A un certain moment,  Abbott arrêta de frapper contre la porte inerte et contempla son poing ensanglanté. Il donna avec rage un dernier coup de pied et la porte vibra mais resta fixe et immuable comme le destin et Abbott couru dans l'escalier, vers le premier où il savait trouver l'extincteur accroché au mur, le saisit et remonta le souffle coupé par l'effort. Il projeta l'extincteur contre la porte qui ne céda pas.

 Chebyshev relâcha son étreinte et se mit à tâtonner fébrilement pour ouvrir sa braguette et Bella en profita pour glisser sur le sol. Chebyshev jura et se jeta sur elle et l'écrasa de tout son poids et ses mains griffèrent ses cuisses. Les doigts de Bella rencontrèrent enfin la petite lame qui avait fini sa course contre le pied du lavabo. Bella tailla à l'aveugle et Chebyshev poussa un grognement étonné puis hurla et roula à côté d'elle sur le carrelage glacé, tandis que le sang tiède et gluant inondait ses mains, sa robe et le sol.

Abbott entendit un claquement dans la serrure : la porte s'ouvrit, et Bella fut devant lui, tremblant comme une feuille dans sa robe maculée.
Abbott serra Bella dans ses bras et elle s'abandonna un instant avant de se ressaisir et de l'entraîner vers la salle de bain, à nouveau maîtresse d'elle-même. Cela n'étonna pas Abbott parce qu'il avait déjà vu Bella à l'œuvre et savait de quel métal dur et indestructible était faite son âme. 
 « Putain ! Siffla Abbott lorsque Chebyshev apparu dans le halo incertain de la lampe tempête. Tu l'as saigné comme un porc ! »
Abbott réfléchit un instant et dit :
« On en fait quoi ?
- On va pas le laisser crever chez moi, décida Bella. »
C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à traîner Chebyshev à travers le salon, le pallier et les escaliers, puis le porter jusqu'à la Lotus de Stock. La rue était vide, à l'exception de deux pillards à moitié ivres qui laissèrent leur rixe en suspens le temps de regarder Abbott briser la vitre de la Lotus, faire sauter le Neiman et démarrer le moteur. Abbott et Bella essayèrent d'allonger Chebyshev dans l'habitacle, mais ils se rendirent vite compte qu'ils ne rentreraient pas à trois.
« Il pouvait pas acheter une voiture plus petite ! Râla Abbott.
- On n'a qu'à le mettre dans le coffre, proposa Bella. »
Bientôt, la Lotus vrombit vers Wyckoff Heights.
Les abords de l'hôpital étaient saturés d'ambulances et de camions de pompiers et ils durent abandonner la voiture un block au sud. Ils finirent la route Chebyshev se vidant doucement de son sang sur les épaules d'Abbott. Le parking avait été transformé en hôpital de campagne. Les médecins opéraient à même les civières au milieu d'une cohue de blessés. Ils déposèrent Chebyshev sur un brancard et un médecin l'examina, leur jeta un regard étonné devant l'ampleur du massacre mais leur annonça qu'il s'en tirerait probablement et que personne n'aurait le temps de prendre une déposition.
Ils restèrent un instant sans savoir quoi faire, perdus sur l'immense parking, puis tournèrent les talons. Lorsqu'ils arrivèrent à la voiture, elle avait disparu et ils durent marcher jusqu'à Crown Heights. Ils n'avaient pas d'autre endroit où aller et se dirent qu'avec un peu de chance, les autres y seraient aussi.)