BLACK-OUT

Pierre De Gerville

Fin de la nouvelle Black-out. Les trois premières parties sont déjà publiées. Été 1977, Brooklyn : Canicule, meurtres et émeutes et un groupe d'amis qui se débat au milieu...

PARTIE IV : Épilogue

Une heure plus tard, Lance n'est toujours pas revenu. Scott regarde par la fenêtre et remarque sans surprise que sa Lotus a disparu. Sam s'est endormi dans le fauteuil. Le vieux est bien réveillé, lui, et scrute la pièce de son regard brillant, sans décrocher un mot. Stock se demande pourquoi les Juifs se font toujours lyncher. Il aperçoit deux silhouettes qui remontent la rue et reconnait Abbott et Bella. 

Lance n'est revenu qu'à l'aube. A ses yeux d'outre-tombe, Bella a compris qu'il est mort plusieurs fois et ils se sont étreints tandis qu'autour d'eux le temps le temps suspendait son cours et que la ville disparaissait dans un silence de fin du monde.
Maintenant, ils montent tous sur le toit qui flotte au-dessus de Brooklyn et regardent le jour naître. Un vagabond passe dans la rue et crie que le jugement dernier est arrivé et que Dieu est mort. Sam frissonne mais Abbott remarque qu'il croise le clochard tous les jours dans le métro et qu'il annonce la même chose depuis trois ans. Stock ajoute que de toute façon, Dieu ne peut pas être mort, puisqu'il n'existe pas, et Sam frissonne à nouveau.
Les émeutes et les incendies et la folie de la nuit se taisent à mesure que le jour s'installe. Les gens repeuplent petit à petit l'immeuble et organisent le nettoyage. Le courant revient dans la ville, à Manhattan d'abord puis partout. A quinze heures, une clameur retentit et ils savent que l'électricité est rétablie dans la rue. Le vieux dort dans la chambre de Lance et Bella. Lance, Bella, Stock, Sam et Abbott reposent sur la terrasse dans la chaleur invraisemblable de cet étrange été. Leurs corps et leurs âmes sont rompus de cette nuit et de la vie absurde et Lance regarde passer les oiseaux au dessus d'eux et se demande où ils vont et serre la petite main nerveuse de Bella dans la sienne. Derrière les antennes et les câbles, la skyline éternelle et fragile est posée sur l'horizon comme un service de cristal. La ville cuve sa propre démence et Stock lance enfin la platine et les premières mesures de Sugar Mamma montent dans le ciel légèrement transparent.

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