Black Swan

– De quoi ?

Il faudrait savoir écrire encore
Écrire de jolies choses
Quelle drôle d'idée
Il faudrait retrouver les mots le ton
Ceux qui t'auraient mangé le cœur comme avant il faudrait
Savoir mentir encore
On faisait ça si bien tu sais
Il faudrait masquer l'amertume sous le fard il faudrait
Sourire
Sourire
Te convaincre
À force de mots faux il faudrait
Te jouer
Te voler
Ou ne pas te vouloir autant
Peut-être
Il faudrait l'insolence et les serments faciles
L'assurance et la force qu'on a dilapidées pour de moins grands que toi
Si on avait su
Il faudrait le spectacle éclatant les mots-paillettes qu'on soufflait
Aux visages des enfants béats
En riant
Avec la fumée bleue
Il faudrait le défi et la fièvre comme avant
Et le jeu pour le jeu
Pas les souvenirs d'étang les échos
D'un autre chant de solitude
Pas l'odeur de la pluie d'été déjà gâchée salie
Il faudrait noyer la mémoire t'inventer la magie idiote
Toute neuve
Avoir encore quelque chose à casser
À te donner en gage
Il faudrait pouvoir encore jurer sans ricaner
Y croire pour que toi
Tu y croies
Ne pas savoir
Déjà
Qu'on s'en remet toujours
Ne pas compter tout ce qui fut manqué
Ou pouvoir te dire
Au moins
Avoir encore un peu la force de brailler
Que nos grands airs c'est du vent
Du vent
Qu'on te donnerait tout quand même mais que tout
C'est bien peu
Que c'est tout ce qu'il reste
Que c'est pour ça
Mais quand même
Qu'on te les donnerait les nuits blanches les nuits rouges
La rage inconsolable
La terreur grise du petit matin
Si seulement tu voulais
Qu'on te donnerait les rideaux tirés pour ne pas voir qu'il fait déjà jour et les voix
Les nuits de trois nuits la panique et les voix
Les bonheurs hystériques
Aussi
Et les voix
Les cons qui y croyaient quand on crevait près d'eux
Qu'on te les donnerait
Les regrets imbéciles
Et toute la mélancolie
Si seulement tu voulais
Qu'on te les donnerait
Les mains qui tremblent quand le jour pointe et les envies vertigineuses à ne plus se sentir mourir à ne plus s'entendre sombrer et les abîmes et le silence et les foutues horloges qui grincent qu'on te les donnerait les cafards plein le mur et l'armoire à bourbon et les livres trop lus en lambeaux sous nos doigts tous les bijoux perdus dans ses draps étrangers et les talons cassés et la lune hypocrite sur la highway déserte où on se crucifiait qu'on te les donnerait les poisons les sirènes le bâton et la route le captain au sang noir qui se noie dans sa bière et les veilles de Pâques qui nous ravagent encore les extases au rabais le vieux couteau de chasse et vos premiers sourires c'est toujours le plus beau – qu'on sait bien que tu n'en veux pas va mais qu'on te donnerait

Tout

Tout

Tous les mots qu'on n'a plus
Tout ce qu'on ne sait plus
Pour y foutre enfin le feu

Si seulement
Tu voulais

– Non, rien.