Blanc ciré

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Blanc ciré

extrait  de “Ivres mots”, sketches absurdes

A: Çà ne vous fait pas rire, vous? 

B: Non, ça ne me fait pas rire. 

A: C'est vrai que vous n'êtes pas gai...

B: Non.

A: Mais, pourquoi vous n'êtes pas gai comme ça?

B: Parce que j'ai envie d'être triste.

A: Eh bien, c'est réussi...

B: Justement non.

A: Attendez...

B: Je n'ai plus rien à attendre...

A: C'est une façon de parler, je voulais dire: "attendez, je ne comprends pas".

B: Ce n'est pas parce que vous, vous ne comprenez pas que moi, je dois attendre quoi que ce soit.

A: Non, mais vous pourriez m'expliquer.

B: Pourquoi je n'ai rien à attendre?

A: Pourquoi vous n'êtes pas gai.

B: Parce que je ne suis pas triste.

A: C'est... un paradoxe?

B: Non, c'est un grand malheur.

A: C'est inbitable votre histoire!

B: Ne criez pas, j'ai horreur de ça.

A: Pardonnez-moi, c'est la curiosité.

B: On peut très bien être curieux et rester en deçà de quatre vingt décibels.

A: Je ne vous dis pas le contraire!

B: Non, vous me le hurlez.

A: Bon, d'accord. Je vais donc vous reposer ma question au volume sonore d'un puceron asthmatique:"pourriez-vous m'expliquer..."

B: Je ne comprends absolument rien de ce que vous me racontez.

A: Et là?

B: Là quoi?

A: Vous comprenez mieux?

B: Qu'est-ce qu'il y a à comprendre?

A: Ce que je vous dis.

B: Vous ne me dites rien, vous me demandez si je comprends.

A: Justement.

B: Si je comprends justement? J'essaye.

A: Non! Je vous demande...

B: Cà y est vous recommencez! C'est quand même terrible d'être bruyant comme ça...

A: Je suis fatigué...

B: Vous m'étonnez! A vagir comme vous le faites... Calmez-vous et vous verrez que ça va passer.

A: Vous croyez?

B: Oh, certainement.

A: Vous savez ce qui me ferait plaisir?

B: Non, qu'est-ce que c'est?

A: Que vous mettiez un peu de bonne volonté. Juste une fois...

B: Mais je ne demande pas mieux. C'est extraordinaire, ça: soit vous poussez des beuglements de vache en couche, soit vous émettez des bredouillis vaguement interrogatifs et moi, avec tout ça, je dois me débrouiller pour comprendre ce que vous voulez. Avouez que c'est une tâche plutôt ardue...

B: Mais non, moi je veux juste savoir pourquoi vous êtes triste, sans l'être, tout en le paraissant, bien que vous niiez l'être.

A: Eh ben, voilà... Reconnaissez qu'il faut de la constance avec vous... Bon... Pourquoi suis-je triste? Pour la raison que je vous exposais tout à l'heure.

A: A savoir?

B: Eh bien, à savoir que je n'arrive pas à y être.

A: Dans le fond c'est beau tout ça, j'ai l'impression soudaine que je ne vieillirai plus maintenant que je vous connais. Il suffit que je vous pose une question, n'importe laquelle, et nous voilà partis... On fait une petite ballade parmi les paradoxes et les antinomies et hop, nous voici revenus à notre point de départ. J'ai presque envie de vous la reposer, pour voir...

B: Vous savez que vous êtes usant, vous, hein? Non, c'est vrai... Comment voulez-vous que je vous le dise? En hébreu? En chinois?... Et puis je vais vous dire une bonne chose: vous m'ennuyez. Et encore, je suis poli... Je suis là, pas gai, faute de pouvoir être triste, ce qui, croyez-moi, est vraiment déprimant. J'aurais besoin de calme, de solitude, pour pouvoir faire naître un peu de nostalgie et par là-même, qui sait, parvenir à une ombre de tristesse et vous, vous me zonzonnez autour comme une grosse mouche à merde... Mais vous commencez à me courir! Vous le savez que vous commencez à me courir? Hein, vous le savez? Alors... Et il ricane en plus!

A: Cà ne vous fait pas rire, vous?

B: Non, ça ne me fait pas rire.

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