Bleu Caramel

Laeti Kane

Emilie part seule en vacances et flashe sur un bel inconnu qui n'est autre que le mec de Céline. Que faire quand on a un mec dans la peau mais qu'il est déjà pris par une copine ?

Synopsis

Emilie part enfin en vacances ! Elle est totalement excitée à l'idée de partir avec Sophie, sa meilleure amie. Mais voilà. Sophie lui fait faux bond à deux jours du départ parce qu'elle pense avoir trouvé le grand Amour.

Emilie part donc avec Gibbs pour seule compagnie, dans le Sud, où elle gardera la maison d'un ami. L'idée d'être seule la déprime, mais en voyant la mer elle se rebooste et se promet de passer les meilleures vacances de sa vie ! Bon, au pire, elle pourra toujours jouer aux Sims et mater ses séries en retard comme une geekette.

Sur un marché nocturne elle percute un beau brun et c'est le coup de foudre. En tout cas ça y ressemble, parce qu'elle ne croit pas à ce genre de choses. Mais là, impossible de nier ce qu'elle ressent jusque dans son bas ventre. Et pour une fois, elle sent que c'est réciproque ! Même si elle doute souvent. Seulement, pas le temps de lui parler qu'il disparait. Boostée au téléphone par Sophie, elle compte bien arpenter toute la ville à sa recherche s'il le faut !

Parallèlement elle est contactée par une de ses anciennes amies via facebook et accepte de renouer même si elles ne s'étaient pas quittées en bons termes. L'eau a coulé sous les ponts depuis le lycée. Par hasard ou chance, Céline est en vacances dans la ville d'à côté. Elle l'invite à une soirée déguisée chez elle. Emilie passe un bon moment et revoit même le petit frère de Céline : Gabriel, devenu très sexy. Cerise sur le gâteau : elle tombe sur son bel inconnu. Il s'appelle Elias et... c'est le petit ami de Céline. Tous ses espoirs s'écroulent. Pourtant, Elias la regarde. Elle en est certaine ! Et c'est ce qu'elle raconte à sa meilleure amie qui lui dit de ne pas laisser tomber.


Tiraillée entre son attirance pour Elias et la culpabilité de faire un sale coup à Céline qui se rapproche d'elle de jour en jour, Emilie joue avec le feu.  Elle qui a toujours été droite et sans histoire, ne sait pas vraiment s'y prendre et ce n'est pas aussi simple que dans les séries américaines. Elle doit faire attention à Gabriel qui, quand il ne la drague pas, a les yeux partout.  Suivant les conseils de Sophie et sa voisine pendant les vacances, Emilie joue de ses charmes et sur le fait que quelque chose cloche dans le couple Céline-Elias. Ils se touchent peu, s'embrassent à peine, il n'y a pas de flamme dans leurs yeux. Impossible cependant de pousser Céline vers un autre mec : il n'y en a pas, et elle parle beaucoup de son ex qui l'appelle parfois. Peut-être lui alors ?

Quelqu'un a dit : en Amour tous les coups sont permis ! Emilie va-t-elle vraiment jouer les garces manipulatrices ? Pourra-t-elle trahir Céline ? Et si elle se trompait sur Elias ? C'est peut-être un salop parmi tant d'autres et elle ferait mieux de céder aux avances de Gabriel… Une chose est certaine : elle va se découvrir cet été là !

 

Personnages principaux

Emilie. Petite rousse aux yeux verts. Elle est un peu ronde et a peu confiance en elle. Enfant de la DASS, elle est assez solitaire. Elle va découvrir qu'elle a bien des atouts, qu'elle est une femme tout simplement et qu'il faut parfois prendre sa vie en main au lieu d'attendre passivement.

Sa meilleure Sophie est tout le contraire : hyperdynamique, sûre d'elle, elle n'a peur de rien ! Elle fonce et réfléchit après. Elle pousse toujours Emilie à aller de l'avant.

Céline aussi est son opposé. Elle est fortunée, grande, blonde, bien foutue. Comme Sophie, elle ose tout et est du genre extravertie. Elle cache quelque chose, ça se sent mais Emilie n'arrivera pas à mettre le doigt dessus.

Gabriel est le frère de Céline. Maintenant 19 ans, beau gosse avec une bouille d'ange, il met l'ambiance. Insouciant, drôle, il court après Emilie pour laquelle il craquait quand il avait à peine 12 ans.

Elias est l'homme mystère. Celui qui a retourné le cerveau d'Emilie. Même s'il est déjà pris, il semble irrésistiblement attiré par la petite rousse. Lui aussi, risque de se brûler les ailes.

 

BLEU CARAMEL

-1-

            Jeudi 31 juillet, 17h52. Plus que huit minutes et Emilie serait en vacances ! Trois semaines à se la couler douce. Et lorsque l'on connait sa chef, on sait que c'est plus que mérité. En réalité, ce n'était même pas sa supérieure directe mais la directrice des ressources humaines et, en tant que telle, elle prenait plaisir à fourrer son nez partout en se prenant pour Dieu. Elle avait aussi, accessoirement, oublié la signification du mot humaine dans le descriptif de son poste. Tout le monde la détestait et Emilie se demandait comment elle pouvait gérer ça. Cela devait être difficile de venir chaque matin bosser en sachant pertinemment que vos collègues ne vous apprécient pas et prient pour que vous disparaissiez, peu importait comment. Encore, ceux qu'on n'apprécie pas, ça passe mais tous ! Remarquez, c'était peut-être là le secret de sa DRH : elle méprisait trop les gens du boulot pour que ça la touche. Ils n'avaient aucune espèce d'importance pour elle. Il n'y avait qu'à voir sa façon méprisante et agressive de s'adresser à eux, comme à des esclaves. Seuls les cadres pouvaient espérer un peu plus d'égard. A se demander si elle était pareille dans sa vie perso ?

            Enfin ! A quoi bon penser à ça maintenant ? Le temps d'éteindre l'ordinateur, rassembler ses affaires, mettre le répondeur de la société en route et elle était libre ! Elle vérifia une toute dernière fois qu'elle n'avait rien oubli é pour que sa remplaçante s'en sorte et, fidèle à son côté peu sociable au travail – mode je suis sympa mais je ne suis pas là pour me faire des amis – elle s'esquiva sans un mot, profitant du fait que la plupart était partie ou en pause.

            La porte se referma et elle se mit à respirer l'air parisien. Pollué, certes, mais appréciable car aujourd'hui c'était l'air de la liberté. Rien que ça ! Le soleil tapait fort en cette fin d'après-midi, à tel point que le bitume donnait l'impression de fumer. Faisant glisser ses lunettes de soleil en cœur sur son petit nez retroussé, elle prit la direction du forum des Halles. Dix minutes de marche à pieds en passant devant le centre George Pompidou, rien de tel pour se lancer dans les vacances. Voir tous les touristes armés de leur appareil photo ou caméscope, les gosses léchant goulûment leurs glaces aux couleurs douteuses, la queue dans les boutiques de souvenirs... Paris en été c'était quand même quelque chose. Comme si la ville subissait une de ses nombreuses transformations. On devrait la surnommer la capitale caméléon.

            L'an passé, Emilie n'avait pas eu de congés puisqu'elle commençait tout juste dans sa boîte, mais elle avait apprécié le mois d'Août en ville. Cette année elle n'en profiterait pas mais elle aurait bien mieux à faire. Samedi elle partait avec sa meilleure amie dans le Sud. Un de ses amis leur prêtait sa maison. En échange elles s'occuperaient de ses plantes, poissons et chats ; une aubaine pour profiter d'une maison à Six Fours les Plages, du côté de Toulon. C'était la première fois qu'elle partait depuis ses dix-huit ans. Auparavant c'était colonies de vacances organisées par les foyers, ce qu'elle détestait pour la simple raison que ça ne ressemblait pas à l'idée qu'elle se faisait des vacances : toujours les mêmes personnes, les mêmes lieux, la même ambiance. Bien entendu, comparé à ceux qui ne partaient jamais ce n'était pas si mal, mais... bref. Cette fois ci, elle allait s'éclater ! Elle avait économisé pour ne pas se priver, et avec Sophie elle avaient prévu des tas d'activités. Quelle hâte elle avait !

            Avant de retourner à son studio près de la gare Saint Lazare, elle décida de se faire une toile, histoire de se relaxer. Après avoir parcouru les affiches, elle opta pour un dessin animé. A vingt-trois ans, elle avait conservé son âme d'enfant. En même temps, elle n'était pas si loin de l'adolescence. Elle avait bien le temps de devenir une véritable adulte, non ? Si vraiment, c'était obligatoire.

            Rituel oblige, elle passa d'abord au Starbuck Coffee. Une fille au physique de top model qui se laisse mourir de faim la regarda de travers, comme si lorsqu'on fait 1m65 pour 62kg on n'avait pas le droit de mettre les pieds ici, ni même de manger. Emilie l'ignora, elle rejeta ses cheveux roux ondulés, bomba sa poitrine généreuse et commanda son habituel choco chip tall et une part de carott cake. Elle avait observé ce gâteau deux ans avant de se lancer : l'inconnu lui faisait toujours peur, tout comme changer ses habitudes. Il fallait avouer aussi qu'un gâteau à la carotte ça ne fait pas rêver. Alors comment s'était-elle décidée ? Un soir, après une énième dispute avec son ex, elle s'était dit qu'il était temps que les choses changent. Et naturellement, le changement avait commencé avec une part du fameux gâteau plutôt que l'éternel muffin aux myrtilles. Depuis elle était accro ! Elle avait même appris à en faire.

            Après avoir récupéré sa commande, elle s'assit sur l'un des fauteuils de l'établissement pour déguster ses petits plaisirs tout en observant la foule qui déambulait non-stop dans le forum. A toute heure ce lieu ressemblait à une fourmilière gigantesque. Petit à petit, elle fit abstraction des bruits de pas claquant sur le sol, du cafouillis des bribes de discussions dans diverses langues, de toutes les nuisances qui l'entouraient. Elle avait toujours eu cette aptitude qui lui permettait de faire le vide même dans les endroits les plus bondés. Elle le faisait depuis son plus jeune âge. Non pas qu'elle fut une enfant associale mais vivre en foyer n'offrait pas d'intimité et elle avait toujours eu besoin de ses instants de calme pour retrouver un peu de sérénité.

            Sa pseudo méditation fut interrompue par les vibrations du téléphone portable qui se trouvait dans la poche de son pantalon. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser de quoi il s'agissait et le sortir. Texto de sa meilleure amie : T où ? Fo ke jte raconte 1truc 2 ouf ! Elle répondit aussitôt, intriguée, et la réponse fusa : Ok, jpace ché toi ds 3h. Biz. C'était tout ? Même pas un indice, un détail croustillant ? Les épaules d'Emilie s'affaissèrent légèrement, frustrée. Elle se ressaisit presque aussitôt : c'était certainement lié à l'actualité facebook d'une connaissance, ou quelque chose dans le genre. Sûrement rien de transcendant en fait ; Sophie lui faisait souvent ce coup là. Prenant son mal en patience, elle termina sa boisson et son gâteau puis fila vers les salles obscures.

            Comme à son habitude elle s'installa au premier rang, bien au milieu. Elle était myope mais ce n'était pas la cause puisqu'elle portait des lentilles, c'était juste parce qu'elle aimait allonger ses jambes et évitait ainsi de se retrouver derrière un géant qui lui cacherait le bas de l'écran. Ca évitait également qu'elle se retrouve entourée. D'accord, dans le fond elle avait un côté antisocial. Mais il fallait préciser que le septième art était sacré pour elle. Elle avait une sainte horreur de se retrouver à côté d'un piaffeur, de piplettes, ou encore d'un pervers qui essayait de vous tripoter en espérant que vous seriez trop intimidée pour râler – ce qui n'était pas son cas. Elle ignorait si ce genre d'individu était propre à la capitale mais elle en regorgeait ! En tout cas, là, pas l'ombre d'un enquiquineur. Le générique débuta, elle s'installa confortablement, prête à se laisser absorber par une histoire de dragons et vikings.

            Le dessin animé était drôle et touchant : une bouffée d'air frais. Exactement ce qu'il lui fallait pour rentrer chez elle le sourire aux lèvres, la tête vidée. Elle avait totalement abandonné ses prises de tête liées au travail. En se dirigeant vers la ligne 14 elle envoya un texto à Sophie pour la prévenir qu'elle quittait le forum ; elle serait chez elle d'ici vingt minutes à tout casser. Puis elle consulta ses notifications facebook pour passer le temps dans le métro. Une de ses copines avait changé sa couleur de cheveux ce qui la vieillissait. Devait-elle lui donner son avis ? Elle hésita mais les goûts et les couleurs ne se discutaient pas, elle n'avait pas non plus envie de la vexer pour rien. Sinon rien de neuf. Ah si, une invitation comme amie envoyée par une fille du lycée : Céline Morand. Elle fut surprise. Depuis combien de temps n'avait-elle pas entendu parler d'elle ? A l'époque elles avaient eu de super moments ensemble, mais aussi de grosses prises de bec qui l'avaient conduite à rompre contact. Devait-elle accepter ? Après une minute de réflexion, elle décida que ça ne lui coûtait rien. Ce n'était que facebook, et puis, de l'eau avait coulé sous les ponts en cinq ans. Elle saurait mettre le hola si ça dérapait et ça se trouve, elles s'entendraient très bien. Elle cliqua sur accepter et voilà qu'elle était déjà à sa station.

    Cinq minutes plus tard elle arrivait en bas de son immeuble où l'attendait déjà Sophie, visiblement surexcitée vu comme elle lui sauta dessus pour lui faire la bise.

Il m'est arrivé un truc de maladeeuhhh ! Comme dans les films !

Ok, ok, mais attends qu'on soit sur le canapé pour me raconter.

Les deux jeunes femmes se pressèrent d'atteindre le deuxième étage et Emilie ouvrit la porte en prenant soin de ne pas écraser son min fauve qui l'attendait toujours derrière. Elle le prit dans ses bras pour le couvrir de baisers, laissant Sophie refermer à clés.

-  Je lui donne à manger et je suis à toi.

Va ! T'as quelques chose de frais à boire ?

-  Je dois avoir des soda... ou du lambrusco.

Lambrusco, bella ! Lâcha-t-elle en s'affalant sur le clic clac.

Emilie servit son bébé glouton qui se jeta sur les croquettes comme s'il n'avait pas mangé depuis des jours. Elle lui remit de l'eau fraîche et jeta un œil à sa caisse : ça pouvait attendre demain. Il faudrait quand même qu'il apprenne à recouvrir ses crottes le petit goret ! Cette pensée la fit sourire. Gibbs n'avait que quatre mois, il était encore maladroit et foufou. Elle le retrouvait régulièrement coincé dans des pauses ou lieux impensables. Mais le plus amusant était lorsqu'il voulait un câlin de Sophie. Elle avait si peur des chats qu'elle le repoussait gentiment, raide comme un piquet, mais le rouquin pensait qu'elle jouait et devenait dingue, si bien qu'elle se croyait attaquée et oscillait entre cris et pleurs. Folklo ! Pour le moment il était occupé, elles avaient donc un peu de répit.

Elle attrapa deux verres, le tire-bouchon, la bouteille dans le frigo, quelques tomates cerises et mit le tout sur un plateau qu'elle posa sur la table basse.

–   J'ai plus que ça, j'ai vidé le frigo.

–   C'est nickel.

–   Tu peux commencer.

–   Ahhhhhhhh !

Emilie ouvrit la bouteille et les servit tandis que Sophie, bouillant d'impatience, commençait son récit. Et quand on la connait on sait que ça sera comme regarder un one woman show. Elle était du genre à accompagner ses phrases par de grands gestes et parler fort. Un véritable bout en train sur ressort.

 La voici donc qui racontait d'abord sa journée d'il y a trois jours qui avait mal commencé : toujours pas de piste pour un boulot dans sa branche, elle devenait folle à vendre des forfaits et mobiles dans un magasin spécialisé. Ses collègues étaient lourdingues, surtout le manager qui avait toujours mauvaise haleine et qui, biensûr, souhaitait régulièrement lui parler en tête à tête.

– Bref ! Voilà qu'Il entre. Beau... mais beau ! Mon style, quoé ! Et il est venu me voir direct. Alors je tape mon smile qui tue et je m'occupe de lui comme d'un roi. Sauf que, il voulait pas de portable. Figure-toi que ça fait une semaine qu'il passe devant la boutique pour me voir, ME voir ! T'imagines ?? MOI !!! C'est romantique, hein ?

Emilie la regarda, surprise, mais ne put répondre car la bouche encombrée par une tomate. Pour elle ça faisait limite barjo. Ce type lui plaisait donc elle trouvait ça classe mais s'il avait été moche ou vieux, elle l'aurait pris pour un maniaque. Comme quoi, tout est relatif.

–  Alors au début je rigole genre c'est quoi ce plan drague à deux balles ? Mais il avait l'air tellement sincère que je lui ai dit de m'attendre à la fermeture pour qu'on discute autour d'un verre.

– Cash ?!

– Bah écoute, on n'a qu'une vie hein !

– Vu comme ça... Bon, continue !

–  Donc ! Il vient à la fermeture et on va à l'Irish Pub.

–  Y'a plus intime...

 Sophie lui jeta un regard noir qui indiquait qu'elle devait se passer de commentaires. Emilie sourit et l'invita à poursuivre.

–  Déjà, c'est lui qui a payé tous mes verres. Pas radin. Bon point, non ? Emilie approuva et termina justement son verre. Elle les resservit toutes les deux. On parle de tout, de rien, de la famille, du taf, de Paris... En fait, il est de Lyon. Il est arrivé y'a cinq mois pour son taf, dans la pub ! Deuxième bon point.

– Ah oui ! Peut être qu'il pourra te pistonner.

– Possible. Je me noyais dans ses yeux...

Sophie c'était aussi ça : elle passait du coq à l'âne dans transition. Ce n'était pas toujours évident de la suivre. Il fallait un temps d'adaptation, mais on s'y faisait. Ca pouvait même être drôle. Emilie écouta alors la description physique du bel inconnu, jusqu'à ce que son amie se souvienne qu'il lui avait envoyé une photo par mms.

– Regarde !

Elle lui tendit son téléphone, dévoilant un jeune homme crâne rasé, joli sourire et yeux rieurs.

– Pas mal oui.

–  Arrêteeee ! C'est une bombe !

Emilie n'irait pas jusque-là mais encore une fois : chacun ses goûts. Ceci dit, le nouveau bad boy de la jeune femme – elle les collectionnait – était charmant et effectivement son style. D'ailleurs elle s'extasia un moment dessus tout en faisant sa pub comme si elle voulait le vendre. Il fallut qu'Emilie la calme sinon ça n'en finirait jamais.

–  Raconte la suite !!

– Oui, s'cuse moi. Dans le pub c'était ouf, on se regardait... c'était intense. Comme si on avait pas besoin de parler. Pis à un moment il a effleuré ma main et là, ma Kaye, c'était comme si y'avait plus personne autour de nous. Alors je te dis pas quand on s'est embrassé ! Mais je vais y venir. Donc...

 Elle continua son compte rendu en détaillant tout et par moments Emilie avait l'impression d'avoir assisté à leurs rendez-vous. Oui, au pluriel car ils s'étaient vu tous les jours. Comment avait elle pu lui cacher ? Si elles n'avaient pas déjà vidé la bouteille de vin, Emilie aurait été moins enthousiaste pour écouter la suite. Elle alla chercher du soda le temps qu'une seconde bouteille, sortie du placard, rafraîchisse un peu au congélateur.

 Il était bientôt 1h00 lorsque la nouvelle tomba, faisant l'effet d'une bombe. Le taux d'alcoolémie d'Emilie l'aida à rester zen.

– Tu comprends, c'est pas tous les jours qu'on tombe sur le grand Amour !

 Comment contrer ce genre d'argument ? Ce n'était pas la première fois en trois ans que Sophie invoquait le grand A pour expliquer ses actes, surtout quand elle savait que ça allait chauffer pour son matricule. Mais là il s'agissait de leurs vacances ! Comment pouvait-elle lui faire ce coup là ? Déjà ne pas lui parler de ce mec plus tôt... Emilie la regardait sans vraiment écouter le reste de son argumentation. Elle était trop abasourdie et préoccupée par l'impact que ça aurait sur leur projet. Il était hors de question d'annuler en tout cas. D'abord parce qu'elles s'étaient engagées auprès de Lukas, et ensuite parce qu'elles avaient trop rêvé de ce moment.

– Tu es d'accord ?

Pour ? Emilie réalisa qu'elle avait loupé un épisode.

– Tu y vas comme prévu et on te rejoint la dernière semaine.

– Deux semaines toute seule ?!

– Oui... mais je suis sûre que tu vas quand même t'éclater !

Emilie arqua les sourcils, se demandant si Sophie ne se payait pas sa tête là. Son expression devait en dire long car sa soit disant meilleure amie enchaina.

– Lukas laisse son scooter, tu pourras sortir quand même et oublier l'autre con.

 Ah oui, l'autre, celui dont on ne prononce pas le nom, tel le gros vilain dans Harry Potter. A dire vrai elle n'y pensait plus depuis... quatre jours. Un record. Merci Sophie. Elle soupira. Quels choix avait-elle ? Si elle faisait une crise à Sophie, elle lui gâcherait son histoire et elle n'avait pas envie d'avoir quelqu'un qui boude pour compagnie. La connaissant, la jeune femme à la peau chocolat, comprit qu'elle avait gagné mais voulut s'en assurer. D'une petite voix, elle lui demanda :

–  Alors, ça marche ma Kaye ?

 Elle fixait Emilie avec des yeux de chien battu et celle-ci ne put s'empêcher de rire.

–  Ok. De toute façon je ne vais pas me mettre entre toi et le prince charmant...

–  Ahhhhh je t'adore !!! T'es la meilleure !!!

 Sophie lui sauta dessus, renversant une partie de son verre et lui fit un énorme câlin jusqu'à ce que Keen V fasse chanter son téléphone.

– C'est lui !

 Synchro, dis donc. Excitée comme une pucelle, elle se jeta sur son iphone dernier cri pour répondre à son homme et lui annoncer la bonne nouvelle. Pendant ce temps, Emilie termina la seconde bouteille de vin en se demandant si elle saurait s'amuser seule. Etait-ce là une épreuve pour la rendre plus sociable ? En tout cas, ce serait un véritable défi...

 Emilie ne se souvenait même pas s'être endormie et avait la tête dans le cirage. Gibbs lui léchouillait les doigts de pieds, il devait donc être 7h00. Le cerveau embrumé, elle se dirigea tant bien que mal aux toilettes. Se saouler au vin était résolument une mauvaise idée. Un coup d'oeil à son reflet dans le miroir la rassura : elle avait connu pire. Elle baissa son pantalon et sa culotte d'un seul coup et s'installa sur les wc où elle retira le reste de ses vêtements tout en se soulageant. Autant ne pas perdre de temps. Le petit ventre sur pattes l'avait suivie et réclamait déjà en se frottant à ses jambes. Elle s'essuya et tira la chasse, jeta son linge dans le panier, se lava les mains et se résolut à donner de la pâtée à Gibbs avant de se laisser retomber mollement sur le clic-clac. Quelque chose bourdonna et ce n'était pas dans sa tête. Qu'est-ce... ah le téléphone ! Son portable vibrait sur la table basse, texto de Sophie : Kaye, tu t'es endormie alors jsuis rentrée. Jpace avt ke tu partes. URE ZE BEST ! Ta blackos. Trop flemmarde pour bien répondre, elle envoya juste Ok biz, et tenta de retrouver le sommeil. Trop Tard. Il était passé. Après avoir tourné en rond pendant cinq minutes, elle alluma la télé qui était sur une chaîne musicale. Parfait. Elle resta allongée, fixant l'écran comme une demeurée.

            Une heure et des calinous à Gibbs plus tard, elle décida de prendre une douche. Il fallait s'admettre vaincue : la grasse mat' ce n'était pas pour aujourd'hui. Propre et plus fraîche, elle attaqua sa valise. Pour ne rien oublier elle avait fait une liste : cinq ensemble culotte et soutien-gorge, deux paires de chaussettes au cas où, trois robes, deux jupes, cinq tops, deux shorts et les incontournables tenues de soirée, trois différentes. Elle porterait sur elle le seul pantalon qu'elle emmènerait. Elle ajouta une nuisette, deux maillots de bain achetés la semaine passée – dont un trop sexy mais elle s'était laissée convaincre par Sophie- une serviette de plage, un chapeau, crème solaire. Si le soleil parisien avait un peu doré ses bras et décolleté, on ne pouvait pas en dire autant du reste. Elle se faisait penser à un poulet déplumé, il devenait urgent d'y remédier. Quoi d'autre ? Ses affaires de toilette, du maquillage, quelques bijoux, son appareil photo waterproof avec son câble et chargeur, le chargeur de secours de son téléphone. Des chaussures bien entendu : tongs, nus pieds, soirée et baskets. Elle hésita à prendre son pc car Lukas en avait un mais il n'aurait pas les sims... Dilemme. Finalement elle le laissa pour éviter de trop faire sa geek. Elle opta pour deux livres à la place, et au pire elle s'en achèterait sur place. Un roman girly et le dernier Chattam qui lui, alla, dans son sac pour lui tenir compagnie dans le train à l'aller. Elle avait acheté une cage pour Gibbs et du feliway.

            Cette fois tout devait y être. Le compte à rebours était lancé !

-2-

            Le jour J était enfin arrivé. Après avoir bataillé avec Gibbs pour le faire entrer dans sa caisse de transport, Emilie s'était fait accompagner à la gare par Sophie. Le train était à 7h45, comme elle aurait un changement à Toulon et plus de quatre heures à tuer, elle avait pris de quoi s'occuper mais aussi se ravitailler. Elle s'était acheté un sac isotherme dans lequel elle avait mis une petite bouteille d'eau pour son chaton et une bouteille d'eau congelée pour elle – ça resterait frais pour quand elle aurait soif, des friandises et une nectarine pour se donner bonne conscience. Elle n'était pas du genre omnubilé par son poids, elle vivait très bien avec ses rondeurs, mais ça ne l'empêchait pas de faire attention. Les excès, quels qu'ils soient, ne sont jamais bons lui disait toujours l'infirmière du collège, cette adage lui était resté en tête. Et puis, même si elle était jolie, il était indéniable que la société ne faisait pas de cadeau ni aux maigres ni aux grosses. Après la limite pour passer d'une catégorie à une autre dépendait de celui qui vous regarde mais elle savait qu'elle n'entrait pas dans la catégorie mannequin et l'avait souvent payé. Des remarques déplacées, des regards mauvais, des refus... Pourtant elle n'était pas grosse, juste un peu ronde. Il y avait aussi sa chevelure : Emilie était rousse. Un orange sombre qui rappelait la couleur des feuilles en automne. En toute sincérité elle adorait ses cheveux aujourd'hui mais à s'entendre appeler poil de carotte ou de boule puante juste parce qu'elle était rousse, ça n'avait pas toujours été le cas. Les gens, et pas que les gosses, étaient tellement mauvais par moments. Heureusement pas tous, mais un paquet, avouons-le.

            Loin de ces constatations déprimantes, Emilie enlaça une dernière fois sa meilleure amie puis s'installa au siège qu'elle avait réservé côté fenêtre, sourire aux lèvres. Rien ne pourrait l'empêcher d'être heureuse en ce jour. Il n'y eut même pas un voisin de voyage barbant ou à l'hygiène douteuse. Une fois elle était tombée sur une vieille bavarde qui puait la binasse, la totale. Cette fois rien ! Seuls les héros de son roman lui tinrent compagnie. Gibbs dormit jusqu'à Toulon, petit veinard. Il but pas mal mais par chance pas de bêtise dans la cage. Elle arriva à l'heure prévue à la gare de la Seyne – Six Fours où le taxi l'attendait. Timing parfait ! Elle se délecta aussitôt de l'air marin qui vint chatouiller ses narines. Elle avait tellement hâte d'arriver chez Lukas et prendre ses marques avant de sortir. Sophie avait peut-être raison finalement : elle allait s'amuser, même seule.

 Dix minutes plus tard à peine, elle réglait le taxi et récupérait les clés de la maison chez les voisins de Lukas. Un couple de retraités très amicaux qui lui proposèrent de rester déjeuner avec eux. Elle aurait bien dit oui vu qu'elle ne savait pas si son ami avait laissé quelque chose à manger mais dut refuser car Gibbs jouait les fauves et elle se voyait mal le laisser seul à peine débarqué, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il trouverait la caisse et ne battrait pas avec les autres chats. Madame Jeanin, Carole, insista tout de même pour qu'elle emporte une portion de tapenade faite maison, du pain et des fruits du jardin. Elle lui proposa aussi de l'emmener faire des courses vers 17h, après la sieste. Cette idée fit sourire Emilie : peut-être qu'elle en ferait une aussi, mode farniente.

 Après s'être chargée encore plus, elle se rendit enfin chez Lukas. C'était une jolie maison, typique du coin, avec un jardin où trônaient quelques arbres fruitiers, une table avec seulement trois chaises, deux transats et un barbecue. Emilie voyait déjà où elle ferait sa fameuse sieste. Mais d'abord : découvrir l'intérieur. Elle ouvrit la porte principale et un chat gris se faufila entre ses jambes sans même s'intéresser aux nouveaux occupants.

– Bonjour, monsieur Pressé de sortir.

Et il y en avait un autre comme ça. Elle laissa sa valise dans l'entrée et referma la porte avant de poser la cage et ouvrir la grille. Gibbs sortit sans se faire prier et commença la visite en humant l'air. Elle le laissa faire sa petite vie. Sur le miroir du porte manteau se trouvait une note écrite par Lukas, sur un beau papier à lettre. Il avait même mis du parfum ! Sacré Lulu.

« Mes bichettes,

j'appelle ce soir. Faites comme chez vous ! Il y a des choses à finir dans le frigo. Le poisson c'est 3 graines par jour. Les chats : Pims le gris et Kiki le noir,  c'est croquettes le soir. N'oubliez pas d'arroser les plantes. Clés du scooter accroché à droite --->

Voilà le principal. Bisous. Lukas.

Ps : les draps sont propres, n'hésitez pas à faire des folies :) »

 

 Ce ps la fit rire, du Lukas tout craché. Laissant ses affaires en plan, elle remarqua la cuisine ouverte sur sa droite. Son sac à mains et l'isotherme allèrent sur le comptoir. Elle ouvrit les volets pour faire un peu de lumière, en espérant que Gibbs ne décide pas de s'échapper d'office. Elle posa son futur repas sur le plan de travail et continua la visite. La pièce en face, ouverte également : salon – salle à manger. C'est là que se trouvaient les fameux poissons, Gibbs les avait remarquées aussi mais en voyant sa maîtresse il décida de la suivre un peu. Emilie retourna dans le couloir, après la cuisine il y  avait deux chambres, les wc se trouvaient au fond du couloir, à gauche – face aux chambres donc : une immense salle de bain avec douche à jets. Lukas lui avait caché cette merveille. Visite finie. Où était passé Gibbs ? Elle retourna à la cuisine au cas où il aurait trouvé la fenêtre ouverte mais non, il avait seulement trouvé la caisse dans le petit débarras qu'elle n'avait même pas vu au premier coup d'oeil. C'est là que se trouvait la machine à laver et étagères avec quelques bouteilles de vin et réserves. Le chaton la fixa, comme gêné par son arrivée, puis se secoua les pattes avant de venir vers elle en miaulant. Elle reconnut l'appel du ventre. Tant pis pour les habitudes des chats de Lukas, elle chercha les croquettes et en versa une poignée dans la gamelle. Son propre ventre gronda. A son tour de manger.

 Repue, elle sirotait encore un grand verre frais de grenadine, quand elle se souvint qu'elle n'avait pas prévenu Sophie de son arrivée. Hop texto pour dire que le voyage l'avait crevée, qu'elle était là depuis une heure et allait faire une sieste. Elle ajouta que la maison était un petit palace. A ses yeux en tout cas. Sophie répondit aussitôt et lui demanda ce qu'elle allait faire après avoir dormi comme une vieille. Des courses, avec une vieille. Sa vanne la fit rire toute seule et son rire attira Gibbs qui avait découvert la fenêtre ouverte. Sauf qu'il avait peur de sauter et miaula pour qu'elle vienne le chercher. Elle le déposa dans le jardin, chose qu'il ne connaissait pas. Pas si téméraire il resta près d'elle sur le deuxième transat. Elle n'aurait peut-être pas à craindre qu'il se fasse la malle tout compte fait. Son portable indiqua un autre message, Sophie devait penser qu'il n'y avait qu'elle pour tomber direct sur des vieux. Elle s'attendait donc à se faire vanner mais non, c'était facebook en fait. Message de Céline. Surprise, elle avait presque oublié qu'elle l'avait ajoutée jeudi soir. Se recalant dans le transat, elle commença à discuter avec elle.

  Après tout ce temps, elles en avaient des choses à se raconter. Elle apprit que son ancienne copine de lycée faisait des études d'architecte. Qui l'eut cru ? Elle était plus branchée shopping et esthétique. Ses parents avaient dû l'orienter vivement ; dans les souvenirs d'Emilie ils étaient de parfaits bobo superficiels, matérialistes et tout ce qui va avec. Bon, l'important, c'est que ça plaisait à Céline. Elle en parlait avec enthousiasme, contrairement à elle lorsqu'elle avoua avoir lâché la fac de lettres pour finir hôtesse polyvalente. Le truc qui voulait tout dire et rien dire. Mais bilingue, s'il vous plaît. Qu'on ne lui retire pas le peu de glam qu'offrait son emploi. Céline plaisanta en disant qu'elle l'embaucherait comme assistante lorsqu'elle aurait son cabinet. Emilie ne rechigna pas, elle se montra même enjouée à cette idée, mais honnêtement à voir. Pas certaine que bosser pour une copine ça le fasse. Surtout si Céline était toujours capricieuse, à vouloir qu'on fasse tout à sa place. Enfin, elles n'en étaient pas là. Et pourquoi fallait-il que seuls les mauvais souvenirs lui reviennent ? Elle s'en voulut de ne penser qu'à ça et se força à se détendre pour le reste de la conversation au lieu de rester sur la réserve comme une espèce de mégère.

   Vint la question à un million d'euros : et les amours ? Elle se garda d'expliquer comment son ex s'était foutu d'elle et avait piétiné son cœur. Elle avait beau dire que ça n'avait plus d'importance, chaque fois qu'elle repensait à leur histoire, une vague de colère mélangé à une certaine honte l'envahissait. Elle avait laissé cet idiot profiter d'elle. Pourquoi ? Juste pour se sentir aimer. Qu'elle croyait du moins car il avait très bien joué la comédie. Elle le détestait et elle se sentait tellement idiote. Impossible de dire ça à quelqu'un qu'on vient de retrouver. Elle opta pour une réponse bateau, disant avoir rompu il y a quelques mois puis elle ajouta qu'elle ne s'en portait pas plus mal. Quelle idiote ! C'était une fois qu'elle avait envoyé sa réponse qu'elle réalisa que ça faisait très nana désemparée. Céline lui dit qu'elles passaient toutes par là et ajouta qu'elle avait plein de beaux partis à lui présenter. Au moins n'insistait elle pas comme elle aurait pu le faire avant, Emilie lui en fut silencieusement reconnaissante.

–      A la rentrée, sans problème.

– Ah oui, tu es en vacances ! J'ai vu ça sur ton statut. T'es où d'ailleurs ?

– Six Fours les plages, je ne sais pas si tu connais.

–  Tu plaisantes ?! C'est énorme ! Donne moi ton numéro, j'en ai marre d'écrire, ce sera plus simple.

Pourquoi était ce énorme ? Sans chercher plus Emilie lui envoya son numéro. Elle aurait la réponse dans quelques secondes. Ce qu'elle ignorait à ce moment, c'est que tout ce qui se passait depuis deux jours la poussait vers celui qui changerait sa vie...

-3-

 Deux jours qu'elle était là, elle avait l'impression d'y avoir toujours vécu. Elle ne pensait pas à Paris, elle avait même dit à Sophie qu'elle n'avait déjà plus envie de repartir. L'effet vacances devait y être pour beaucoup mais c'était tellement bien. Calme sans être mort, les gens étaient moins speed que dans la capitale, la mer était à dix minutes en scooter... Même Gibbs s'éclatait. Il avait fait copains avec les deux chats, malgré des crachats le premier jour, et il passait la plupart de son temps dans le jardin. Carole avait emmené Emilie en courses comme prévu et en avait profité pour lui faire un topo sur les endroits à la mode pour les jeunes d'après son petit-fils ainsi que les trucs sympa à faire, surtout pour les touristes. C'est d'ailleurs comme ça que ce soir elle se retrouvait au marché nocturne de la Seyne sur mer. Ses cheveux étaient encore mouillés par la douche prise en revenant de la plage, elle portait un top rose sur sa jupe en jean et des nus pieds. Juste un peu de mascara et du gloss car d'après Sophie on ne sait jamais sur qui on va tomber. Rien de plus car elle avait un beau teint grâce au soleil. Même le reste de son corps avait déjà commencé à présenter des signes de bronzage. Dans trois semaines elle serait méconnaissable !

 Flânant entre les stands, elle ne cherchait rien en particulier mais avait bien envie de se laisser tenter par quelque chose. Une babiole ou une spécialité du coin. Ou pas, parce que pour être honnête, elle ne connaissait rien de la région et ne savait pas si la liqueur de coquelicot était représentative du coin. Elle se laissa tout de même tenter après avoir gouté. En plus la couleur rose fluo, ça lui plaisait. Ce n'était pas donné mais c'était le jeu. Elle continua son tour et se retrouva devant les étales en bord de plage. Avec le soleil qui descendait sur la mer, le spectacle était magnifique. Son cœur se serra un instant à penser qu'elle serait encore mieux avec un amoureux... Elle n'eut pas le temps de bader qu'elle percuta quelqu'un. Pas fort heureusement mais ça ne l'empêcha pas de rougir. Il s'excusa aussitôt.

– Non, c'est ma faute. Je ne regardais pas où j'allais...

  Levant enfin les yeux sur lui, elle eut l'impression de se prendre une décharge. Du genre qui vous traverse de la tête aux pieds en passant par l'échine, dressant chacun de vos poils, vous donnant à la fois chaud et froid. Ils restèrent quelques secondes sans rien dire avant de sourire, gêné. Machinalement elle replaça une de ses mèches derrière son oreille et se sentit revenir sept ans en arrière, comme une adolescente. Elle avait l'intention de parler, il fallait qu'elle dise quelque chose mais aucun son ne voulait sortir de sa bouche. Il allait partir c'était sûr, et elle n'aurait rien tenté pour le retenir. Sophie allait la tuer. Il était tellement beau... trop pour être vrai. Trop pour la fixer comme il le faisait. Son regard était incandescent sur sa peau, elle en perdait tous ses moyens. Elle cherchait en vain une un truc à dire mais impossible de réfléchir. Elle ne pensait qu'à détailler son visage. Châtain, cheveux courts mais pas trop, juste ce qu'il fallait pour pouvoir encore y passer ses doigts... des yeux noisettes qui lui donnaient l'impression de briller comme des étoiles, une barbe parfaitement taillée, un sourire à tomber... Mâchoire relativement carrée, il dégageait quelque chose d'animal et de rassurant en même temps. Quelqu'un débarqua, brisant l'instant magique. Un type lui adressa un bonsoir rapide, avant de s'adresser à son bel inconnu.

–  Viens me donner ton avis, mec.

 Sans lui demander son reste il avança vers un autre stand et « mec »lui adressa un dernier sourire et s'excusa à nouveau. Emilie soupira en le regardant s'éloigner, remarquant par la même occasion qu'il était grand et bien bâti. Parfait jusqu'au bout des ongles ou quoi ? S'il se retournait, c'est qu'il avait ressenti comme elle. Un... deux... L'inconnu jeta un coup d'oeil dans sa direction et elle se sentit rougir jusqu'aux oreilles. Elle regarda ailleurs en se mordant la lèvre inférieure. Elle ne savait pas comment mais il faudrait qu'elle l'approche. Cherchant frénétiquement dans son sac à main, elle sortit son portable et téléphona à sa meilleure conseillère : Sophie. Elle s'éloigna des stands pour se poser dans le sable. De loin elle vit son coup de foudre quitter le marché entouré de plusieurs amis pour se rendre au bar de la plage. Elle aurait l'air idiot d'y aller seule, non ?

– Sophie, décroche bordel...

Emilie dut insister, trois appels avant que Sophie ne réponde. Elle avait l'air un peu hors d'haleine. Sûrement qu'Em la dérangeait dans un moment intime mais tant pis.

–  Kaye, qu'est-ce qui t'arrive ?

–  Ah enfin ! Désolée si j'interromps quelque chose mais y'a urgence.

–   Oui... mais dis moi tout !

–  J'ai rencontré un mec. Enfin, pas vraiment. Je veux dire, on s'est rentré dedans il y a quelques minutes. Elle se rendait bien compte que son discours décousu devait la faire passer pour une lycéenne pucelle en puissance mais elle savait que Sophie comprendrait l'enjeu.

-  Il t'a parlé ?

-   Non, on s'est juste excusé et avant que j'ai pu en placer une un de ses potes est venu le chercher. Mais il me fixait d'une façon... et il s'est retourné en partant.

– Oh ?!! comme si c'était THE révélation. Il est encore dans le coin ?

–   Je l'ai vu entrer dans un bar avec ses copains.

–  Que des mecs ?

–  Je crois...

– Vas y !

– Mais... je suis toute seule, je vais avoir l'air con. Ils sont plusieurs et...

– On s'en fou, il t'a matée et il s'est retourné, tu lui as tapé dans l'oeil c'est clair !! Alors t'y vas pour lui montrer que t'as bien reçu les signes et là c'est à lui de venir te parler.

–  S'il vient pas ?

–  Arrête de flipper ! T'es belle, t'es en vacances, il t'a kiffé, FONCE ! Et raconte moi tout après.

Emilie se mordilla la lèvre nerveusement, le stress la gagnait. Sophie avait raison : elle devait tenter sinon elle ne saurait jamais. Qu'avait-elle à perdre ? Un peu de dignité ? Personne ne le saurait.

– T'as raison. J'y vais !

–  Déchire tout !

Une voix masculine lui cria merde, le chéri de Sophie n'avait pas perdu une miette visiblement, ce qui la fit rire tandis qu'elle raccrochait. Elle prit une grande inspiration et d'un pas décidé quitta la plage pour se rendre au bar. Il était bondé, allait elle le retrouver ? La verrait-il au moins ? Si elle était au taquet en entrant, là, l'angoisse s'insinuait en elle et elle sentit son estomac se nouer. Les questions qui affluaient dans son esprit n'arrangeaient rien. Comment attirer son attention ? Comment l'aborder ? Et s'il avait rejoint sa petite amie ou s'il avait simplement quelqu'un ? C'était dans des moments comme ça qu'elle l'enviait l'insouciance de sa meilleure amie. Sophie fonçait toujours puis elle réfléchissait. Si seulement elle avait ne serait-ce qu'un tiers de son audace...

 Le bar se solda par un échec. Enfin, pas au sens propre. Elle n'avait pris aucune veste, son coup de cœur n'était tout simplement pas là. Aucune trace de lui ou du copain qu'elle avait vu. Ni à l'intérieur ni sur la terrasse, ni même sur la plage juste en bas. C'était mieux que de se prendre un râteau mais ça ne l'empêcha pas de quitter les lieux, dépitée. Pour une fois qu'elle se lançait. Ils avaient dû aller ailleurs ; elle avait déjà perdu vingt bonnes minutes ici, elle n'allait quand même pas faire tous les rades du quartier. Elle refit tout de même un tour sur le marché, entièrement cette fois mais RAS. Sophie lui téléphona pour avoir des news et fut aussi déçue qu'elle mais plus confiante. Elle lui conseilla de traîner dans le coin le lendemain. Il irait sûrement à la plage et peut être qu'il retournerait au marché pour chercher à la revoir.

–  Peut être pas...

–  Tu es négative, chérie.

–  Ca se trouve je me suis fait des films.

– Je te connais trop pour savoir que non. Elle haussa les épaules même si Sophie ne pouvait voir.

– De toute façon, c'était juste un beau mec comme ça...

–  Bah voyons. Ou le coup de foudre !

–  Je n'y crois pas.

– Ca existe autant que tes histoires d'âmes sœur. Juste que c'est quand tu le reconnais direct. Bref, dans tous les cas, tu peux savoir sans goûter. Emilie pouffa.

– On dirait que toi t'as bien mangé en tout cas. Sophie s'esclaffa.

–  Oh ouiiii ! Je te raconterais demain, il est dans la cuisine là.

–  Ca marche, ma belle. Je vais te laisser de toute façon, faut encore que je rentre.

–  Fais attention à toi. Et fais de beaux rêves !

-  Oui, ça sera toujours ça de pris.

 Et c'est exactement ce qu'elle fit. Elle revécut la collision sur le marché sauf que ça ne s'arrêtait pas là. Dans son rêve elle n'était pas bouche bée comme une idiote, elle lui parlait et il était conquis en moins de deux. Il lâchait ses potes pour faire plus ample connaissance et tout ça se terminait sur la plage, version censurée. Lorsqu'elle se réveilla le lendemain elle n'avait pas envie d'ouvrir les yeux. Elle voulait s'accrocher à ce rêve comme une toxico à sa dernière dose. Et dire qu'elle ne connaissait même pas le prénom de sa drogue. Mais... qu'est-ce qu'il était beau ! Il avait ce truc indescriptible qui la rendait encore toute chose. Une espèce d'aura à la fois douce et virile. Rien que d'y penser, des frissons parcouraient son échine. Elle avait tellement peur d'oublier ses sensations si elle se réveillait complètement, peut-être même de ne plus pouvoir se souvenir de ses traits parfaits, de sa bouche sensuelle et charnue... Elle enfouit sa tête dans l'oreiller et étouffa un cri de frustration. Ce qui attira aussitôt les chats et là, plus moyen de dormir. Il était 9h15 et les fauves avaient faim. Comme toujours.

– Bande d'estomacs sur pattes. Vous ne savez pas ce que je vis.

Il était clair que non et en plus ils n'en avaient rien à faire. Gibbs esquiva son câlin pour sauter du lit et lui faire comprendre ce qu'il attendait vraiment.

Elle passa la matinée à glander dans le jardin en caressant tour à tour ses compagnons poilus. Elle leur parla de son inconnu. Pathétique ? En tout cas il fallait que ça sorte et ils écoutaient sans broncher, même quand elle se répétait.

A midi elle se secoua en se rappelant qu'elle avait rendez-vous avec Céline à 30. Au programme : déjeune et shopping en vue de la soirée que la miss organisait dans la maison de campagne de ses parents à la Seyne sur mer. Pas étonnant qu'elle ait trouvé ça fou quand Emilie lui avait dit être dans la ville d'à côté. Quel pourcentage de chance y avait-il pour qu'elles se retrouvent au même endroit, au même moment ? C'était fou. Tiens, elle connaîtrait peut être son inconnu ? Elle secoua négativement la tête pour elle-même. Elle préférait garder ça pour elle pour le moment, ne sachant pas comment était Céline à l'heure actuelle. Disons qu'elle ne gardait pas un bon souvenir de l'époque où elles discutaient de leurs amourettes.

 12H30 pile, on klaxonnait devant la maison. Emilie attrapa son sac à mains, les clés et ferma. En sortant elle découvrit une belle décapotable noire garée juste devant le petit portail. Une grande blonde aux formes parfaites était appuyée contre la portière. Malgré les lunettes de soleil de marque qui lui mangeaient la moitié du visage, elle reconnut Céline. Ou plutôt parce qu'elles devaient se voir parce qu'honnêtement, croisée dans la rue, elle n'aurait sans doute pas réussi. Céline releva ses lunettes pour les placer sur sa tête et tendit les bras, un immense sourire aux lèvres.

– Emi ! Tu es magnifique ! Je suis tellement heureuse de te voir !

Elle l'attira à elle pour l'enlacer, ce qui surpris la rouquine peu habituée aux élans du genre. Son parfum la submergea en un instant. Une bonne odeur mais très prononcée. Remarquez, un parfum discret ça ne lui aurait pas été.

–  Moi aussi, ça me fait super plaisir. Et... c'est toi qui est superbe.

C'était sincère. Céline avait une plastique de top model. 1M75 environ, mince et légèrement musclée, une poitrine généreuse, un beau visage autour duquel cascadaient ses longs cheveux soyeux. Si elle continuait elle allait se sentir trop mal à côté.

–  J'ai un peu triché, à toi je peux le dire mais chut. Elle lui fit un clin d'oeil complice comme si elles s'étaient quittées la veille sans embrouilles. Emilie était un peu décontenancée. Disons qu'on est toute les deux canons. Allez, monte ! Je n'aime pas être en retard.

–  En retard ?

– Je nous ai réservé une table dans un restau sympa à Sanary.

Pour ça elle lui faisait confiance mais pas son portefeuille. Elle se retint de demander s'ils prenaient les tickets restau.

  Comme elle s'en était doutée, le restaurant n'était pas donné, mais tant pis, une fois n'était pas coutume. Emilie n'était pas prête de pouvoir s'en refaire un de si tôt alors elle profita. Tartare aux deux saumons – label rouge d'Ecosse attention ! - en entrée : un pur délice. Rien à voir avec celui du jap en bas de chez elle. Là, ça fondait sous le palais avant d'exploser en bouche. De quoi penser qu'elle n'avait jamais mangé de ce poisson avant. Ensuite elle partagea le plateau de fruits de mer avec Céline sans oser regarder le prix. C'était tellement bon qu'elle s'en moqua éperdument dès la première bouchée de crabe. La bouteille de vin blanc succulent  termina de lui faire oublier que l'addition serait salée. Sans oublier Céline qui avait des tas de choses à raconter. Elle monopolisait pas mal la conversation mais ça ne dérangeait pas Emilie. Elle préférait entendre les histoires de sa copine plutôt que parler de ses déboires ou de sa vie qui lui paraissait encore plus banale que d'habitude. Vers la fin du repas cependant, prise dans l'élan malgré elle, elle évoqua son ex le salop et Céline déclara que les hommes étaient tous des cons. Quelque chose dans son regard disait qu'elle en avait bavé aussi. Elles se lancèrent alors dans l'énumération des cas sur lesquelles elles étaient tombées tout en s'enfilant un digestif à la place du dessert. Emilie se sentait incapable d'avaler autre chose que du liquide sans exploser. Le serveur déposa l'addition à leur demande, accompagnée d'un macaron chacune et des compliments de la maison. Une expression qui fit rire la non adepte des lieux de la haute. Céline en profita pour récupérer la note et ne lui laisser que la gourmandise rose. La rousse protesta, ce qui n'empêcha absolument pas sa copine de glisser sa carte bleue dans le carnet et le placer à son opposé pour éviter qu'elle ne l'attrape. Elle lui sourit, fière d'elle.

–  Je t'ai invitée, tu te souviens ?

–   Ok mais... ça doit une blinde, murmura-t-elle.

–  T'en fais pas pour ça, c'est rien. On s'en fera un autre que tu choisiras dans tes moyens.

Sur le coup Emilie resta bouche bée. Même si la réalité disait qu'elle n'avait pas le compte en banque d'un ministre, son égo venait d'en prendre un coup. Le remarquant, Céline s'empressa d'ajouter :

–  Je ne disais pas ça pour te vexer. J'avais envie de te faire plaisir et je ne veux pas que tu te sentes redevable ou quoi. Excuse-moi.

Elle posa sa main sur celle d'Emilie avec un sourire gêné, cette fois. Em soupira et retrouva sa bonne humeur. Chacun devait faire avec ses moyens après tout. Ce n'était pas comme si Céline avait cherché à la rabaisser, elle avait juste été maladroite.

– Il n'y a pas de mal. Merci en tout cas. J'avoue je n'ai jamais aussi bien mangé.

– Parfait alors ! J'espère que t'as encore la forme pour faire les magasins.

–    Je devrais pouvoir me traîner.

–   Je te pousserais au pire. Tu sais, je te verrais bien en infirmière sexy. C'est classique mais ça fait toujours son effet.

Emilie qui avait craqué pour le macaron manqua de s'étouffer.

–   De quoi tu parles ?

–  La soirée de demain... Mince, je ne t'ai pas dit ? C'est à thème : les fantasmes.

–  Rassure moi, c'est pas une soirée libertine ou échangiste parce que sincèrement c'est pas mon truc. Céline éclata de rire.

– Non, non ! C'est juste des déguisements, sinon ce sera une soirée standard.

Malicieuse, elle sourit en voyant la mine inquiète d'Emilie et avala d'une bouchée son gâteau. Cette dernière se demandait vraiment dans quoi elle s'était embarquée. 

    Céline les conduisit dans une boutique spécialisée dans les déguisements, dans une ville du coin. Elle-même n'avait pas encore sa tenue, ce qui en un sens rassura Emilie. L'idée de s'habiller sexy et éveiller les sens des hommes à une soirée où elle ne connaîtrait personne n'était pas pour la mettre à l'aise. Sur le chemin elle avait harcelé sa copine de questions pour être sûre de ne pas être entraînée dans un guet apens douteux. Elle lui jura qu'il n'y avait rien de suspect. Il y aurait de la musique, plusieurs buffet, une déco un peu dans le style playboy mais rien de plus.

–  Après si le thème donne des idées à certains, je ne réponds pas de leurs actes ! Emilie ouvrit de grands yeux. Je te fais marcher ! C'est fou ce que t'es devenue coincée, ma parole.

–  Non c'est pas ça, se défendit Emilie. Elle ne s'était jamais considérée comme coincée mais là elle se posait la question. Juste que je n'ai pas l'habitude. Les seules soirées à thème que j'ai pu faire c'est genre années 70s et compagnie.

– Un peu de folie, ça ne fait pas de mal. Encore, dis toi, que j'avais hésité avec putes et religieux, mais une amie a déjà fait une soirée dans le même genre il y a deux mois.

–  T'es sérieuse ?

–  Oui, on adore trouver des thèmes loufoques.

–   Je vois ça...

La vendeuse arriva juste à ce moment-là pour proposer son aide. Sauvée par le gong ! Ou pas. Céline lui expliqua ce dont elles avaient besoin ce qui enthousiasma la quarantenaire au front trop lisse. Elle ne devait pas avoir l'habitude de telles demandes ou tout le contraire. Franchement, est ce qu'Emilie était trop sérieuse ? Discrètement elle envoya un texto à Sophie pour lui dire. Pour toute réponse elle reçut un : énormeeeee !!! Ce qui voulait dire que oui, elle devait apprendre à se lâcher. Respirant un bon coup, elle rejoignit Céline et la vendeuse dans une autre allée de vêtements. Il y en avait partout, en haut en bas, de tout genre. C'était une vraie caverne d'Ali Baba. Un mélange de friperies et déguisements en fait. Rapidement, elle se laissa aller et cette partie shopping s'avéra très drôle. Les filles essayèrent toutes sortes de tenue, des plus ridicules aux plus outrageantes, en se moquant l'une de l'autre ou s'envoyant des roses. Des tas photo furent prises mais elles se firent la promesse mutuelle de choisir ensemble celles qui finiraient sur la toile. Au final, Céline opta pour une tenue qui ressemblait fort à celle de Catwoman, tout en latex, elle était divine dedans et Emilie pour la tenue de soubrette très sexy. Ce n'était pas aussi phénoménal mais c'était déjà bien assez court et décolleté. Elle s'était aussi acheter une robe seventies à grosses fleurs jaunes et roses fluo, qui arrivait à mi cuisses, non pour la soirée mais parce qu'elle avait craqué dessus.

  Céline la ramena chez Lukas vers 16h car elle avait encore plein de choses à régler. Ca convenait parfaitement à Emilie qui n'avait pas oublier son bel inconnu malgré sa folle journée. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle avait enfilé son maillot de bain le plus sexy, pris ses affaires playa et hop elle était sur le scooter direction la plage de la Seyne.

Malheureusement ça ne donna rien. Elle ne profita même pas de l'eau puisqu'elle zyeutait tous ceux qui longeaient la plage ou qui étaient sur celle-ci, dans son champs de vision. Vers 19h30 elle se paya une salade à la terrasse du fameux bar, avec vue sur l'entrée du marché mais là encore rien. Heureusement elle passa un bout de temps au téléphone avec Sophie pour lui raconter tous les détails de la vieille ainsi que ses retrouvailles avec Céline. Mais à 21h elle n'en pouvait plus de rester là. Elle décida de faire un tour sur le marché mais tout espoir de le voir l'avait quittée. Au moins trouva-t-elle des bas résilles pour aller avec sa tenue, ainsi qu'un shorty parce qu'elle n'avait pas l'intention de faire profiter de ses fesses à toute l'assemblée.

  Lorsqu'elle rentra même les câlins des chats ne parvinrent à la faire sourire. Elle avait beau se dire que c'était une réaction ridicule, elle se sentait triste. La journée avait démarré sur les chapeaux de roues pour finir dans le silence et l'ennui. Une fois de plus. Pourquoi est-ce qu'elle ne pouvait pas avoir un peu de chance pour une fois ? Elle se coucha avec cette douloureuse impression de solitude qui étreignait son cœur trop souvent. Et sa playlist de slows ne l'atténua pas.

-4-


La soirée commençait à 20heures mais sur les recommandations de Sophie, Emilie n'arriva qu'après la demie. Elle se sentait un peu mal de faire ça mais selon sa meilleure amie 21heures aurait été encore mieux car ça laissait le temps à l'ambiance de s'installer et, dixit : il faut savoir se faire désirer. Vrai ou faux, lorsqu'elle arriva grâce au GPS de son téléphone, il y avait déjà foule. La rue était envahie de véhicules, tout comme l'allée de la propriété. La musique n'était pas encore à fond et pourtant elle s'entendait de loin. Il fallait croire que Sophie avait raison. Elle s'engagea pour passer le portail et fut arrêtée par un voiturier. Céline avait tout prévu ! Décontenancée, elle lui laissa finalement le scooter, la clé et le casque voyant qu'un autre invité faisait pareil. En échange elle reçut un petit carton avec un numéro, qu'elle rangea dans sa sacoche. Voilà, elle y était, maintenant il fallait se lancer.

  Elle retira son blouson, dévoilant sa tenue de soubrette. Une fraction de seconde elle paniqua à l'idée d'être la seule déguisée, comme si Céline aurait pu lui faire un vilain tour mais non : un couple marchait devant elle, la femme était en fliquette tirant sur la prostituée et l'homme en militaire sans chemise. Et lorsqu'elle entra elle découvrit que sa tenue était loin d'être la plus osée. L'envie de faire demi-tour l'assaillit l'espace d'un instant. Il y avait tellement de monde, c'était comme aller en boîte de nuit seule, et elle ne se sentait pas à l'aise perchée sur ses talons avec une jupe qui dévoilerait ses fesses si elle n'avait pas mis de boxer. Elle imagina Sophie, ou même Céline, la traiter de coincée et pris son courage à deux mains. Une hôtesse sexy mais réelle vint à sa rencontre et lui proposa de prendre sa veste pour les laisser aux vestiaires. Ca changeait de ses soirées où on jetait tout en vrac sur le lit et qu'il fallait ensuite fouiller sous le mec bourré qui s'était endormi dessus. Avant qu'elle ne puisse répondre, elle entendit la voix de Céline. Elle s'excusa auprès de l'hôtesse, promettant de revenir dans un instant et chercha son hôte avant qu'elle ne disparaisse.

–  Céline ! Catwoman se tourna vers elle avec un grand sourire.

– Ma chérie ! J'ai cru que tu allais me planter.

–  Désolée, je me suis un peu perdue.

Un mensonge mais la grande blonde ne releva pas. Elle passa son bras autour de son épaule et allait l'entraîner vers la salle où tout le monde s'engouffrait quand elle remarqua son blouson.

–  Laisse donc ça, t'en auras pas besoin ce soir.

Elle fit signe à l'hôtesse qui vint récupérer le vêtement et du coup Emilie laissa aussi son sac pour ne pas être encombrée inutilement. Cette fois elle reçut un tampon avec un numéro sur le poignet. Céline lui expliqua que c'était mieux que les tickets qu'on perd toujours et que ça partirait avec du dissolvant donc elle pouvait se baigner sans crainte. Ah ? Une baignade était prévue ? Elle n'avait pas pensé à ça.

–  Maintenant, suis moi ! J'ai du monde à te présenter.

             Emilie la suivit dans ce qu'on pouvait appeler une salle de réception. Elle s'émerveillait sur la demeure et la décoration pour la soirée. Céline leur attrapa deux coupes de champagne chacune sur le plateau d'un serveur et elles trinquèrent à leurs retrouvailles. Le champagne était très bon, comme le saumon du restaurant il n'avait rien à voir avec ceux qu'elle avait pu boire jusque-là. A peine une gorgée et elle sentit sa tête tourner. Pas vraiment à cause de l'alcool, il en fallait quand même plus pour la saouler. C'était plus l'excitation d'être dans un tel endroit, une telle soirée. Elle avait l'impression d'avoir été propulsée dans une série américaine. Ses craintes s'étaient envolées et elle était prête à profiter pleinement de la soirée. Versatile ? Peureuse surtout. Dès qu'elle ne contrôlait rien, elle flippait. Ces vacances étaient décidément un bon exercice.

   Céline lui présenta plusieurs personnes, une dizaine à peu près, mais Emilie n'avait pas retenu la moitié des prénoms – plus concentrée sur certains déguisements. Un des types lui fit du rentre dedans sans ménagements, elle ne répondit même pas et fit de grands yeux à sa copine pour qu'elles passent à quelqu'un d'autre.

–  Ne fais pas attention, il est lourd mais pas méchant. Je... Oh excuse moi ! Il faut que j'aille voir les nouveaux arrivants. Fais comme chez toi, éclate toi ! On se revoit tout à l'heure.

  Pas le temps de protester, Céline était déjà partie. Le relou lui fit un sourire mais elle tourna les talons comme si elle ne l'avait pas vu. Cette fois elle était comme lancée dans l'arène. Elle troqua sa coupe de champagne vide pour une, déjà, troisième et fit un peu le tour de la salle. Les invités discutaient, certains dansaient au milieu ou sur la terrasse. Pour l'instant la musique ne la tentait pas trop alors elle se dirigea vers le buffet pour ne pas rester le ventre vide. Les petits fours avaient l'air tous plus bons les uns que les autres, elle dut contenir sa gourmandise pour ne pas s'empiffrer.

–   Emilie ?

Elle sursauta comme si elle avait été prise à faire une bêtise. Pourvu que ce ne soit pas le type en docteur qui la draguait comme un naze. Bouche à moitié pleine, elle se tourna et dévisagea le jeune homme en face d'elle plusieurs secondes avant d'écarquiller ses grands yeux verts.

-  Gabriel ?!

Il sourit. La dernière fois qu'elle l'avait vu il entrait à peine dans l'adolescence, avec acné, appareil dentaire et compagnie. Là, c'était difficile à croire qu'il avait eu un âge ingrat. Il avait poussé comme un champignon, il était hyper bien foutu – surtout dans cette tenue de pompier en chaleur, et bourré de charme même s'il avait encore une bouille de bébé. Il se pencha pour lui faire la bise, il sentait bon en prime.

-     Comment ça va ? Ca te fait quel âge maintenant ?

-     Dix neuf. Et ça va, merci. T'as changé toi aussi.

-     Oh... en bien j'espère.

-     Pour sûr. Sans se gêner, il laissa son regard s'attarder sur son décolleté. Il était loin le gamin timide.

-     Alors, erm... tu passes les vacances avec ta sœur ?

-     Je reste qu'une semaine après je me barre en Espagne.

-     Veinard !

-     C'est pas si loin. Ma sœur m'a dit que t'étais seule, si ça te dit de bouger je te trouverais bien une place. Seule ? Ici ou dans la vie ? La question lui brûla les lèvres mais elle se retint. 

-     C'est gentil, j'y penserais. Ou tu changeras d'avis, je suis peut être devenue chiante.

-     Ca peut pas être pire qu'avant.  Il se mit à rire et elle le frappa à l'épaule.

-     Sale gosse. Tu es à la fac, alors ?

-     Je vais entrer dans une école d'informatique.

-     Ah oui ? Pour faire quoi ?

-     J'sais pas trop encore, on verra bien. J'ai le temps. En attendant mes vieux me foutent la paix.

Il ajouta un clin d'oeil. Elle se rappelait bien de lui en mode glandeur, toujours enfermé dans sa chambre devant ses jeux vidéos. Une fois il l'avait laissée tester une partie, elle avait failli faire tuer son personnage et il avait vite proposé autre chose. Céline avait d'ailleurs piqué une petite crise de jalousie, car il ne voulait jamais qu'elle touche à son jeu.

-   Je t'offre un autre verre ? Elle regarda sa coupe, quasi vide. Elle avait une bonne descente ce soir, fallait qu'elle se calme. Plus tard.

-  Avec plaisir.

Elle prit un canapé avec une crevette et le suivit jusqu'à l'un des bars. Il demanda une coupe pour elle et se prit un whisky. Elle ne put s'empêcher de se demander si c'était pour jouer les mecs virils ou s'il avait l'habitude d'en boire maintenant. Dix neuf ans... C'était jeune !

             Et c'est toujours ce qu'elle pensait lorsqu'ils dansèrent ensemble après vingt minutes de parlotte. Par moments il paraissait mature et à d'autres pas tant que ça. Ca ne l'empêchait pas d'être sympa et même drôle. Sa compagnie était agréable. En plus il lui faisait beaucoup de compliments et elle se demanda plusieurs fois s'il n'était pas en train de la dragouiller. Encore plus quand il se rapprocha dangereusement pour danser. Il était attirant sauf que, de un c'était le frère de Céline : délicat donc, et deuxio : parce que même si elle voulait l'oublier, son inconnu la hantait. Sophie lui dirait qu'elle se cherchait des excuses pour ne pas oser, qu'elle n'était qu'une flippette. Sans doute car lorsqu'il posa une main sur sa taille, elle ne sut plus où se mettre. Elle se laissa quand même faire et la cuisse qu'il glissa entre ses jambes pour la pseudo lambada lui donna un coup de chaud. Il se pencha vers elle et elle pria pour qu'il n'essaie pas de l'embrasser.

Tu sens trop bon... Ouf ! Ca donne envie de te manger. Rire nerveux.

-  Gabriel... à quoi tu joues ?

-  Je joue pas. Tu sais, t'étais mon gros fantasme à l'époque.

-  Je le suis plus ? Non mais pourquoi avait-elle posé cette question ? C'était comme une invitation. Il se redressa un peu pour la regarder.

-  Si, encore plus. Surtout habillée comme ça.

-  Le contraire m'aurait étonnée, tiens !

-   Et moi ?

Toi ?... je veux pas te vexer mais t'étais pas mon genre. Ca le fit rire.

-  Sérieux ? T'étais pas fan de mon look ado boutonneux ?

-  Pas vraiment non.

-   Snif. Et maintenant ? Elle lui sourit et se mit sur la pointe des pieds car malgré ses talons il était toujours immense.

Maintenant il faut que j'aille aux toilettes.

-  Nooooonnnn. Tout sourire : tu me mets un vent là.

   Elle ne répondit pas, le laissant croire ce qu'il voulait. A dire vrai elle ne savait pas quoi faire et ne voulait pas que ça se fasse en un claquement de doigts si ça devait arriver. Avec un air malicieux elle lui faussa compagnie et chercha réellement les WC parce que mine de rien, elle avait envie !

 Il lui fallut cinq minutes pour les trouver et presque autant pour y avoir accès. On lui indiqua qu'il y en avait d'autres à l'étage mais elle avait trop peur de se perdre tant cette maison ressemblait à un labyrinthe. Soulagée, elle sortit et s'assura que Gabriel n'était pas dans le coin pour un guet apens. Il lui fallait un peu d'air. Au sens propre et figuré. Elle passa en vitesse dans la salle de réception et se trouva sur la terrasse mais il y avait encore trop de monde. Elle aperçut la piscine en contre bas et descendit les marches qui menaient au jardin. Un couple s'embrassait fiévreusement sur la pelouse, elle tâcha de ne pas les déranger et avança rapidement vers la piscine. Rien à voir avec celles en plastique, c'était une vraie, dans le sol, à l'image de la maison : immense. Il y avait même un plongeoir et un toboggan. A la surface de l'eau flottaient une multitude de boules argentées. C'était un spectacle agréable avec la lumière bleutée des néons sous l'eau qui venaient se refléter dessus. Emilie se sentit apaisée ; la musique était moins forte ici, les conversations des invités se transformaient peu à peu en bruit de fond et il faisait relativement sombre. Elle se laisserait bien tenter par un plongeon.

  Un mouvement sur sa droite la fit sursauter. Dans la pénombre se dessinait la silhouette d'un homme, plus précisément d'un gladiateur. Spartiates, jupette, épaulettes et une espèce de sangle qui barrait son torse musclé. Ca portait certainement un autre nom mais elle n'était pas experte en la matière. L'homme fit un pas de plus, dévoilant son visage.

-  Je ne voulais pas vous faire peur.

Incapable de répondre de peur que se trahir, Emilie chercha d'abord à arracher son regard du sien. Ce fut encore plus difficile lorsqu'il sourit. Dire qu'elle avait essayé de se convaincre qu'il n'était pas si beau. En fait, il était pire. Il s'approcha encore un peu. Elle eut peur que son cœur lâche.

-  On s'est croisé sur le marché, non ?

OH - MON - DIEU, il la reconnaissait. Elle faillit laisser échapper un cri de victoire. Maîtrisant avec peine les tremblements dans sa voix, elle parvint à articuler quelques mots.

-   Oui, je ne vous avais pas reconnu sur le coup. *Menteuse*. Il rit.

-  Avec le costume, je comprends.

Le costume ! Elle ferma les yeux deux secondes avant de sentir ses joues s'embraser. Elle avait enfin retrouvé son inconnu et voilà qu'elle était habillée en soubrette de film porno. Heureusement qu'elle n'avait pas forcé sur le maquillage, ça sauvait un peu la donne. Enfin, voyons le positif : il n'avait pas fuit et ne l'avait pas non plus dévisagée d'un air dégouté. Peut-être même qu'il s'était rincé l'oeil comme elle. Elle finit par sourire.

-  Oui, on peut dire que c'est drôle de se croiser comme ça.

-  Un heureux hasard en tout cas. De se revoir. Cette fois ce fut à elle de rire en voyant son air contrit. Il se massa la nuque, c'était craquant. Puis il lui tendit l'autre main. Reprenons. Enchanté, je m'appelle Elias.

-   Enchantée, Emilie.

  Sa main était chaude et douce. Emilie fut aussitôt envahie par une vague de frissons impossible à dissimuler. S'il l'avait remarqué il fut assez gentleman pour ne rien laisser paraître. A regret elle le laissa libérer sa main.

-  Vous êtes du coin ?

Non, juste en vacances et vous ?

-  De même. Première fois que je viens, ça me plait beaucoup et ça change totalement de Paris.

-  A qui le dîte- vous.

-  Paris également ? Elle hocha la tête en guise de oui. Dire qu'on aurait pu se croiser là-bas des milliers de fois. Y avait-il une pointe de déception dans sa voix ou l'avait-elle rêvé ?

Le Destin est curieux parfois.

-  C'est vrai.

Mais l'important était de s'être rencontrés. Elle n'osa pas le dire à haute voix et il n'ajouta rien. Il ne la quittait pas des yeux et elle se sentait captive de son regard brûlant. Aucun homme ne l'avait regardée ainsi, s'en était presque indécent. Il n'y avait rien de pervers pourtant, juste que c'était intense, troublant, intime même. Comme si ça allait au-delà du physique.

 L'arrivée d'un couple qui se courrait après brisa le lien qui s'établissait silencieusement entre eux. Emilie les maudit en silence.

Vous comptiez vous baigner ?

J'hésitais. Au moins tremper mes pieds. Je n'ai pas trop l'habitude de ces bas. Il eut un regard furtif vers ses jambes et elle eut peur qu'il réalise qu'elle avait l'air d'un saucisson.

Pareil avec ses chaussures. On devrait en profiter avant que la foule ne se jette à l'eau.

  Ni une ni deux, il retira ses spartiates et Emilie ses résilles. L'affaire ne fut pas mince compte tenu du champagne avalé. En cherchant à être le moins ridicule possible, elle perdit l'équilibre et Elias la rattrapa à temps avant qu'elle ne tombe en arrière dans la piscine. Il l'attira à lui, peut-être un peu trop fort puisqu'elle se retrouva collée à lui, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Ses mains d'homme se posèrent sur ta taille, tandis que la poitrine de la jeune femme buta contre son torse parfaitement sculpté. Son parfum la frappa de plein fouet. Raffiné, délicat, sensuel, avec des notes boisées... En accord total avec celui qui le portait. Il l'enivra encore plus que l'alcool. Lorsqu'elle releva son visage vers lui, le temps fut suspendu à nouveau. Elle avait une folle envie de s'abandonner dans ses bras.

Je ne t'ai pas fait mal ?  Son ton était bas, sa voix suave. Elle ne remarqua même pas qu'ils étaient passés au tutoiement.

Non...

Tout son être hurlait embrasse-moi, possède moi. Sa respiration s'était accélérée et elle sentait bien, si proche de lui, que la sienne aussi. Sauf que... rien ne se passait.

Elle aurait été vexée si elle n'avait pas remarqué son hésitation. Pourquoi ? Voulait-il faire durer le plaisir ? Manquait-il de confiance en lui, toujours en proie aux doutes comme elle ? Il retira délicatement ses mains et l'aida à s'asseoir avant de prendre place à ses côtés, si près que leurs peaux s'effleuraient par instant. Heureusement l'eau calma un peu Emilie qui se sentait comme un volcan au bord au bord de l'éruption.

Au fait, pourquoi t'étais caché ?

-Caché ?

-  A l'écart si tu préfères.

Oh. Trop de monde, trop de bruit. Au bout d'un moment j'ai eu la tête comme une pastèque.

Je comprends. C'est ma première soirée, comment dire : mondaine ?

-  On peut dire ça, je suppose. Et ça te plait ?

-  Pas évident car je ne connais que deux personnes mais c'est sympa. J'ai jamais eu de champagne à volonté avant.

Attention de ne pas en abuser. Il lui souriait encore et chaque fois son cœur manquait un battement.

Je fais une pause là. Mais, c'est moi ou le thème en désinhibe quelques uns ? Ca c'était pour

le couple qui maintenant se bécotait lascivement contre un arbre.

-  Et encore, minuit n'a pas sonné. Elle le regarda surprise.

-  Comment ça ? Céline m'a promis que ce n'était pas une soirée libertine. Il s'amusa de son innocence.

Ce n'en est pas une mais certains prennent quand même des libertés comme tu vois.

Hum... Alors je m'enfuirais comme Cendrillon. J'ai la bonne tenue, en prime. Il rit et elle s'attarda un peu trop sur ses lèvres.

Je n'espère pas. Cette fois elle lui jeta un regard outré et il se repassa la main sur la nuque. Je me suis mal exprimé. La soirée ne va pas finir en orgie. Il marqua une pause. Je n'en ferais pas partie en tout cas.

-  Tu es sage, toi ? Dit-elle avec un ton de défi involontaire.

Je sais me tenir en public...

Il y avait une lueur de malice dans ses yeux et Emilie saisit le sous-entendu. Elle battit des cils et détourna son regard vers l'eau en agitant doucement ses pieds. Une simple phrase et son esprit repartait à la dérive. Ce mec ne l'avait même pas touchée et il lui faisait plus d'effet que tous ses ex réunis. Elle passa une main dans les cheveux, un geste nerveux et typiquement féminin sans aucun doute. Lorsqu'elle reposa sa main sur le sol, ses doigts entrèrent en contact avec ceux d'Elias, son corps tout entier s'électrisa. Elle bafouilla des excuses avant de décaler sa main. Lui, ne broncha pas, la fixant intensément. Elle aurait payé cher pour savoir ce qu'il se passait dans sa tête.

-   Je...

 Emilie était suspendue à ses lèvres. Il n'eut pas le temps de dire un mot de plus qu'une tornade blonde venait d'arriver à la piscine.

Vous comptiez vous jeter à l'eau sans attendre le coup d'envoi ?

Emilie sursauta en entendant la voix de Céline. Sa copine avait-elle vu qu'elle n'aurait peut-être pas besoin de lui présenter quelqu'un à la rentrée ? Elle se tourna vers elle et la vit entourée d'une dizaine de personnes, toutes avaient l'air un peu – beaucoup - éméchés vu leur démarche. Dans son dos, Elias s'était rapidement relevé. Il lui proposa son aide et elle remarqua qu'il s'était comme raidit. Comment dire ? Il n'avait plus rien à voir avec l'homme d'il y a quoi, trente secondes ? Elle sentait une distance entre eux, comme si le lien était brisé. Que se passait-il tout à coup ? Céline arriva jusqu'à eux, tout sourire.

-   J'aurais dû me douter que je vous trouverais dans un coin.

Comme si elle avait fait une bêtise, Emilie rougit. Démasquée ? Non. Si Céline n'avait rien remarqué, elle non plus n'avait rien vu venir. Ce qu'elle vit la terrassa littéralement. La belle blonde avait passé ses bras autour du cou d'Elias et elle l'embrassait. Pas sur la joue, pas un smack amical, non c'était un vrai baiser, avec la langue et tout !

 Emilie ne savait plus où se mettre et regarda ailleurs. Ses yeux piquèrent et elle refoula ses larmes en se mordant l'intérieur des joues.

-  J'espère que mon Dieu de l'arène a été sympa avec toi ! Elle manquait d'air subitement.

Euh... oui, oui. Elle évita soigneusement de poser les yeux sur le bourreau des cœurs et sourit à Céline. Un sourire qui lui coûtait. Alors il se passe quoi maintenant ? Dans la piscine.

T'as ton portable ? Ca c'était la voix de Gabriel qu'elle n'avait pas remarqué. Il ne portait plus que son bas de pompier et ses yeux brillaient plus que d'accoutumée.

-  Non, j'ai tout laissé aux vestiaires.

  Elle crut bêtement que c'était pour prendre des photos de ce qui était prévu mais pas du tout. Le petit frère lui fonça dessus pour la jeter à l'eau avec lui. Elle eut à peine le temps de pousser un cri de surprise.

  Lorsqu'elle émergea elle fut tiraillée entre le désir de mettre une baffe à Gabriel pour soulager sa frustration et l'envie de rire à défaut de pleurer. Mâchoires crispées, elle se contenta de dégager ses cheveux pour ne pas ressembler à chien mouillé. Parce que seule la petite sirène savait rejeter sa tignasse en arrière avec un air hyper sexy. Pas la réalité, quoi. Ses lentilles de contact n'avaient pas sauté, une chance. Se retrouver complètement myope était la dernière chose dont elle avait besoin ce soir. Gabriel réapparut tout près d'elle, presque collé.

-  T'es encore plus sexy cheveux mouillés... Elle lui envoya une giclée d'eau au visage. Me dis pas que tu boudes !

 Sans un mot elle nagea vers le rebord. Tandis que d'autres sautaient dans la piscine, Céline riait en la regardant. Avait-elle finalement compris qu'il y avait anguille sous roche avec son mec et savourait elle une mini vengeance ? Ou Emilie était-elle juste parano ? Une main se tendit vers elle : Elias, toujours prêt à l'aider visiblement. Elle lui lança un regard noir mais accepta sa main. Cependant ce n'était pas pour qu'il l'aide à sortir. Elle prit appui avec ses pieds contre la paroi et le tira de toutes ses forces vers elle. Il ne s'y attendait pas et plouf ! Un gladiateur à l'eau. Bien fait ! Céline rit de plus belle avant de prendre son élan pour les rejoindre. Emilie n'avait qu'une envie : s'enfuir mais elle était coincée. Et complètement trempée.

             Vers 2h du matin elle parvint à quitter enfin la soirée. Elle avait passé son temps à ignorer au maximum Elias qui avait essayé de lui parler à plusieurs reprises, et tant pis si ça sonnait bizarre. Elle avait aussi laissé Gabriel la draguer en espérant que ça fasse les pieds au premier. D'accord il n'avait rien tenté mais il y avait bien eu quelque chose. Elle n'était pas folle. Ses regards n'avaient rien d'anodin, bordel !

Alors qu'elle allait mettre son casque, des pas précipités dans sa direction détournèrent son attention. Elias. Il n'allait donc pas lui fiche la paix ?

-  Emilie, attends !

-  Quoi ?! Hurla-t-elle plus fort que voulu. Heureusement il n'y avait pas un chat dans l'allée à part le voiturier qui jouait sur son portable.

Je suis désolé. Elle planta son regard dans le sien. Même s'il lui faisait toujours un effet du tonnerre elle ne flancherait pas.

-  Pas autant que moi. Tu m'excuseras mais je suis fatiguée. Elle voulut mettre son casque, il posa une main sur son avant-bras. Sa veste la protégea de l'effet dévastateur de sa peau contre la sienne.

-  C'est compliqué mais... Furieuse, elle repoussa sa main.

-  Y'a rien de compliqué. Tu sors avec ma copine. Je sais pas si ça t'a amusé de jouer de tes charmes...

-   C'est pas du tout ça.

-  Et après ? T'es pris, non ? Il ne répondit pas. Voilà, donc fin de la discussion. Je ne dirais rien si c'est ça qui te fait peur mais que je te vois pas le faire à d'autres.

-  T'y es pas du tout...

Parfait alors. Bonne nuit.

  Elle coupa court en mettant son casque et enfourcha le scooter. Il resta planté là, l'air désemparé. Comédie ou pas, ça lui fit du bien de le voir comme ça. Malgré son air sûr d'elle pendant la dispute, elle se sentait plus bas que terre. La fin de soirée avait été une sorte d'interminable cauchemar éveillé. Elle n'était pas partie pour éviter de vexer Céline ou d'éveiller les soupçons. Du coup elle avait joué la comédie. Certes, Gabriel l'avait fait rire mais le cœur n'y était pas. Chaque fois qu'elle avait vu Céline toucher ou embrasser Elias elle avait eu envie d' hurler.

             Quand elle fut rentrée, elle se jeta sur le lit et se laissa enfin aller à pleurer.

-5-

             Elle n'avait pas fermé les volets en rentrant ce qui fait que le soleil avait fini par la réveiller vers 7heures. Les yeux gonflés et les paupières encore lourdes, elle avait fixé le plafond pendant un temps infini. La soirée passait en boucle dans sa tête. Elle s'en voulait d'être dans un état pareil pour un mec qu'elle ne connaissait même pas. C'est vrai quoi. Elle avait son prénom et après ? Elle ne savait pas ce qu'il faisait dans la vie, s'il avait de la famille, quel était son caractère, ni s'il aimait les chats ou ce genre de détails futiles qui comptaient toujours pour les filles. Non vraiment, elle ne savait rien de lui. A part l'effet qu'il lui faisait, sa façon de la caresser des yeux, de faire accélérer son pouls d'un simple sourire... Elle soupira.

Tu n'es qu'une idiote superficielle. Gibbs ouvrit des yeux plein de sommeil pour la fixer drôlement. Elle tendit la main pour le caresser. T'en as de la chance, mon chat. T'auras jamais ce genre de problème, toi. Pfff... Pourquoi c'est si compliqué ? Pourquoi il est pas célibataire ? Pour... avec Céline, en plus !!

-  Miaowwww.

Il se leva et lui fit un calin tête. Elle n'irait pas loin en discutant avec son chat. Roulant sur le côté, elle attrapa sa sacoche et sortit son portable. 9H13. Elle pouvait tenter. Deux clics et ça sonnait.

T'es déjà debout ?

-  Oh ma Kaye, si tu savais... Je l'ai revu.

-   Oh !? Mais c'est de la balle !

-  Tu parles. Il a quelqu'un.

-  Rien à foutre, tu la connais pas.

-  Si justement. C'est Céline.

-  Ah merde.

   Emilie se lança dans un résumé détaillé de la soirée. Elle n'omit aucun passage, s'étalant pendant de longues minutes sur ses descriptions. A la fin Sophie n'en revenait pas, comme elle, elle ne comprenait pas pourquoi Elias avait flirté tandis que sa petite amie était juste à côté.

-  Soit c'est un chaud lapin de première, soit il a vraiment craqué pour toi.

-  Je sais pas mais... même, il est avec Céline.

-   Peut être que ça bat de l'aile. Tu sais depuis quand ils sont ensemble ? T'as vu s'ils avaient l'air amoureux ?

-  Non et non, j'avais pas envie de savoir ni de réfléchir. Comment je vais faire pour l'oublier ? En plus si je revois Céline y'a des chances qu'il soit là.

-  Attends, pourquoi tu veux l'oublier ?

Bah c'est clair non ?

Tss tsss. Ma kaye, écoute moi bien. Tu le kiffes vraiment ce mec ?

Oui... enfin je crois.

-  Genre tu sens que y'a quelque chose ?

Oui...

-  Alors lâche pas.

-  Mais...

Tu l'as pas vue depuis quand la Céline ? Ca se trouve dans deux semaines vous vous parlerez plus.

Si je lui pique son mec, c'est sur.

Nannn mais s'ils sont pas faits l'un pour l'autre, tu lui rendras service.

-  T'es pas sérieuse ?

-  Si, très. Des fois faut être égoiste.

Tu me fais peur là.

-  C'est pas ton amie et ils sont pas mariés que je sache.

Ok mais on l'a été et là tout va bien.

Elle t'avait même pas dit qu'elle avait un mec. Ca se trouve elle l'a rencontré la veille !

-  Je pense pas...

-  Au pire, tu lui trouves un autre mec.

J'aurais du mal, je connais que son frère.

-  Tu l'as vu avec des potes l'autre jour, y'en aura bien un dans le lot.

-  Et je les rencontre comment ?

Oh tu m'aides pas là. Arrête d'être négative. Emilie soupira. Ou alors tu fais en sorte qu'elle le jette comme ça tu le récupères en douce et elle peut rien dire. Et me sors pas qu'on touche pas aux ex.

Mouais...

-  S'il est pas con il t'aidera.

Tu veux que je lui dise ?

Non ! Mais s'il est un peu intelligent il va pas rester les bras croisés et de lui-même il bougera. Sinon c'est qu'il vaut pas la peine.

–  Oh lala c'est compliqué.... on verra comment ça se passe si je le revois déjà. Sinon, avec ton homme, ça va ?

-  Oh oui, top ! Hier on a été au resto et...

   Chacune son tour de raconter. Pendant une demi-heure Emilie écouta la vie amoureuse de sa meilleure amie. Bien plus heureuse que la sienne et tant mieux. Il en fallait au moins une à qui l'amour sourit. Elles se quittèrent en promettant de se donner des nouvelles très vite. Le téléphone c'était bien mais si seulement Sophie pouvait être là.

 Alors qu'elle se levait enfin pour prendre un petit déjeuner, quelqu'un sonna à la porte. Il lui fallut une dizaine de secondes pour comprendre d'où ça venait. Deuxième sonnerie. Elle sortit de la maison en criant « J'arrive ! ». Peut-être le facteur. Lorsqu'elle ouvrit le portail elle tomba sur Carole dont le sourire fut vite remplacé par une mine surprise.

Bonjour. Je ne te dérange pas, j'espère ?

Non, non. J'allais prendre un thé. Entrez, je vous en prie.

Jolie nuisette. Emilia réalisa alors qu'elle portait toujours sa tenue de soubrette. La honte !

Ah, euh... Je suis allée à une soirée costumée hier. Carole lui sourit tout en la suivant vers la maison. Heureusement que ce n'était pas le facteur.

-  Je voulais te proposer d'aller au marché.

Bonne idée ! Il faut juste que je prenne ma dose de théine pour me réveiller. Que je me change aussi.

Aucun problème. Tu n'as qu'à filer à la douche et je prépare le thé.

-   Non, ça va aller.

-  Ca ne me dérange pas. Je vais m'en faire un aussi comme ça. J'adore les marques que Lukas achète. Elle la poussa doucement pour l'empêcher d'entrer dans la cuisine. Allez, file dans la salle de bain.

-  Je peux...

File, ta tenue me perturbe.

Un mensonge biensûr vu sa tête mais Emilie ne pouvait plus rien faire d'autre que d'obéir. Carole ne lui laissait pas le choix. Remarquez, se faire bichonner un peu, ce ne serait pas de refus.

  Quinze minutes plus tard, elle retrouva la voisine à la table du jardin, Gibbs sur les genoux, essayant de gratter quelque chose à manger comme toujours. En plus du thé, Carole avait préparé des tartines.                                                                                  

 - Vous êtes trop gentille !

Carole devait être une maman attentionnée, comme celle de Sophie. Pas le moment de penser à ça, elle avait bien assez le bourdon comme ça. Emilie s'installa et servit le thé à la menthe qui était au chaud dans la théière. Il était vrai que Lukas avait de bons goûts en la matière. Rien que l'odeur vous faisait saliver. Alors que ce n'était que du thé.

Comment était ta soirée ? Emilie haussa les épaules.

-  Pas mal.

C'est tout ? Quel dommage. Tu t'es fais des amis dans le coin au moins ?

-  Et bien... Elle soupira. En temps normal elle n'aurait rien dit mais là, elle avait encore besoin de s'épancher. C'était chez une copine du lycée que je viens de retrouver. J'ai fait la connaissance d'un homme, et j'ai eu comme un coup de foudre. Carole parut fort intéressée. C'était sans doute plus intéressant que les histoires de retraités. Je suis sûre qu'il n'est pas indifférent. Sauf qu'il est pris. Par ma copine. Elle mit un sucre dans son mug et remua, l'air dépité.

-   Oh ! Ce n'est pas de chance, ça.

Non... du coup j'appréhende de les revoir.

Je comprends. Chacune prit une gorgée de thé silencieusement, puis Carole reprit : Si je peux me permettre, ce n'est peut être pas perdu. Emilie la regarda sans comprendre le vrai sens de sa phrase.

-   Oui, je rencontrerais bien quelqu'un d'autre, un jour.

Ce n'est pas ce que je voulais dire. On ne choisit pas de qui on tombe amoureuse. Cette fois elle manqua de s'étouffer.

Je n'en suis pas encore là... Carole continua sur sa lancée.

-  Ne fais rien pour blesser ton amie mais ne t'efface pas non plus. Il se peut que tu découvres que ce n'était qu'un coup de cœur passager, mais il se peut que ce soit plus. Quand j'ai connu mon mari, j'étais fiancé à un autre. Cette fois c'était Emilie qui était captivée. Brice et lui était à l'armée ensemble et il est tombé amoureux de moi dès qu'on nous a présentés. Il ne tentait rien par respect pour son camarade, cependant plus j'apprenais à le connaître plus je réalisais que mon fiancé n'était pas l'homme de ma vie. Il faut que tu restes toi même, tu ne pourras pas toujours l'éviter. Emilie sourit. Ca lui plaisait bien plus que les plans compliqués de Sophie. Elle n'était pas manipulatrice pour un sou alors rester naturelle c'était dans ses cordes. Même si ça serait difficile de cacher ses sentiments.

– Vous n'aviez pas du tout remarqué qu'il en pinçait pour vous ? Ni votre ex ?

– Lui non, ou il l'a gardé pour lui. J'ai mis quelques semaines à remarquer que les regards de Brice étaient plus qu'amicaux. Mais si tu dis qu'il n'est déjà pas indifférent, ça devrait aller plus vite. Il est d'ici ?

–  Non, de Paris comme moi.

– Encore mieux alors. Les histoires longues distances c'est un cauchemar. Elle leva sa tasse de thé comme pour porter un toast. Bonne chance, jeune fille !

Emilie ne répondit pas de peur que ça lui porte malheur. Elle engloutit deux tartines et elles terminèrent leur thé en parlant de Paris, où Carole n'était jamais allée. Emilie, choquée, lui proposa aussitôt de lui faire visiter si un jour elle souhaitait découvrir la capitale. Elles ne reparlèrent pas du peut être futur mari de la jeune fille, Carole n'était pas du genre commère, ce qui était plus qu'appréciable.

Elles partirent ensuite au marché. Cette sortie fit du bien à Emilie, l'empêchant de trop cogiter sur sa vie sentimentale. Sur le chemin du retour, vers 13h, elle reçut un appel de Céline.

–  C'est ma copine.

–  Naturelle, n'oublie pas.

Prenant son courage à deux mains, elle décrocha. Elle appréhendait quand même un peu : et si une fois qu'elle avait cuvé, Céline avait réalisé qu'il y avait anguille sous roche avec Elias ? Loin de là à première vue. Elle lui proposait de passer l'après-midi ensemble à profiter de la piscine et se gaver de petits fours. Un bon programme, d'autant plus que le souvenir des petits fours de la veille réveilla son appétit.

 Une heure plus tard elle débarquait chez Céline. Elle s'était refait une beauté : un peu de mascara et d'anticernes waterproof, du gloss. Rien de folichon mais qui lui donnait tout de suite bonne mine. Elle portait une robe d'été légère couleur rose, décolleté en V devant et dans le dos. Aux pieds : des tongs pour le côté relax. Elle voulait être jolie sans savoir l'air de s'être mise sur son 31. En dessous, elle portait un bikini vert vif et brillant qui, selon la vendeuse, était en accord parfait avec sa chevelure de feu. Dans son sac : des sous-vêtements de rechange, son chapeau, son portable et des pastilles mentholées. Même si elle n'avait pas l'intention d'embrasser Elias, elle ne voulait pas qu'un relent de petits fours puisse lui porter préjudice. Si ce matin elle avait frôlé la dépression, à présent elle se sentait inébranlable. Pourvu que ça dure !

 Céline l'accueillit sur le perron, vêtue seulement d'un trikini, d'un châle en voile et d'un chapeau. Avec ça et ses lunettes de soleil énormes, elle avait l'air d'une star de cinéma. Sans compter qu'elle avait une coupe de champagne à la main. Emilie lui fit la bise et plaisanta sur sa boisson.

Champagne, déjà ?

Il n'y a pas d'heure pour les bonnes bulles. Je te sers une coupe ?

-   Je ne sais pas si c'est raisonnable...

On est en vacances, inutile d'être raisonnable ! Elle l'entraina vers la cuisine. La maison avait retrouvé son état normal et paraissait encore plus grande.

-  T'as eu le courage de tout nettoyer ? Céline éclata de rire. Question idiote. Evidemment elle avait payé une société pour le faire.

-  Tu es trop chou !

Elle se sentit plus bête que chou mais bon. Ce ne serait certainement pas sa dernière bourde.

La cuisine était la seule pièce qui gardait des vestiges de la fête : il restait une bonne dizaine de bouteilles d'alcool et une multitude de petits fours sucrés et salés. Céline en prit un plateau après avoir servit une coupe à Emilie.

Emmène la bouteille, on va la finir. Emi obtempéra et la suivit sur la terrasse. Tu ne m'as pas dit si la soirée t'avait plu ?

Oh oui oui, c'était extra ! On aurait dit une soirée de série américaine. Cette réflexion fit à nouveau rire son hôtesse.

Je suis ravie de te faire découvrir d'autres choses, alors. Et dis toi que ce n'est qu'un début !

Céline lui fit un clin d'oeil et  descendit les marches pour aller dans le jardin. De jour il était encore plus beau que ce qu'elle avait pu imaginer. Les arbres en fleurs, les statuettes, il y avait une balancelle de chaque côté de la piscine dans des renfoncements. C'était terriblement romantique. Si elle avait eu un petit ami, elle aurait passé la plupart de son temps ici à sa câliner, et plus encore. En parlant d'homme, Elias était là, allongé sur l'un des transats au bord de l'eau. Son cœur fit un salto arrière dans sa poitrine, elle se maîtrisa en agrippant fermement la bouteille de champagne et son verre. Le bellâtre ne portait qu'un boxer de bain et des Ray Ban ; même dans ce simple appareil il restait le mec le plus sexy de la terre. Pourtant chacun sait qu'il est difficile d'être à son avantage en maillot de bain. Lui, avec ses abdo dessinés à la perfection, l'aine marquée juste ce qu'il faut, même ses tétons avaient la taille parfaite aux yeux de la jeune femme. Elle avait l'envie indécente de les goûter du bout de la langue...

Il se leva quand les filles furent tout près et Emilie jura qu'il avait eu un moment d'hésitation en la regardant. Il fut même étonné quand elle lui fit la bise comme si de rien n'était. Sa réaction se comprenait vu leur accrochage dans la nuit. Ils échangèrent des banalités d'usage pendant que Céline posait le plateau sur un chariot de jardin. Elle récupéra la bouteille pour la placer en dessous, à l'ombre et dans un sac isotherme stylé.

-  Il ne va pas falloir le laisser trop chauffer.

T'aurais du le laisser dans la cuisine.

Trop loin. Et il n'y a pas tant de coupes que ça dans une bouteille.

Si tu le dis...

Tu en veux ?

Non, merci... je vais me baigner un peu.

Il n'était décidément pas à l'aise vu sa précipitation à les laisser seules. Il posa ses lunettes sur son transat, quand il releva la tête son regard chocolat croisa celui d'Emilie. Elle eut l'impression que la température avait dépassé les 50° en une fraction de secondes. Heureusement que cet échange ne dura pas. Elle lutta pour ne pas le suivre, le dévorer des yeux quand il plongea et se concentra sur Céline qui lui parlait.

Met toi à l'aise, faut faire dorer tout ça ! Elle accompagna ses paroles d'un geste désignant Emilie tout entière. Tu peux prendre le transat de Elias comme ça on sera plus proche pour discuter et je ne serais pas la seule à vider ce plateau !

Bonne idée. Elle retira sa robe en douceur pour ne pas avoir l'air trop gauche s'il regardait. Rester naturelle ok, mais fallait pas non plus abuser, pas vrai ? 

-  Oh j'adore ton maillot ! Les reflets nacrés sont trop jolis.

Merci.

-  Tu l'as acheté où ?

Une boutique des halles, je saurais pas te dire le nom mais il doit être sur l'étiquette.

Tu me diras ça alors. Je suis accro aux maillots, autant que les sous vêtements.

Ca doit faire plaisir à Elias. Une façon pour elle de connaître ses goûts mine de rien.

Oui... C'est tout ? Céline était plus loquace d'ordinaire. Est-ce que ça cachait un truc ? Emilie garda ses réflexions et repoussa les lunettes du jeune homme pour prendre place.

-  Ca fait longtemps vous deux ?

Pas vraiment. La bonde plongea sur les petits fours. Tu as goûté ceux au crabe ? Il semblerait que l'investigation s'arrêtait là pour le moment.

Je ne sais plus. Elle prit celui que sa copine lui tendait en repensant à ses conversations avec Sophie et Carole. Normalement au début d'une relation on est tout feu tout flamme, là ça tirait plus sur les cendres, non ? Elle avala le toast en une bouche. Délicieux !

On commande toujours chez eux. Heureusement qu'on ne vit pas ici sinon je deviendrais obèse !

-  J'ai du mal à le croire. Elle but un peu. Au fait, Gabriel n'est pas là ?

Si, si. Il cuve encore. Il te plait ?

Quoi ?!

-  Fais pas l'innocente, je l'ai vu te tourner autour hier. Tu disais pas non. Céline était à côté de la plaque, tant mieux.

Ton frère est sympa et vraiment mignon, mais... c'est ton frère.

-  Il est majeur, ça ne me dérange pas. C'est pas comme si tu me parlais pour te rapprocher de lui, pas comme certaines. En plus il craque pour toi depuis des lustres.

-  J'ai cru comprendre...

Alors ? Emilie se trouva gênée.

-  Je ne sais pas... La dernière fois que je l'ai vu il avait 14 ans, là c'est presque un homme.

Presque ? Lui dit pas, il va se vexer. Elles rirent. En tout cas, sache que je ne m'y opposerais pas.

-  Ok.

Si on finit belles sœurs après tout ce temps, ce serait énorme ! Prise au dépourvu, Emilie but une autre gorgée de champagne. Elle n'avait pas du tout envie de se lancer dans ce genre de délires vu que toute son attention était portée sur un autre homme dans la vie de sa copine. Finalement elle termina sa coupe, ce qui lui monta un peu à la tête.

Et si on allait se baigner nous aussi ?  Je vais étouffer là. Céline grimaça.

-  D'accord mais je finis mon verre d'abord.

Ca marche ! Je vais mettre de la crème avant de finir en écrevisse. Elle fouilla dans son sac et réalisa qu'elle l'avait laissée chez Lukas. Mince, tu en as ? J'ai oublié la mienne. Céline passa le bras sous son transat et en sortit une. Merci !

Aussitôt elle se badigeonna partout où ses bras le lui permettaient. Elias choisit ce moment pour sortir de l'eau et se diriger vers le plongeoir. Faisait il exprès de passer près d'elles pour se montrer ?  Elle fit mine de pas l'avoir remarqué et demanda de l'aide à Céline pour son dos. Destin ou coïncidence, le portable de la maîtresse des lieux sonna. Elle le prit aussitôt.

-  C'est urgent. Elias ! Tu peux lui mettre sa crème ? Sans attendre elle s'éloigna pour décrocher. Oui, je sais, ça s'affiche... Emilie n'en revenait pas, elle la plantait comme ça et Elias revint sur ses pas pour lui prendre la crème des mains. Quelqu'un lui demandait il son avis ? Ok, elle était bien heureuse de la situation mais tout de même.

-  T'es pas obligé, dit-elle avec une indignation feinte.

-  Je ne vais pas te laisser en galère.

-  Je peux y arriver.

Tu es contortioniste ?

-  Non.

-   Allonge toi, alors...

 Elle se sentit rougir en imaginant un autre contexte. Rapidement, elle se mit sur le ventre pour qu'il ne remarque rien. Elle sursauta légèrement lorsqu'elle sentit ses mains au creux de ses épaules. Elles glissaient sur sa peau comme un voile chaud et relaxant. Fermant les yeux, elle savoura pleinement ce contact à priori innocent. Après tout, Céline l'avait ordonné. Elle s'en voulut de penser ainsi, se trouver des excuses pour flirter avec Elias, quelle piètre copine faisait-elle. Mais comment résister ? Elle était faible.

   Les mains délicates du jeune homme descendirent petit à petit, jusqu'à la chute de ses reins, sur laquelle il attarda ses massages, dénouant avec habileté les tensions dans tout son corps. Comme s'il le sentait justement, il se pencha vers elle pour lui murmurer de se détendre. Elle sentit son entre jambes s'humidifier rien qu'au souffle sur sa nuque.

Il passa alors derrière ses genoux, elle frissonna. Il remonta le long de ses cuisses, sans geste déplacé mais pas besoin pour la rendre folle. Rien que de sentir ses doigts si proches de son intimité, elle était au supplice. Son désir pour lui en devenait douloureux. Elle se mordit la lèvre pour ne laisser aucun son la trahir. Son corps en faisait bien assez malgré elle. Elle chercha autre chose à laquelle penser mais son esprit était lui aussi prisonnier des mains expertes du beau brun. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Emilie entendit Céline revenir et se redressa pour se retourner.

Merci. Tu... tu masses bien.

-  De rien.

Instinctivement ses yeux glissèrent jusqu'à l'entre jambes de son fantasme et y découvrir une bosse. Elle ne put s'empêcher de sourire, ravie, ce qui n'échappa pas à Elias.

-  Je retourne dans l'eau.

Il se leva d'un bond et passa à côté de Céline sans un mot ni un geste puis fila au plongeoir. Elle non plus ne lui avait pas porté d'attention. Etaient-ils simplement en froid ? En tout cas, Céline avait l'air contrariée. La séance crème ne lui avait peut-être pas plu ?

-  Quelque chose ne va pas ?

-  Juste mon ex. Emilie se détendit, rien à voir avec elle donc.

-  Oh ?...

C'est bon tu es badigeonnée ? Je suis prête pour la baignade, il m'a tellement énervée.

-  Prête ! Céline siffla sa coupe et elles allèrent dans l'eau. Tu veux en parler ?

-  Plus tard, quand on sera seule.

-  Pas de problème.

Elle essayait de se comporter naturellement et en temps normal, elle aurait soutenu sa copine donc elle le ferait. Cela dit elle se sentait tellement mal, elle avait l'impression de jouer sur plusieurs tableaux, de la mener en bateau aussi. C'était horrible comme sensation. Est ce qu'elle était en train de devenir une vraie salope juste pour un mec ? Non, hors de question. Même si elle avait une folle envie que Elias la plaque contre un mur pour lui faire l'amour, elle ne planterait pas de couteau dans le dos à Céline. C'était décidé. Pourvu qu'elle tienne… Parce qu'honnêtement en entrant dans l'eau, un simple regard du beau brun suffit à la faire se sentir bien faible. Elle nagea en se forçant à ne pas lui prêter trop attention. L'ambiance était vraiment étrange. Céline n'allait pas vers lui, elle se contentait de barboter en leur remémorant des passages de la soirée et se félicitant que personne n'avait vomi dans la piscine. Emilie cherchait quelque chose à raconter avant que la baignade ne tourne à l'ennui total, mais à part répondre à sa copine rien d'intéressant ne lui venait en tête. Elias ne faisait rien pour aider, d'ailleurs il nageait plus loin. Mode brasse, je fais mes biscotto. Emilie se décida et s'approcha de Céline.

Dis, ça va vous deux ?

Qui ça ?

-  Bah Elias et toi.

-   Ah ! Euh oui, mais tu sais on a encore un peu la gueule de bois.

-  Hum…

  Heureusement, Gabriel choisit cet instant pour les rejoindre. Vêtu d'un simple boxer, il était vraiment sexy ce petit con. Il plongea directement dans la piscine et nagea vers Emilie.

-  Salut beauté ! Je t'ai manqué ? Elle éclata de rire.

-  T'as pas plus ringard ? Il haussa les épaules, faussement vexé.

-  Alors, vous avez l'air de vous faire chier comme des rats morts ! Ou alors vous tenez plus la route !

Il envoya une gerbe d'eau vers sa sœur qui avait l'air ailleurs. Elle râla et promit de se venger. Evidemment ça le fit rire, mais Céline jeta un coup d'œil complice à Emilie et les deux jeunes filles se jetèrent sur lui pour tenter de le couler. Peine perdue parce qu'il était plus rapide et plus costaud. Emilie se retrouva prise au piège de ses bras musclés puis projetée dans l'eau. Une vraie bataille navale s'était engagée. Gabriel eut parfois les mains baladeuses mais elle se contenta de lui faire les gros yeux. Dans le fond ça ne la dérangeait pas plus que ça, même si elle ne l'admettrait pas ça lui plaisait qu'il la drague. Bon sang, dans quoi elle s'embarquait ?

 

 @ Laeti Kane

 

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