BLEU ROY
hector-ludo
Bleu Roy
_ Bonjour, monsieur, je désirerai avoir un… ah ! Excusez-moi, j’ai fait erreur.
_ Pas du tout,, cher Monsieur, vous ne vous êtes pas trompé ! Vous avez poussé la bonne porte. Vous êtes dans la seule boutique au monde, que dis je, dans l’univers, qui vous permet de choisir « La » teinte de bleu qui vous convient parfaitement. Ici sont regroupés tous les bleus de la terre. Vous avez vu l’enseigne « Au Bleu Roy » et vous n’avez pu vous empêcher d’entrer.
_ Oui, c’est cela, mais…
_ Ah, je sais ! Mais, vous ignorez quel bleu exact il vous faut. Ne vous inquiétez pas, je suis là pour vous aider.
_ Merci. Je…
_ Ne me remerciez pas, c’est mon travail et ma passion. Le bleu représente pour moi la couleur absolue. Imaginez-vous un monde sans bleu ? Un ciel ou une mer sans le bleu ?
Que serait une plage sans le bleu de la mer ? Et la terre, que vous ne pourriez plus appeler « la planète bleue » ? Sans parler de l’équipe de France, vous les encourageriez comment les Bleus ?
_ Certes oui.
_ Je vous avouerais que cette passion vient de l’amour que je portais à mon épouse. Je l’avais connu alors que j’étais col bleu. Mon navire voguait de la grande bleue vers l’Outremer. C’est au cours d’une escale dans un bar nommé la Note bleue que ses yeux bleus lavande m’ont ébloui. Nous étions tous les deux très fleur bleue. Le lendemain, à l’heure bleue, je lui demandais de m’épouser. Nous habitions Bleury et elle était un vrai cordon bleu. Notre amour était de la couleur des plus beaux diamants, blanc-bleu. Hélas, un jour elle s’étouffa en avalant un bout d’aile de requin bleu.
Son visage devint bleu et elle expira.
_ Je suis désolé pour vous.
_ Merci. C’est dans le petit matin gris-bleu, le jour de l’enterrement, que je décidais d’ouvrir une boutique dédiée au bleu et à la mémoire de ma femme.
_ C’est une belle et triste histoire. Mais…
_ Je comprends, vous n’êtes pas venu pour que je vous parle de mes bleus à l’âme.
Passons aux choses sérieuses. Vous voulez un bleu. Soit, mais quel Bleu ? Il faut préciser.
_ Justement, mon bleu à moi…
_ Il n’est pas comme celui des autres bien sûr ! Je sais cela, à chacun son bleu et les bleuets seront bien gardés. Par contre, je dois vous mettre en garde, il y a des bleus tristes.
_ Comment cela, triste ?
_ Triste comme l’uniforme bleu horizon de nos pauvres poilus pataugeant dans les tranchées, une peur bleue au ventre. Ils regardaient la ligne bleue des Vosges épiant les mouvements de ces ennemis qui avaient créé le bleu de Prusse.
_ Je n’y avais pas pensé.
_ C’est normal, vous n’êtes pas un spécialiste. Et si je vous disais que certains bleus ne sont même pas des bleus.
_ Allons, vous vous moquez, un bleu, c’est un bleu !
_ On voit bien que vous êtes un bleu en la matière. D’après vous, le sang bleu royal, il est bleu ? Le bleu d’un steak bleu, comment est-il ? Si je vous parle du cresson bleu du « Dormeur du val » quelle couleur lui donnez-vous ? Je vous passe le bleu des zones bleues qui, vous me pardonnerez, est tout sauf bleu.
_ J’en conviens, mais nous ne parlons pas… _, Mais si, Monsieur, nous parlons toujours de bleu. Voulez-vous un bleu pris dans la nature ? Un bleu extrait des entrailles de la terre, bleu saphir, bleu turquoise, bleu de cobalt, bleu ardoise ou le magnifique bleu aigue-marine.
À moins que vous ne penchiez vers l’écologie et préfériez les bleus de la végétation qui pousse sous un ciel bleu azur. Bleu pervenche, bleu pastel, bleu campanule. Je pourrais vous en citer des dizaines.
_ Je n’en doute pas une seconde. Mais…
_ Vous hésitez encore ! C’est normal, parbleu, je ne vous aie pas parlé des bleus de la civilisation moderne, le bleu acier, le bleu pétrole, le bleu électrique.
_ Je reconnais que votre choix est incomparable. Mais…
_ Comment ? Vous n’avez pas encore d’idée. Qu’ai-je donc oublié ? Les bleus foncés bien sûr, ceux qui partent du bleu outremer passent par le bleu-marine et finissent dans le bleu nuit.
Voilà, vous avez tous les bleus devant vous, choisissez !
_ Je ne peux choisir. Je…
_ J’ai compris votre démarche, vous voulez vous enfoncez dans des champs chromatiques étranges. Dans des sous-tons, comme le bleus Klein, le bleu paon, le bleu canard. Ou, plus morbide, le bleu livide, le bleu plombé, le bleu bleuâtre.
En fin de compte, vous êtes un esthète.
_ Pas du tout, tous vos bleus sont merveilleux, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse.
_ Palsambleu ! Aussi sûr que l’on me surnomme Barbe Bleue, si vous vous moquez de moi, je vais vous faire un bleu à l’œil.
_ Ne vous mettez pas dans une colère bleue, il y a un malentendu.
_ Quel malentendu ? Vous avez bien vu marquer sur ma vitrine « Au Bleu Roy » _ Tout a fait, et je pensais trouver du bleu ici. _ Vous voulez me faire tourner en bourrique ? Du bleu, il n’y a que cela, ici. _ Oui, mais pas du Bleu d’Auvergne, du fromage !