Bloody Feather / Chapitre 12: Le progrès

Caïn Bates

          Londres a bien changée, demeurant le berceau du progrès industriel qui plongera l'Europe dans un nouvel âge d'or. Déjà, les inventeurs créent et les idées fusent pour rendre la vie des citoyens plus belle et plus simple et le travail des forces de l'ordre plus persuasif. Mais le plus excitant avec ces nouvelles technologies, c'est la façon dont elle va changer non seulement notre quotidien mais surtout notre vision du monde. Dans quelques décennies, nous parcourons les cieux parmi les oiseaux et les anges, nous contrôlerons des forces plus puissantes encore que les châtiments divins. L'esclavage sera bientôt abolie tout comme la pauvreté ne sera plus qu'un mauvais souvenir. C'est l'héritage que Charles et moi souhaitons offrir à la jeune Alice, un monde qui est encore loin de nos utopies d'adultes mais qui sera plus supportable, bien qu'elle fusse habituée aux inégalités de la grande ville. C'est avec déchirement que nous avons dû la quitter lorsque sa famille est partie s'installer à Llandudno, une ville côtière au nord du pays de Galles.
          Tandis que l'Amérique se remet lentement de sa guerre de Sécessions, l'Europe a vu naître de nombreuses œuvres littéraires aussi variées que novatrices. C'est dans un pub de la City que nous rencontrâmes un nouveau Charles, Dickens était tout comme nous adepte des inégalités régnant dans nos rues. Sa nouvelle lubie a été de rejoindre le Ghost Club, un groupe de superstitieux tentant de comprendre le pourquoi des phénomènes inexplicables dans des lieux qui ne sont que de vulgaires pièges à touristes. Un autre de ses hobbies est de trainer près des scènes de crime avec un jeune homme nommé Arthur qui le seconde dans ses enquêtes dans le but de rédiger ses Dreadful Crimes. J'ai pour ma part rencontré, lors d'un court séjour à Paris la Lumineuse, un certains Flaubert Gustave par l'intermédiaire de mon correspondant français Victor. Nous avons ensemble discuté de sa prise de position contre la peine de mort omniprésente à cette époque en France. Lors d'un passage dans un salon littéraire, j'ai eu l'occasion de croiser un slave, Tolstoï, qui semblait avoir des prédispositions à la célébrité, seul le temps nous le dira.

          Les événements de ces dernières années m'ont beaucoup fait réfléchir et j'ai décidé d'agir moi aussi pour faire évolué ce monde. Dodgson est bien trop ravagé par la perte de sa petite protégée pour avoir les idées claires mais il n'en ai que plus malléable et la publication de ses élucubrations sur son soi disant Pays des Merveilles peut m'être utile. Comme notre métier d'écrivains l'exige, nous aurons la plume assassine et toujours sanglante, meurtrissant la pureté et l'innocence immaculées des pages blanches. Londres sera notre paysage caché au fond du terrier, les têtes tomberont, la folie régnera et quand les habitants s'en rendront compte, il sera trop tard.

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