Bloody Feather / Chapitre 2: La Muse et la plume

Caïn Bates

        De la fumée sombre semble jaillir de ce vortex, comme si un feu s'était déclenché à l'intérieur. Ma gorge me serre tandis que la température augmente de plus en plus vite et que le brouillard obscurcit la pièce. Ma seule chance de survie est de sortir de ce piège ardent, je m'élance donc à travers la pièce, relève mon col pour protéger mes bronches de ce gaz horrible. C'est à ce moment que mon pied heurte un obstacle qui me fait trébucher, je m'effondre comme un sac de plomb sur le sol, mon épaule se fracasse sur le parquet suivi par mon crâne. À moitié sonné, je rampe vers la porte qui, à ma grande surprise, est fermée. C'est impossible, elle est toujours ouverte afin de me laisser une chance de m'enfuir en cas de pépin. Je prends appui sur le mur afin de me relever et pose la main sur la poignée, celle-ci coule à l'intérieur de ma paume et le long du bois verni, bien que le métal semble gelé. Derrière moi, j'entends des crépitements qui se rapproche de plus en plus, il me semble qu'on murmure mon nom. Je me retourne en prenant soin de me protéger les yeux avec ma manche, m'adossant toujours contre le mur afin de rétablir mon équilibre et mieux me concentrer sur les sons.

       «Tu n'es plus en sécurité, camouflé parmi tes merveilles. Il est temps pour toi de choisir.
-De la façon dont je vais mourir?! je demande avec difficulté.
-Rampes ou envole toi mais, peut importe ton choix, garde bien en tête que tu finiras toujours par regagner le sol.»

         Tout à coup, je suis pris d'un frisson, un courant d'air semble balayer la pièce, dissipant l'espace de quelques secondes l'épaisse fumée noire, déposant à mes pieds une page jaunie par le carbone sur laquelle semblent couler de l'encre. Je la ramasse, lis rapidement son contenu avant de la voir réduite en cendres dans mes mains. Sur cette page figurait le descriptif exact de la situation dans laquelle je me trouve actuellement, peu à peu que mes yeux s'aventuraient sur le manuscrit, les lettres s'évanouissaient dans une fine fumée claire. Tout sauf la dernière phrase que je lis à haute voix:

         «Et guidé par sa folie, l'écrivain hurla à l'incendie puis se jeta par la fenêtre sans que la moindre flamme ne fût allumée.»

       La fumée disparaît soudainement, la poignée a regagnée sa place sur la porte grande ouverte. Un journal siège désormais sur mon bureau, arborant un grand titre tape à l'œil: «Le grand incendie de Londres, une nouvelle piste.» L'article ne comporte qu'un ramassis de bêtises sur des théories du complot qui auraient ravagées l'Angleterre. Il se vante même d'apporter des informations sur Jack l'éventreur (qui pourrait être lié à l'affaire) dans la prochaine chronique. C'est absurde, les deux affaires sont séparées par deux siècles. C'est alors que me vient en tête un réflexion, les années clés de celles-ci sont 1666 et 1888, le chiffre 1 séparé par un chiffre répété trois fois. Et étrangement, l'incendie eût lieu l'année comportant le nombre 666. 
        Un croassement me fait alors sursauter, je me dirige vers la fenêtre afin de saluer Poe un corbeau ayant élu domicile sur ma corniche. Docile, il me regarde fixement de son perchoir avant de pousser un nouveau cri et de s'envoler, laissant apercevoir une plume grise cendrée dans son nid. Voilà un cadeau peu ordinaire de la part d'un piaf. Je retourne à mon bureau afin de reprendre mon rituel. Le miroir avait raison, je suis encore en retard. Je saisis une page dans un tiroir et dirige ma main vers l'encrier afin de me munir de ma plume fétiche, une plume de Grand Duc qui m'as permis de rédiger mes chefs d'œuvres. C'est dans un petit tas de cendres que je la retrouve, juste à côté de la tâche d'encre violacée qui s'est renversée pendant ma chute. Le bureau ne comporte pourtant pas de traces de brûlures, juste la gravure que j'ai remarquée plus tôt.    
       Agacé, je frappe violemment le bureau et m'entaille la tranche de la main gauche. Déjà, quelques gouttes de sang s'échappent de la blessure, menées par la grâce de l'apesanteur pour terminer leurs chutes sur le tapis. Je passe par la salle de bain pour désinfecter rapidement la plaie et en profite pour prendre un détachant afin de camoufler les quelques crevasses écarlates sur le duvet blanc. A mon retour, aucune tâche à déclarer. Peu importe, où qu'elles soient, elles ne dérangeront personne. Je me repositionne à ma place, regardant mon bandage dans le miroir quand, subitement, il est remplacé une paire de secondes par une plume au creux de ma main. Je détourne le regard pour vérifier, et ne vois que la bande que je viens de fixer. Je regarde à nouveau le miroir qui s'assombrit sous l'écoulement d'un liquide noir avant de laisser apparaître:

                     «Jamais plus – Edgar Allan Poe »

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