Bloody Feather / Chapitre 4: Se lover dans les flammes
Caïn Bates
Quand je reprends connaissance, les premiers rayons du soleil me caressent tendrement le visage et une bonne odeur provenant du bas me motive à me lever. J'enfile une chemise noire aux coutures violettes et une cravate rouge avec une fleur de lys noire brodée finement. Par la fenêtre, j'aperçois la fille des voisins, une fillette aux cheveux bruns et aux yeux clairs, affichant toujours un sourire radieux. Je lui adresse un sourire amicale et me dirige vers les escaliers. Dans la cuisine, un petit mot accompagne quelques gaufres et un verre de jus pressé. Je m'assois, prends une bouchée tout en lisant le post-it jaune poussin:
«Désolé coco mais j'ai un rendez-vous ce matin et j'ai pas pût t'attendre. Régale toi bien et courage pour ton projet. Je suis avec toi. Ta Nana.»
Bon, c'est pas vraiment la joie de manger des trucs durs comme la brique mais pour une fois, ce n'est pas carbonisé et c'est déjà ça. Je ne vais pas non plus me plaindre, elle à pris le temps de dessiner des petits cœurs sur la partie vide du papier, elle est si niaise qu'un jour elle me filera le diabète, je rigole à ma propre blague. Un petit coup d'œil à la pendule, il est juste 9h, j'ai encore un peu de temps pour me préparer, je file donc dans la salle de bain. Un dernier petit ajustement et je prends la route.
Je verrouille la porte derrière moi, traverse l'allée avant de déboucher sur la rue. Là, assise sur le petit muret, la gamine m'attends avec son sac sur l'épaule, le regard malicieux avec son sourire en coin. À ma vue, elle bondit en avant, redresse la sangle qui tombe sur son épaule et se met à marcher à côté de moi tout en me parlant du rêve qu'elle a fait la nuit dernière en n'oubliant aucun détail. Du haut de ses presque 8 ans, elle a tout l'air d'une adolescente avec sa démarche et son assurance de diva, on dirait presque une de ces enfants stars qu'on exhibent à la télé pour faire de l'argent grâce à leur capitale sympathie. D'un réflexe, je tends mon bras devant elle près d'un passage piéton, l'empêchant de traverser tandis qu'une voiture déboule d'un virage. Choquée, son monologue s'arrête net et elle se colle à moi d'un sursaut, mais quel taré celui-là !
Je l'attrape par la main et l'accompagne le reste du chemin, ce qui me fais prendre un léger détour sans vraiment me retarder. Une fois arrivés devant son école, je me retourne en me plaçant devant elle et lui cache les yeux pour ne pas qu'elle soit plus choquée par la scène qui s'y déroule. La voiture qui as manqué de nous écraser quelques minutes plus tôt est venue s'encastrer près de la grille à l'entrée de la cour, percutant deux enfants dans sa course, le conducteur a traversé de moitié le pare-brise et est maintenu par un morceau lui traversant le thorax. Je décide de faire marche arrière et l'emmène avec moi au bureau, j'appellerai ses parents une fois là bas, ils comprendront et viendront la chercher. Sans comprendre pourquoi, la fillette me suit, toujours aussi silencieuse, fixant droit devant elle. Son sourire a disparu, ça me fends le cœur d'un côté, c'est ce qui lui donnait son petit lot d'originalité, sa différence qui lui valait la sympathie de son entourage. Arrivé devant la porte du bureau, je regarde ma montre, c'est limite limite mais je passe tellement inaperçu que personne ne le remarquera. En passant par le standard, je glisse un petit mot au réceptionniste au sujet de la gamine et lui assure que c'est l'affaire de quelques heures, le temps qu'on vienne la chercher. Je passe rapidement les couloirs en la tenant par le poignet puis ferme machinalement la porte derrière moi.
«Tu vas rester ici pour l'instant, le temps que quelqu'un vienne te chercher. Je dois filer à une réunion qui ne durera pas très longtemps donc installe toi.
-Et qu'est ce que je vais faire moi en attendant?! Dit elle avec une petite voix sans relever la tête. Je dois me cacher?!
-Non non, ne t'en fais pas pour ça. Je range rapidement le bureau. Je vais passer un coup de fil chez toi avant d'aller en salle de réunion , c'est juste au bout du couloir. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appuie sur la touche numéro 3 et demande Will, je l'ai prévenu que tu passeras du temps ici et il va s'assurer que tout se passe bien.»
Sur ces mots, je frotte légèrement le sommet de sa tête, passe ma main sur sa joue et quitte la pièce en verrouillant derrière moi et lui fait un signe de la main derrière la vitre, elle y réponds en haussant les épaules et un sourire forcé. Je remonte rapidement le couloir avec mon dossier sous le bras, répétant mentalement ma présentation pour rester concentré. Je ne suis pas le dernier à me présenter dans la salle, le stress redescends légèrement bien que je pense à la môme enfermée dans mon bureau.
Trois quarts d'heure ont passés, je sors aussi rapidement que possible de la salle tout en jetant un coup d'œil sur mon portable, toujours pas de réponse. La porte du bureau est encore verrouillée, j'entre et là surprise, je trouve la pièce vide et la fenêtre du fond est ouverte. Un léger haut le cœur me vient en regardant vers le bas du bâtiment, ma vision se brouille légèrement, m'empêchant d'apercevoir quoi que ce soit. Un léger grognement provenant de mon dos me fais sursauté. La petite est assoupie dans un coin du bureau, son sac en guise d'oreiller. Je la prends dans mes bras et l'allonge dans le petit fauteuil face au bureau histoire de pouvoir garder un œil sur elle. Je retente de passer un coup de fil chez elle mais toujours pas de réponse, ses parents doivent être au boulot. Aux infos du midi, des images du drame défilent sous mes yeux, le chauffeur a perdu la vie pendant l'arrivée des secours, j'en jubile presque. J'éteins la petite télévision subitement quand la petite se réveille. Elle se frotte les yeux tendrement, désorientée. Je lui laisse le temps de bien se réveiller et m'assure qu'elle se porte bien.
«Tu parles, me lance t'elle en souriant, je suis plus en forme que ton pommier en tout cas.»
Étonné, je grimace en me relevant, elle me saute dans les bras et me fixe en me tirant la langue. Je lui tapote la tête et attrape sa veste avant de la lui tendre. Ayant mon après-midi de libre, j'emmène ma protégée au Mc Do du coin avant de rentrer.
15h, toujours personne chez elle. Je griffonne un mot sur un post-it et le colle sur leur porte puis je rentre chez moi rejoindre la petite squatteuse qui est passée au dessus de la haie. En ramassant son sac pour le ranger dans un coin, j'entends des cliquetis métalliques et remarque qu'elle me surveille du coin de la pièce, suspicieuse. Je n'y prête pas plus d'importance et la laisse regarder la télé à côté de moi pendant que je rédige le brouillon de mon premier roman, un drame. En croisant son regard dans le reflet de la télé, je sursaute. Elle semble ne pas me quitter des yeux et souris niaisement. Je tourne le regard vers elle et hausse les épaules, ce n'est qu'une gosse après tout. Je me replonge dans mes écrits et remarque que toutes les pages sont vierges puis, en fermant le carnet, je me rends compte que le bon carnet était juste tombé du canapé.
«Non mais t'es carrément bête en plus! Je rigole, fais pas cette tête.
-Dis, je peux te poser une question?! Ou alors peut être que ça me rendra plus bête encore...
-On va dire que j'ai pas le choix.
-Euh, bien sûr que si, pourquoi tu n'aurai pas le choix?!»
Elle baisse les yeux et relève sa manche, dévoilant des ecchymoses sur son bras. Ses yeux rougissent un peu et se mettent à briller. C'est à ce moment que je réalise que je ne me rappelle pas l'avoir déjà vue pleurer. Elle a toujours ce sourire d'enfant accroché au lèvres. Je baisse rapidement sa manche avant de reprendre:
«Promis, il ne t'arrivera rien si tu ne veux pas que je te pose la question ou que tu ne veux pas répondre, d'accord?! -D'accord... Réponds t'elle en se mordant la lèvre inférieure. C'est quoi ta question?!
-Pourquoi tu surveilles toujours ton sac et les gens qui l'entourent?! Qu'est ce que tu y cache?!»
Elle se lève d'un bond, se dirige vers son sac et en sors une petite boîte discrète recouverte de petits papiers décorés. Sur l'un d'eux, un mot y est inscrit: Danger, ne pas ouvrir...
«C'est pour faire peur aux voleurs. En fait, je cache les petits bijoux de maman que papa n'a pas encore vendus. C'est tout ce qu'il me reste d'elle...»
En effet, sa maman était morte en couche, laissant une petite crevette et un veuf anéanti. Deux années plus tard, une jeunette d'à peine 21 ans l'avait remplacée, apportant la douceur qu'il manquait à la petite. À quel moment ça a pu foirer?! Le bruit de la porte me sors de mes pensées, je me lève pour accueillir ma colocataire qui commence déjà à se mettre à l'aise.
«Doucement, on a une invitée?!
-Tu as osé amener une autre fille ici, intéressant.
-Non, une PETITE invitée...»
À ces mots, elle regarde au dessus de mon épaule et me lance un regard amusé.
«Tu fais du baby-sitting maintenant?! En s'adressant à la demoiselle. Il est pas trop ringard dis?!
-Si, on dirait un vieux.»
Elles se mettent à rire et je décide de les laisser s'amuser, pour une fois je n'aurai pas à m'occuper d'elles. J'en profite pour faire les armoires et sortir de quoi se gaver.
«J'ai dévalisé les armoires, servez-vous mesdemoiselles. -Donc c'est décidé, on l'adopte?!
-La voisine à le même âge que toi tu sais, je veux bien vous échanger. Puis comme ça, vous pourrez toujours critiquer le vieux ringard»
Quelques minutes plus tard, on sonne à la porte. C'est le papa qui vient récupérer son “petit trésor” comme il l'appelle, je ne peux pas m'empêcher de faire un rictus en repensant aux ecchymoses mais, au final rien ne prouve que c'est lui. Il me remercie et me tends un billet que je refuse. Une fois la porte fermée, j'entends le bruit de la boîte aux lettres, décidément, il est borné. Ce n'est qu'après que je remarque la boite de la petite sur la table basse, elle a oubliée de la récupérer. Au vue de l'importance qu'elle y attache, je voudrais la rapporter mais, et si son père tombait sur les bijoux?! Tant pis, je lui rendrai demain matin, à notre rendez-vous journalier. Je passe toute la soirée à écrire, isolé dans le salon, l'inspiration me vient quand je pense à la petite tignasse brune. Je m'arrête après avoir couché l'équivalent de six chapitres dans mon carnet et décide d'aller me coucher. J'en profite pour mettre la petite boite dans la poche de ma veste afin d'éviter de l'oublier demain. En passant devant la fenêtre, j'aperçois la petite qui regarde le ciel à sa fenêtre, l'air rêveuse. Le clair de lune lui donne un air blafard mais ça lui va plutôt bien. Je monte les escaliers et arrivé dans ma chambre, elle n'est déjà plus là. Elle dois être épuisée la pauvre, heureusement que ses moqueries ont évitées qu'elle ne pense trop au désastre de ce matin. Pour une fois, je trouve le sommeil facilement et plonge dans des rêves de famille idéale.
Il est presque 5h du matin quand des cris me réveille. Des lueurs orangées ondulent dans la pièce et une odeur nauséabonde accompagne une épaisse fumée noire provenant de chez les voisins. Je descends rapidement les escaliers, attrape ma veste et sors en trombe pour vérifier que la famille va bien. Le feu ronge l'intérieur de la maison, j'essaye le jardin pour vérifier que cette sortie soit dégagée, les pompiers arrivent. Au pied d'un des arbres, je trouve la petite recroquevillée en train de pleurer, au moins elle est sauve et ne semble pas avoir été blessée, bien que sa robe de nuit dévoile plus de bleus. Je la recouvre de ma veste et l'emmène dans la rue où elle sera plus en sécurité auprès des secours. Quelques minutes plus tard, je vois les pompiers sortir de la demeure embrasée et deux brancards sur lesquelles reposent deux grands sacs fermés. Et merde!
Deux policiers se dirigent vers nous, ma colocataire nous ayant rejoint il y a peu, tout aussi apeurée à la moindre vue d'une braise. Ils emmènent la petite pour la mettre en lieu sûr pour le reste de la nuit et nous interroge sur les événements. Avant que la porte ne se referme sur l'enfant, je pense à lui dire que la petite boite est dans ma poche pour la rassurer et lui fais un clin d'œil. Méfiant, un des policiers fouille la poche et en sort une boîte d'allumettes contenant un détonateur et un petit mot: «Ce soir, ils brûleront». Je n'ai pas le temps de réaliser ce qu'il se passe qu'on me plaque contre la voiture pour me menotter. La tête contre la vitre, je vois la fille placer la cachette à bijoux dans la poche interne de ma veste en me lançant un sourire effrayant. Le lendemain, j'étais interrogé pour meurtres et vol d'objets de valeur tandis que la fillette discutait avec une femme dans un bureau et me fixant de son regard glaçant quand je passe devant la vitre, me montrant une allumette fumante et un autre détonateur.
«Donc, tu te rappelles de moi» murmure une voix à mon oreille, me sortant de mon sommeil.