Blue Jay's run (Extrait)

Laurent Buscail

BLUE JAY’S RUN

Laurent Buscail

Cela ne faisait pas loin d’une heure que le DJ martyrisait ses samples sur des platines bien trop neuves pour être honnêtes. La nuit s’annonçait très longue. Je détestais l’hiver, les soirées n’en finissaient plus. Je rentrais chez moi complètement épuisé, les oreilles pleines des merdes que j’avais écoutées, analysées et je me dépêchais une fois devant mon Mac de noter mes impressions à chaud en évitant de gerber sur mon écran dix-sept pouces. Pour l’heure, j’en étais à mon quatrième shooter de Jäger et je regardais une paire de fesses qui se balançait devant mes yeux depuis le début du set. Un retard d’un demi-temps dans l’enchaînement du guignol qui ouvrait le sound-system me rappela que l’Exta que j’avais pris avant de venir ne faisait déjà plus son effet. Une petite pause s’imposait. Mes oreilles ne m’en tiendraient pas rigueur si je les éloignais un instant de cette bouillie auditive. Un dernier coup d’œil à la paire de fesses en me jetant la fin d’une vodka-redbull que je ne me souvenais pas avoir commandée et je partis en direction des toilettes. Les gueules que je croisais étaient pour la plupart encore fraîches et l’air n’était que gentiment chargé en haleine alcoolisée. Quelques « Rico ! » par-ci et « Ricky ! » par-là s’agrippaient à moi et tentaient de se rappeler à mon souvenir. Je leur singeais une envie de pisser tout en leur mentant sur mes projets de revenir vers eux pour discuter.

Enfin tranquille dans un box des chiottes pour m'envoyer une dragée bien dosée, le plus costaud de ce qu’il me restait dans les poches de ma veste. Ensuite je n’aurais plus qu’à atterrir gentiment avec deux petits parachutes. Sur le comprimé bleu, la tête du geai me dévisageait d’un air moqueur. Son sort fut réglé en un instant et de son profil gravé dans les grains chimiques compressés il ne resta plus qu’une bouillie informe sur ma langue.

De retour devant les platines, je me faisais martyriser les conduits auditifs par des enchaînements toujours aussi calamiteux. Machinalement, je sortis mon phone et tweetai quelque chose comme : « DJ Horn Flex me fait mal, je m’emmerde ! ». Mon ego se gonfla spontanément au rythme des Retweet. Soudain, une illumination frappa mes quelques neurones encore en action, prendre des photos avant que je ne fusse trop perché pour cadrer correctement. J’avais comme à mon habitude oublié sciemment mon appareil photo reflex encombrant et à la connotation professionnelle excessivement ostentatoire. Je levai mon phone au-dessus de la foule, vers le DJ. Quelques clichés bien trop bruités plus tard, je sentis la vague de bonheur me submerger à nouveau. La sérotonine déferlait en masse dans mon cerveau, le mix devenait presque audible. Au dessus de moi volait un geai bleu au plumage vaporeux. Il accompagna mon regard jusqu’au plus profond d’une longue chevelure brune fouettant le vent de ses fourches tortueuses. Ce fut avec un énorme sourire aux lèvres que je retrouvai la paire de fesses qui dansait pour moi à présent. La robe échancrée dans le dos laissait apercevoir le creux de ses reins, le léger sillon de sa colonne vertébrale. Ses longs cheveux bruns se soulevèrent, des lèvres pulpeuses apparurent et se fendirent dans une esquisse de sourire. Son œil gauche cligna lentement avant de se dérober à nouveau dans une envolée de mèches aux ondulations hypnotiques. La foule semblait se fendre sur le passage de son harmonieuse anatomie s’échappant un peu plus à mes pupilles à la dilatation exponentielle. Tel Alice, je me mis à la poursuite de ce petit lapin blanc, occultant au passage mes activités rémunératrices avec grand plaisir. Une légère brume obscurcit brusquement ma vision. Mon petit mirage brun s’effaçait par delà le couloir fumeurs où les volutes patinées de bleu se bousculaient déjà. La porte battante secoua les nuages de tabac consumé, laissant apparaître à la dérobée les jambes fines qui s’échappaient dans un rire malicieux, sous les éclairs dorés des réverbères. Mon cœur frappa ma poitrine à une cadence comparable aux envolées de BPM du DJ qui n’effleuraient plus que très furtivement mes cavités auditives. Mes pas s’accélérèrent et mon corps décida de ne plus ménager les fumeurs en se faufilant entre leurs courbes serrées, mais les bouscula avec empressement pour se jeter finalement sur la porte noire dont les battements avaient cessé.

Le contact humide et froid des pavés contre ma joue apparut comme un gag à en croire l’éclat de rire qui résonnait entre les dents de ma voluptueuse distraction. Ses courbes agréablement dessinées par ces bouts de tissu violet et noir me dominaient de tout leur long, plantées sur des escarpins en velours noirs aux talons compensés d’à peu près dix centimètres. Son rire vibra jusque dans ma bouche ce qui l’incita à m’aider à redresser ma pauvre silhouette toute chiffonnée. Bras dessus bras dessous, je découvrais avec enchantement les traits de son visage aussi fin que le sillon d’un vinyle sortant de la presse. Je continuais de me laisser guider au fond du terrier par nos enjambées légèrement vacillantes sous l’effet des divers composés chimiques coulant dans nos veines respectives. Elle me conduisit à l’écart de l’agitation nocturne des Champs-Élysées, dans une rue adjacente dont les murs tapissés d’échafaudages accentuaient le contraste désenchanté. Nos rires continuaient de danser autour de nous, alors qu’elle me repoussait puis me tirait vers elle. Mes yeux tentaient de s’accoutumer à la baisse importante de luminosité dans la rue due à l’obturation des luminaires par les travaux de rénovation des façades. Aussi, c’est caché par mon avant-bras que j’aperçus le violent faisceau lumineux qui sortait de l’œil unique d’un dragon mécanique. Ses mugissements profonds et puissants résonnaient sur les hauts murs de la rue et faisaient vibrer les échafaudages dans une inquiétante mélodie métallique. L’engin ralentit puis stoppa à quelques centimètres de mon fébrile squelette grelottant, héroïquement placé en rempart devant ma récente conquête.

Le souffle de la bête à l’arrêt ressemblait aux sabots d’un cheval au galop martelant le sol accompagné de sa respiration rauque. Le pilote laissa courir les deux cylindres dans le ventre du monstre alors qu’il s’en dégageait pour déployer toute son ombre au dessin bodybuildé. Je devinais dans le blanc de ses yeux un angoissant mépris à mon égard. Sentiment confirmé par l’apparition dans sa main d’un flingue qui grossissait sous la lumière du phare qu’il traversait. Le sang tapait le bord de mes veines au rythme des cylindres de la Harley. Ma vision se troublait en périphérie et semblait grossir chaque élément en son centre. Les voix m’arrivaient comme des vagues se fracassant sur des rochers.

— File ton fric, bouffon ! me lança le canon qui me regardait droit dans les yeux.

— Quel fric ? J’ai pas un flèche sur moi, tentais-je d’articuler tant mes dents se desserraient difficilement.

— Qu’est-ce que tu m’as ramené sale pute ? Fouille ses poches.

Mon cerveau au trois quart atrophié par la peur entama la conversation avec ce qui lui passait sous les synapses.

— C’est une Zero Engineering ta Harley. Brad Pitt a la même.

Son arme me répondit : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre ! Le pape pourrait très bien en avoir une que je m’en tamponnerais le fion. Allez, Cynthia vide ses poches. »

Les mains de mon ancienne récente conquête se baladèrent sur mon corps à la recherche de la plus petite somme d’argent. Ses caresses que j’espérais douces et sensuelles quelques instants auparavant, me griffaient les cuisses et la taille. Elle retira de mes poches les deux parachutes de MDMA et les jeta à l’ombre menaçante. L’un s’écrasa par terre tandis-que l’autre s’évanouit dans le noir. Le sombre spectre s’avança contre moi me laissant détailler quelques zones claires évaporées autour de son regard. Des doigts s’invitèrent dans ma bouche et la refermèrent aussitôt. Je sentis le papier à cigarette se dissoudre sous ma langue et libérer les cristaux de MD.

— Avale ça. Ce serait con que je soit le seul à m’amuser.

S’en même m’en apercevoir, les cristaux dévalaient ma gorge à grande vitesse.

— Merci, mais j’en avais déjà pris.

— Je ne comprends pas Mike. Il n'arrêtait pas de commander des verres, dit-elle d’une voix craintive. Tout le monde le connaissait dans la boîte.

Un sourire s’écrasa malgré moi contre ma joue.

— C’est normal, je suis chroniqueur de Club, la boîte me paie tout pour avoir de bonnes critiques. Je ne prends jamais de fric quand je travaille.

— Comment tu t’appelles, pauvre merde ! m’aboya le canon de plus en plus menaçant.

— Éric, mais tout le monde m’appelle Rico.

— Bon, ça ne te dérange pas si je reste sur pauvre merde. Le flingue se décala un instant sur la boule d’hystérie qui grandissait derrière moi. Écoute-moi bien, salope. T’as plus beaucoup de temps pour me rendre mon pognon maintenant. Alors, on va faire à ma façon. D’abord, je bute pauvre merde et ensuite je vais t’amener à des copains très très gentils.

Une main surgit de l’ombre et fila au-dessus de mon épaule. Elle resurgit agrippée aux cheveux de ma traîtresse au relent de succube. Cette dernière me bouscula et alla s’effondrer au pied du colosse armé.

— Je t’en prie Mike, ne fais pas ça !

Le chrome du canon s’abattit violemment sur la joue de la malheureuse et se redressa aussitôt vers ma tête dans un léger filet de sang.

— Ta gueule Cynthia ! souligna-t-il par un crachat sur sa figure.

Le revolver scrutait chaque détail de mon front à la recherche du meilleur point d’entrée. La respiration de Mike se bloqua, ses muscles s’étaient détendus. Je voyais son bras prêt à encaisser le choc de la détonation. Son doigt amorça sa pression sur la gâchette, lorsque la musique du parrain retentit depuis la poche intérieure de son blouson de cuir noir.

— Putain de merde ! Qui me fait chier à un moment pareil.

Mike changea son flingue de main pour s’emparer de son portable avec sa main droite. Le canon ne me visait plus que grossièrement. La peur paralysait encore quelques muscles de mes jambes.

— C’est comme te couper en pleine baise. Je déteste ça, bordel ! Allô ! Oui, c’est Mike, c’est le portable de Mike donc c’est Mike putain ! hurla Mike avant de se liquéfier complètement. Oh pardon Monsieur Sapovnikov. Je suis dans la rue contre le Blue Jay. Oui, j’ai votre caillou. Pour le pognon, j’ai une fille à la place. C’est une déesse. Mike tira un peu sur l’arrière de la tête de Cynthia pour mettre en lumière son visage ensanglanté. Elle a juste une petite égratignure sur la joue. Rien de bien méchant. Une rallonge de deux jours. Merci Monsieur Sapovnikov. Livraison immédiatement ? Vous arrivez ?

Mike se retourna en direction de plusieurs faisceaux lumineux qui envahissaient le bout de la rue derrière lui. Cynthia en profita pour lui envoyer son poing dans les parties génitales. Toute ma flexibilité était soudainement revenue et avec elle un courage que je ne me connaissais pas. Le hurlement féroce des V12 qui bourdonnait contre mes tympans me commandait d’agir maintenant avant que la situation ne se complique un peu plus. Je me jetai sur la main armée d’un Mike encore plié par le choc. Mes mains s’accrochèrent à la sienne. Nos corps se mirent à valser dans la lumière des phares qui fondaient sur nous. Son doigt pressa brusquement la gâchette de son revolver. Le canon cracha une flamme qui lui brûla le menton. La balle dut traverser son crâne à une vitesse folle, car instantanément après la détonation une gerbe de sang s’échappa du sommet de sa tête, libérant quelques morceaux de cervelles. Le revolver encore chaud glissa dans ma main. Cynthia me tira violemment vers elle et m’assit à l’arrière de la Harley de Mike. Les balles fusaient dans mon dos.

...

La suite sur http://www.smashwords.com/books/view/125583, Amazon ou Itunes.

Signaler ce texte