Bon anniversaire

Fanny Finet

La première fois que j'ai eu 18 ans, j'étais coincée entre le présent et l'avenir, entre la famille et moi-même, entre l'amour et la haine. Entre deux eaux, entre deux vies. Le lycée était devenu mon foyer, loin de chez moi, loin de ma mère. Le jour de mon anniversaire, face à mes amis, j'ai joué à la perfection le rôle de l'adolescente épanouie, souriante et enjouée. J'étais le clown qui épatait la galerie. Je voulais être populaire, être aimée et que l'on me rende l'affection que me volait ma mère pour panser ses propres plaies.

La première fois que j'ai eu 18 ans, j'ai pensé précisément à la mort. Je me sentais assez adulte, enfin, pour décider de mourir. J'étais partagée entre la haine que j'éprouvais vis-à-vis de ma mère et l'euphorie de mettre fin, à la fois, aux coups qu'elle me portait et à l'absurdité de mon existence.


La deuxième fois que j'ai eu 18 ans, je me suis réveillée, allongée sur un brancard dans un couloir d'hôpital, des électrodes collées sur la poitrine et les bras. Des infirmières gravitaient autour de moi sans vraiment me regarder. Le médecin s'est approché, il a posé son stéthoscope sur ma poitrine et m'a demandé :

« Alors, comment il s'appelle ce vilain garçon qui t'a brisé le cœur ? »

Soudain, j'ai compris. Moi, Chloé, 18 ans, reçue aux urgences après avoir ingurgité une tonne de médicaments, je ne pouvais être là que pour une peine de cœur. Sur fond de crise d'adolescence, cela donnait une tentative de suicide ratée. Banal.


La deuxième fois que j'ai eu 18 ans, j'ai compris que j'avais fait erreur. Ma mère n'avait pas compris mon geste. Mes amis avaient souffert. Je l'ai compris quand plusieurs d'entre eux ont franchi le seuil de ma chambre d'hôpital, le visage terne, les yeux rougis. Ils ne jouaient pas et moi, je me sentais nue. Le masque de clown reposait aux pieds du lit. Mes lèvres ont tremblé, Max s'est empressé de bredouiller quelques mots maladroits, assez pour m'empêcher d'éclater en sanglots. Il se rappelait mon orgueil. Moi, Chloé, j'étais celle dans le groupe qui riait tout le temps et qui ne cédait jamais à la tristesse. Je me rendis compte que j'étais restée dans une bulle pendant tout ce temps. En constante introspection, j'avais oublié que les autres avaient une existence réelle. J'étais occupée à émousser les arêtes d'une vie cinglante.

Ce jour là, Christelle est restée plus tard. Elle m'a remis une lettre comme une promesse d'amitié éternelle. Elle avait pleuré en imaginant ma mort tandis que ma mère, perdue dans les méandres douloureux de sa vie, n'y avait pas songé. Quand la porte s'est refermée sur Christelle, je m'endormis avec la conviction que la vie m'attendait. Ma voix résonnait dans tout mon être :

« Arrête de te lamenter sur ton sort, Chloé ! Traverse la rive, sors de cet entre deux, ta vie t'appartient. »


Le séjour à l'hôpital se termina quelques jours plus tard. J'avais pris la décision de ne pas rentrer chez moi.

La dernière fois que j'ai eu 18 ans, j'ai tourné la page d'une enfance meurtrie, le sourire aux lèvres, la mémoire courte.

  • C'est quand on n'a plus "18" ans que l'horloge s'arrête, parfois il faut attendre "long temps" ... et perdre la mémoire du temps qui passe

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

    • merci pour ce joli commentaire, à méditer !

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Fanny

      Fanny Finet

Signaler ce texte