Bonne année
stonemarten
Bonne année.
Elle se glissa hors du lit sans même se soucier que cela puisse le réveiller. Un troupeau d'éléphants aurait pu traverser la pièce, il n'aurait pas levé une paupière.
Machinalement, elle passa son vieux gilet en laine qui traînait toujours au pied du lit, enfila ses chaussons.
Elle alla vérifier dans la chambre de ses deux fils s'ils dormaient toujours.
3h54, chacun dans son lit, les deux parallèles dans leur petite chambre au sol jonché de power rangers, dinosaures et autres figurines en plastique à qui ils donnaient vie sans problème du haut de leurs 5 et 3 ans.
Elle pensa qu'elle n'avait même pas préparé leurs affaires pour le lendemain.
Elle n'avait pas non plus repassé sa chemise pour la reprise lundi.
Elle entendait déjà sa réflexion, marmonnée en buvant son café.
- P'tain, on lui demande pas grand chose pourtant.
Elle alluma la pièce où étaient rangées les affaires de son époux et de ses gamins.
Trois paires de chaussettes, deux slips, un caleçon. Deux sweats.
- Mais merde, t'as pas un truc plus chaud à leur foutre sur le cul, après tu vas chialer qu'ils sont malades tes gosses!
Deux joggings. Ils adorent les joggings, ils s'y sentent plus à l'aise pour jouer au pirate ou au policier dans le jardin. Ils ont toujours eu une imagination débordante comme leur mère.
- Ben putain, s'ils pouvaient avoir le sens de l'organisation comme leur père, ça leur serait foutrement plus utile que tes conneries d'histoire à la con que tu leur inventes. Arrête de leur bourrer le crâne à ces mômes.
Sa chemise. Elle s'enferma dans la buanderie, lui repassa consciencieusement.
- Tu peux pas faire gaffe au col bordel? Pas besoin d'avoir fait bac + 10 pourtant pour repasser une chemise!
Elle aligna les affaires en petits tas au bout du canapé. Elle s'inquiéta pour son petit dernier. Il peinait encore à s'habiller seul. Prendrait-il la peine de l'aider..?
Elle ne repassa pas par la chambre de ses enfants pour les embrasser. Elle redoutait trop de faire machine arrière.
Elle prit les clefs de sa voiture, pensa à fermer la porte de la maison à double tour derrière elle.
- Putain mais cette manie que tu as de toujours laisser ouvert. Tu viendras pas chialer si un psychopathe rentre dans la baraque pour vous buter pendant que je suis pas là!
Sa vieille Clio 1 démarra au premier tour. Elle ne regarda pas dans le rétro en sortant de l'allée.
Il lui aura fallu dix ans pour passer ce portail.
- T'as encore fait un pète sur la bagnole... Putain mais t'as la polio ou tu le fais exprès? Tu commences à me gonfler avec tes crises d'angoisse au volant, merde!
Elle roula pendant presque une heure. Dans les rues, quelques jeunes éméchés traînaient encore.
Puis elle alla se garer tout en haut de la colline qui surplombait la ville. Du haut de son perchoir, au dessus des habitations, des gens, du monde elle se sentait presque importante.
Elle fuma une clope, puis deux.
Observa la lumière de l'aube embrasser le paysage urbain.
Le soleil courir entre les maisons.
Elle ralluma le moteur. Fit marche arrière sur quelques centaines de mètres.
Puis enclencha la première et fonça droit devant.
Lorsque son véhicule quitta la terre ferme, elle pensa qu'elle avait oublié de mettre le doudou du petit dernier dans son sac d'école.
Elle se mit à pleurer puis la voiture dans un bruit sourd se fracassa sur le sol, 500 mètres plus bas.
- Bonne année! qu'il lui avait dit...en espérant que tu me sois un peu plus utile pour les 365 jours à venir! qu'il avait ajouté.