Bouche cousue, cœur effiloché

blackfeather

Ma couturière m'a cousue hier. 
Vingt deux heures envolées, voilà qu'elle posait la dernière lanière.
Un jour entier à agiter mètres, bobines et petits dès, 
Pour qu'une poupée de chiffon pointe le bout de son petit nez.
Ses yeux tous bleus, cernés de fatigue m'admiraient fièrement.
"Martha" ; c'est le prénom qu'elle murmura avant que ne perle de son œil un joli diamant.
Elle voulu bien, durant un instant, me prêter les battements de son cœur serrant ma ouate contre la source de ses pleurs.
C'est la que je perçus un rythme bien altéré.
Je supposai alors que son tissu à elle était déchiré.

Complètement déconcertée je choisis d'arborer, au mieux, le sourire de fillette innocente qu'elle m'avait donné.
Dé à coudre et fil doré, cousues sur ma tête, les ficelles je les connais.
Bottes de foin mille fois farfouillées, la fine aiguille moi je l'ai trouvée ;
Aussi timide soit-il je l'ai eu son tendre sourire.
Dès lors ma décision était prise ; dorénavant loin d'elle serait le pire du pire. 

Non d'une bobine ! à peine le temps d'en découdre, je me retrouvai dans une chambre de princesse.
Pas de quoi se faire de boutons, me direz vous, il y a bien d'autres causes de tristesse.
Ma couturière me fit asseoir sur un lit déjà peuplé de mille amis.
Ma laine bouloche lorsque je réalise que mes acolytes et moi avons la même mine.
Mine identique à celle d'une poupée dont le portrait couvre tous les murs,
Une poupée aux cheveux rouges soyeux et à la peau bien plus délicate, c'est sûr,
Une poupée aux yeux émeraudes et lèvres éclatantes.
Elle était là sans être là, la princesse absente.

Nous étions une quinzaine de petite Martha chiffonnées qui souriions comme nous le pouvions lorsque ma couturière venait se recueillir. 

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