Bouffée de vie

Soben

Fantasme.

Je tire sur ma clope. Encore. Une autre bouffée. Pffff, ça fait du bien. Ah ? Non en fait. Cet saloperie de stress me reprend. Me revoilà tout tremblant, comme pris de spasmes.

"- Tu t'en vas ? Pourquoi tu prends ton sac ?
  - J'ai besoin de prendre l'air.
  - Il est 23 heures. T'as cours demain.
  - J'ai besoin de prendre l'air.
  - Tu rentres dans combien de temps ? 
 Silence. Regards qui s'évitent. Elle comprend. Elle relance :
  - Pourquoi ??
  C'est un pourquoi coupable, un pourquoi qui frissonne. Pas tout à fait un cri, presque un murmure. Un pourquoi qui résonne.
  - Parce que."

Les paysages défilent derrière la vitre. Un arbre puis un autre, tous semblables. Tous les mêmes sur le bord, dressés comme un mur entre la route et ce qu'il y a au delà. Comme autant de silhouettes déconseillant de s'écarter du chemin. Je les emmerde ! Je les emmerde tous !!

" - Tu ne peux pas partir comme ça, juste avec un parce que. "

Un parce que aurait dû suffire. Ça devrait toujours suffire. Comment j'aurais pu t'expliquer ça autrement ?

" - Parce que. Et merde ! Parce que rien ne se passe comme prévu. Jamais. On est au petit soin avec nous. On nous répète sans arrêt, avec du travail, vous réussirez ! "

Il fallait que ça finisse comme ça. J'ai été blessant, mais c'est à ce prix là seulement que l'on peut être franc.

" Mais comment veux tu qu'on y crois ? Et puis réussir quoi ? A bien gagner ma vie ? Mais c'est ça que tu appelle vivre ? S'assurer chaque fin de mois que j'aurais assez dans quelques semaines pour continuer à vivre selon mes petites habitudes ? Et puis, quelles habitudes pourries ...
Baisser la tête sur son bol de céréales chimiques. Baisser la tête sur le chemin du boulot ( surtout, ne croiser le regard de personne, quelqu'un pourrait dire bonjour ). Baisser les yeux sous les ordres du patron, puis se pencher sur mes subalternes pour leur cracher les mêmes conneries à la figure. Rester courbé sous le poids de la fatigue. Puis sur son assiette. S'affaler dans le canapé, puis dans son lit. Surtout, s'allonger sur le dos, regarder le plafond. Se dire que demain, tout changera. Parce que demain, je serai moi, mais en mieux, c'est sur ! Mais finalement je recommencerai, encore et encore. Dodo, café, clope, boulot, café, clope, boulot, café, clope, TF1, dodo. C'est cet avenir que je voudrais, au simple prétexte qu'il me permettra peut-être un jour d'aller au taffe en BMW ? Non, arrête. Quand as-tu rencontré de nouvelles personnes pour la dernière fois ? Au nouvel an, il y a six mois ? On vit fermé sur nous mêmes. Toujours les mêmes têtes, toujours les mêmes gestes. Enfermés dans nos cent mètres carrés, trop grands, trop pleins d'objets inutiles. J'ai besoin d'air je te dis ! Besoin de partir, loin, le plus loin possible. Besoin de discuter avec tous ces gens qui ont sûrement quelque chose à m'apporter. J'ai besoin d'apprendre autrement qu'en retenant toutes ces formules, pour les recracher bêtement puis les oublier. J'ai besoin d'entendre toutes ces histoires que personne ne veut écouter, besoin de sentir le froid, d'éprouver la faim. J'ai envie de m'émerveiller de tout, de sentir la terre sous mes pieds nus, de m'endormir en regardant les étoiles, d'être réveillé le matin par la pluie, besoin de sentir tous ces parfums que plus personne ne respire. Je veux marcher là où aucun homme n'a encore marché, voir ce qu'aucun n'a pu voir ! Je veux tout connaître ! Je veux tout lire, tout entendre, tout faire, tout découvrir ! J'ai besoin d'être jeune, je veux vivre, tu comprends ça ? Je n'en peux plus de tout ce gris ! Il faut voir toutes ces couleurs tant qu'il est temps, tu ne penses pas ? Je ne souhaite pas mourir avant d'avoir vécu. Alors je m'en vais. C'est seulement en abandonnant tout qu'on peut connaître la joie de tout trouver, non ? Et puis je reviendrai, des sourires plein les yeux, des histoires plein la tête. Je reviendrai, et j'aurai réussi là où tant ont déjà échoué : j'aurai trouvé le courage de prendre la fuite.  Je ne veux pas la même vie que toi ! J'ai besoin de prendre l'air putain ! Laisses moi ouvrir cette porte ! Tu ne peux pas me forcer à vivre cette vie où tu trimes plus que tu ne ris ! Ouvre je te dis !!! OUVRE !!!"

Mes vêtements sont trempés. J'essuie une larme, avant de retenir un pouffement. Je ne peux m'empêcher de regretter ce que je viens de faire, et pourtant ! Qu'est-ce que j'en suis fier ! L'homme qui m'a prit en stop me lance un sourire. Est-ce qu'il sait ?

Je tire sur ma clope. Encore. Une autre bouffée. Pffff, ça fait du bien. Ah ? Non en fait. Cet saloperie de stress me reprend. Me revoilà tout tremblant, comme pris de spasmes. Je suis comme un enfant, c'est comme si je ne savais plus rien. Me revoilà gelé par le vent et la pluie qui fouettent mes joues. Quelle idée, aussi, d'avoir acheté une décapotable ?!

Je souris. Je me suis plongé dans la vie, la vraie. Me voilà libre.

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