Bowie : demain renaît toujours

buge

Phénoménal… Génial… Exceptionnel… Magnifique… Voilà les adjectifs qui accompagnent généralement le concert de louanges que suscite The Next Day, le nouvel album de David Bowie, depuis sa sortie le 11 mars dernier. Des composants à panégyrique aux côtés desquels on retrouve parfois le très à la mode « énorme ».

Le problème avec les chefs-d’œuvre proclamés, c’est qu’on les aborde de manière un peu galvaudée. On les aime avant l’heure et au mieux, les premières écoutes vous font rentrer rapidement dans ce cercle de privilégiés et donc briller en société : « Le nouveau Bowie ? Juste génial ! » Paf ! Un mot suffit. Pas besoin d’en dire plus, surtout si on relève le tout avec le pire tic de langage de l’histoire du XXIe siècle. L’interlocuteur ne peut être que conquis.

En revanche, si, par malheur, vous ne trouvez ce 24e album studio du Britannique que bon ou, pire, seulement agréable, un sentiment de culpabilité vous envahit. Peu importe le respect que l’on peut avoir pour l’artiste et sa discographie impressionnante. Vous grillez alors une cartouche et vous sentez presque différent, comme exclu.

Soyons donc clairs : le monde de la musique se porte évidemment bien mieux avec un David Bowie en activité que sans. Et lorsqu’à la surprise générale, le Thin White Duke est réapparu, en janvier dernier, avec l’annonce d’un album à venir, le premier depuis dix ans, et un extrait envoyé en éclaireur, le très beau Where Are We Now ? (petit frère du Thursday’s Child de l’album Hours), on était ravi.

Ravi de constater que ce grand monsieur avait encore envie de créer. Ravi de se voir confirmer ce qu’on savait, certes, déjà, à savoir qu’il n’était pas mourant, même si des problèmes cardiaques l’avaient contraint, en 2004, à interrompre une tournée.

Le grand secret

Bowie vivait une vie paisible, à New York, et il en a été ainsi jusqu’à l’automne 2010, période à laquelle l’envie de donner un successeur à Reality a commencé à sérieusement le titiller. Après avoir recontacté Tony Visconti, son producteur historique (Diamond Dogs, Young Americans ou encore la trilogie berlinoise), il s’est enfermé au studio Magic Shop entouré d’une poignée de musiciens (dont le guitariste Gerry Leonard et le batteur Sterling Campbell) qu’il a contraints à la plus grande discrétion. Et tous de commencer à plancher sur un projet baptisé, pour la forme, The Secret. Tout au long de ce qu’a duré le processus créatif, il n’y aura eu qu’une fuite. Une seule. Un exploit à l’heure où le moindre battement d’aile de papillon se retrouve illico sur les réseaux sociaux. Bowie stoppera d’ailleurs pendant plusieurs mois les sessions d’enregistrement pour endormir les rares soupçons.

Ainsi étalées dans le temps, les séances ont permis d’accoucher dans le plus grand secret d’un mastodonte sonore où l’on retrouve la palette (unique) du bonhomme : ni franchement rock, même si le morceau-titre sonne assez Stones (tout en reprenant les bases de Repetition de l’album Lodger), ni funk (quoique Boss of Me...), encore moins pop, The Next Day est à l’image de ce que Bowie a finalement toujours fait : du Bowie.

Where Are We Now ?, sublime complainte dans laquelle le souvenir de la période berlinoise refait surface, montre un artiste aujourd’hui posé, capable de regarder dans le rétro sans la moindre crainte. Le passé est ce qu’il est et comme pour montrer que le temps n’est en rien un ennemi, l’artiste a décidé, en guise de pochette, de revisiter celle de Heroes, paru en 1977.

Si la nostalgie a une place dans le disque, la rage est bien présente. « Me voilà, pas vraiment mourant », chante l’interprète de Life On Mars.

Bowie expérimente, ne se repose pas sur ses acquis (Dirty Boys) et c’est ce qui rend les Valentine’s Day, I’d Rather Be High ou encore The Stars (Are Out Tonight) très agréables. Délicieusement agréables. Mais voilà... Seulement agréables.

Or ce disque, on aurait voulu l’adorer, le vénérer jusqu’à se convaincre que l’idée de la pochette n’était finalement pas si pourrie. On aurait voulu l’admirer comme doit l’être le premier album d’un monstre sacré après une décennie de silence. Mais voilà... On ne fait que bien l’aimer. Et en de pareilles circonstances, c’est presque un sacrilège. Un péché, oh pas bien méchant, mais qu’on espère quand même laver avec quelques Je vous salue Ziggy.

Signaler ce texte