BRANLE-BAS DE COMBAT
Hervé Lénervé
Je suis riche ! J'ai toujours rêvé d'être riche et voilà, c'est fait, pourtant ironie du sort, toute cette fortune ne me sert pas à grand-chose, sinon à rien du tout. Avant de m'expliquer plus en détail sur ce fait, il me faut me présenter, c'est une question d'éducation et de l'éducation contrairement aux croyances communes, nous, gentilshommes de fortune, nous en avons à remettre et non à revendre, car on ne parle pas d'argent quand il s'agit de bonnes manières.
Oui, je suis ce qu'on appelle un pirate, un flibustier, un boucanier, un écumeur des mers, un frère de la côte, enfin les termes ne manquent pas pour nous désigner nous les gibiers de potence, mais ce qui nous caractérise le plus, au-delà des noms que l'on peut bien nous attribuer, c'est la peur, la terreur, l'effroi ressentis par tout honnête navigateur à la vue de notre redouté pavillon noir cinglant fièrement à tous les vents de tous les océans. Qu'un de nos pavillon s'encadre dans l'optique d'une longue-vue et c'est le bateau entier qui se met à trembler du beaupré à l'artimon à en entendre crier d'effroi la figure de proue. De paisibles marchands aux militaires aguerris, chacun sait que cet étendard est celui de « la marque noire », la Mort, sans pitié, sans tolérance, sans discrimination, la mort égalitaire. Dès l'abordage, le cri « pas de quartier ! » annonce la teneur du combat, un seul navire sera vainqueur et les vaincus serviront de pâture aux requins, aux crabes, aux poissons et autres… il faut bien que tout le monde mange dans nos mers, que Diable ! Mais si d'aventure, le sort nous était défavorable, c'est à nous qu'il reviendrait de décorer les mâts de misaine des navires, les gibets des places d'armes, pendus haut et cours et exposés ainsi pour l'exemple à ne pas suivre aux risques de finir comme ces corps pourrissants aux intempéries, le visage énucléés par les corneilles… Bref, voici ce que fût ma vie et aujourd'hui que je suis vieux, érodé par les embruns, buriné par les soleils, alcoolisé par les rhums, je me retrouve échoué sur cette île déserte, le dernier rescapé du naufrage de « La Vierge du Cap » commandé par le redoutable Levasseur, dit la Buse, paix à ton âme, cap'taine. Il est vrai que seul naufragé, n'est pas tout à fait exact, un autre a survécu également, mais il est tellement insignifiant que je ne sais pas si je dois le compter réellement. C'est un enfant, même pas un moussaillon, il n'est bon à rien, il doit avoir dans les cinq ans peut-être, je n'ai pas trop de compétences en matière de gosses et si j'en ai eu, des marmots j'entends, dans tous les ports d'escale, je n'ai jamais pris le temps, ni eu l'envie de les voir grandir. Que faisait cette marmaille sur le navire, je n'en ai aucune idée, c'était peut-être un des innombrables bâtards de La Buse, quoi qu'il soit, il va falloir qu'il se débrouille tout seul, je n'ai d'une nourrice, ni la fibre maternelle, ni les mamelles nourricières. De plus, je me suis toujours méfié des chiards comme de la peste ou le choléra, je ne me souviens plus de l'expression exacte, mais peu importe, que l'on crève de l'extérieur, la gueule ravagée de bubons purulents ou que l'on clamse de l'intérieur en se vidant par tous les orifices de son corps, le résultat n'est-il pas le même ? Excusez du peu, pour ceux qui seraient en train de déjeuner.
Je l'ai déjà dit, je suis riche comme jamais je ne pensais l'être, là quand je vous parle, je suis assis sur un des coffres du trésor de La Buse et pour être tout à fait honnête, une fois n'est pas coutume, la Buse n'est pas mort noyé, mais bel et bien pendu le 7 juillet 1730, pour être précis et quand il lui restait encore un filet de voix, il lança à la foule spectatrice un cryptogramme en lui disant de sa tessiture éraillée par la corde : « Mon trésor à qui sera le prendre » On le cherche encore à la Réunion, aux Seychelles, à Rodrigue, à Madagascar, à Mayotte, à l'île Sainte-Marie.
Effectivement les gentilshommes de fortune ont la manie compulsive d'enterrer leur fortune, justement, dans les endroits les plus improbables, mais à l'encontre des écureuils qui enfouissent leurs provisions en prévision des jours de disette pour en oublier aussitôt le lieu dans leur petite tête de noisette, les capitaines, eux, prennent la sage précaution de marquer d'une grosse croix rouge l'endroit exact de leur épargne sur une vieille carte toute parcheminée. Donc, le jeu consiste à dérober la carte, malheureusement pour corser (et non corsaire) la chose, une ribambelle de fausses cartes au trésor des plus fantaisistes circule pour le seul commerce des marchands de produits touristiques.
Nul ne pouvait savoir et encore moins La Buse, que son fidèle second, que j'étais, était le plus amène pour ravir le sésame de son butin de rapines. Le malheur fut, pour moi cela s'entend, que comme déjà dit La Vierge du Cape que j'avais détourné en soudoyant son équipage par la promesse de partager mon trésor, On peut toujours y croire, se brisa sur les récifs de cette putain d'île secrète, dont je ne dévoilerai pas le nom par mesure de sécurité et pour vous préserver des tentations de risquer une aventure qui vous serait inévitablement néfaste, voire fatale. N'est pas pirate qui veut. Je précise que, entre la mutinerie et le naufrage, j'avais eu la mansuétude de larguer la Buse dans une chaloupe, ce qui lui vaudra le privilège d'arriver en mauvais état, mais vivant… jusqu'au gibet.
Donc voici ma situation, je suis seul… oui ! Je sais, j'ai encore oublié l'autre trousse-pet… nous sommes donc deux… admettons… sur une île paradisiaque certes, où eau et gibiers ne manquent pas avec une petite fortune en poche, sans aucun moyen de la dépenser en rhum et en filles de mauvaises vies, mais de bon appétit, (je ne parle plus que pour moi, ici, parce que pour ce qui est du trésor, l'autre avorton ne compte en rien.)
A moi de prendre un peu la parole. D'abord, je n'ai pas cinq ans, comme le suppose le vieil abruti, mais douze. Il est vrai, à sa décharge, que je suis assez petit pour mon âge, par contre j'ai une efficience bien au-dessus de la moyenne, si les tests Binet-Simon avaient déjà été créés, j'estime que je m'y serais situé sur une échelle de cent cinquante au minimum de QI. Je rappelle, pour mémoire et pour les incultes, que cent étant la mesure commune des sujets communs, statistiquement parlant, il va sans dire, mais mieux en le disant quand on ne sait pas si on s'adresse à des gens de qualité. Je suis jeune, intelligent, vaniteux, présomptueux et prétentieux comme il sied aux jeunes gens de ma condition. Je ne vais pas dérouler mes quartiers de noblesse, ni mon arbre généalogique, mes illustres aïeuls n'aiment pas être dérangés dans leur repos sépulcral, sachez seulement, que je suis tout à fait digne de porter, un jour, la couronne d'Espagne.
Pour commencer, je vais échafauder un plan pour m'emparer du trésor, il me sera fort utile pour monter une armée et m'asseoir sur le trône, si mes chiens de cousins leur prenaient l'envie de m'en écarter.
Rends-moi la plume, avortons du Diable ! Il va voir, le petit con, qui est l'abruti dans cette histoire. Ma vieille main tremble un peu, il est vrai, mais elle suffira largement pour lui loger la balle de mon mousquet dans son illustre crâne couronné ou non et il finira bouffer par les crabes de cette plage comme n'importe quels margoulins.
Ce trésor est le mien et, moi vivant, personne ne me le prendra ! J'en fais, ici, le sermon solennel sur la seule partie de mon anatomie qui puisse encore supporter une parole sans se parjurer, je ne dirai pas explicitement laquelle, disons que depuis longtemps elle ne me sert plus qu'à la miction.
Je me présente, je suis le narrateur indépendant et impartial de cette histoire, je ne prends pour cause et pour partie aucun des deux protagonistes, d'ailleurs entre un vieil abordeur et un jeune pédant, le choix n'aurait pas été facile. Donc voici, la fin de cette aventure exotique. Le flibustier prit parti de ne plus quitter la grotte qui abritait son trésor, il y mangeait, il y buvait ces dernières réserves de rhum en fixant l'entrée du sous-terrain, son pistolet à silex pointé sur son dernier crime à venir.
Le jeune noble était trop intelligent pour servir de cible, donc il attendait patiemment devant l'entrée de la grotte. Il avait manigancé un piège digne d'un ingénieur, toute personne qui sortirait de cet antre recevrait un billot de bon bois pesant cinq boulets de canon au bas mot, le réduisant à rien pour la meilleure image et à une bouillabaisse de chair et d'os pour la pire. Et le temps, qui ne compte pas le sien, s'écoulait ainsi. Le vieil aigrefin était bien trop pingre pour abandonner son butin, ne serait-ce le temps d'aller chercher de l'eau, car bien que ce ne fût pas sa boisson préférée, le rhum vint à lui manquer et sans eau aucun organisme vivant ne saurait vivre.
Quant au jeune surdoué, tout surdoué eût-il été, il n'avait pas su automatiser son piège, ce qui lui demandait une présence assidue pour le déclencher en visuel.
Donc nos deux naufragés étaient d'astreinte en permanence.
Et arriva ce qu'il devait arriver quand on néglige l'essentiel pour le dérisoire, vertiges, malaises, perte de la réalité, mirages, inanition, déshydratation et mort. Si bien que le jeune génie et le vieil idiot périrent simultanément et sottement avant leurs heures, pour ne pas abandonner une fortune qui ne leur aurait servi à rien, car le seul navire, qui visita cette île, était une frégate militaire française Surcouf et elle n'accosta sur ses plages qu'en l'an 2002.
Les soldats en exploration finir par tomber sur une grotte enfermant un grand coffre recelant des bijoux, des diamants, des écus d'or. Un squelette affalé tenant encore un pistolet dans sa main décharnée. Ils découvrirent également les restes de l'enfant à l'entrée de l'antre.
Ensuite, les spécialistes firent leur boulots, les historiens retrouvèrent une partie de la triste histoire du second de La Buse et du neveu de celui-ci dont il avait la garde, un enfant perturbé et mythomane.
Cela, c'était pour le sérieux. Quand on examina les pierres précieuses, l'or et l'argent du trésor, il s'avéra que tout n'était que pacotille, ce butin n'était qu'un leurre déposé certainement sur cette île par le fallacieux La Buse. On savait rigoler dans ces temps-là.
Maintenant pour la fantaisie. Il n'en fallait pas plus pour que naisse une légende, celle du vieux salopard et de l'enfant d'salaud.
Ha ha ha. C'est en effet assez désopilant. Vous fûtes donc marin. Un très bon point, vu du mien...
· Il y a presque 5 ans ·teacheart
Impossible, j'ai le vertige rien que de penser à ces gaillard qui montaient du gaillard au haut du grand mât. :o))
· Il y a presque 5 ans ·Hervé Lénervé
Pour moi vous êtes à vapeur, pas à voile...
· Il y a presque 5 ans ·teacheart
Il est vrai que l’expression ne précise pas qui de la vapeur, qui de la voile est l’homme ou la femme ? :o))
· Il y a presque 5 ans ·Hervé Lénervé
Le foc se gonfle par l'arrière. Pour le phoque je ne me prononce pas, j'ai d'immenses lacunes en biologie.
· Il y a presque 5 ans ·teacheart
La biologie marine n'a pas de narines. :o))
· Il y a presque 5 ans ·Hervé Lénervé
Puisque tu aimes les histoires de pirates et de flibustiers, si tu as le temps, un petit conte là-dessus :o)) http://welovewords.com/documents/branle-bas-de-combat.
· Il y a presque 6 ans ·Hervé Lénervé
Superbe.
· Il y a environ 7 ans ·le-droit-dhauteur
Merci ! C’est très gentil, même si cela n’en mérite pas tant.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
Bah, si quand même. J'aime bien les intervenants qui s'incrustent dans le récit. C'est une bonne idée.
· Il y a environ 7 ans ·le-droit-dhauteur
Dans ce cas j’accepte le compliment, mais juste à cause des intervenants.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé